Rarissime, mystérieux, impensable, le quintuple assassinat de Nantes a suscité des milliers d’articles. Les lois de l’information ont joué : gonflement puis dégonflement, mais l’énigme demeure. Pour le moment.
Voilà qu’est anéantie une famille, sanctuaire de la vie et de l’amour, vraisemblablement par celui qui avait pour mission de la protéger.
Ce drame meurtrier expose la profondeur du mystère du mal sans rien élucider. Il laisse flotter un immense pourquoi qui tourmente les proches des défunts. Tous ceux qui ont subi le déferlement médiatique en sont saisis, et plus spécialement peut-être les catholiques, en raison de la foi de ceux qui ont été « froidement exécutés ».
Malgré l’appel à la décence de leurs proches, ce n’est pas seulement le for intime du suspect qu’on a tenté de décrypter mais aussi celui des victimes, en retrouvant leurs confidences sur Internet. Il y eut des raccourcis, quelques informations contradictoires et la théorisation des experts. On a parlé de « meurtres altruistes », dont l’intention est d’éviter à ceux qu’on tue de découvrir un mensonge ou une ruine qui les aurait fait souffrir. Des pathologies psychiques ont été envisagées : dépression, schizophrénie… Efforts pour mettre des mots sur l’indicible. Mais, dans cette affaire, l’ampleur du mal n’a-t-elle pas dépassé la seule capacité humaine ?
Cette famille (du moins les cinq victimes et leurs proches) était donc catholique : pratique dominicale, écoles chrétiennes, catéchisme, inscription aux JMJ…
Certains commentateurs ont sauté sur l’aubaine : et si l’engoncement dans la pratique religieuse et la façade de bienséance familiale qui lui est attachée avaient fonctionné comme un verrou, rendant impossible une autre solution que ce massacre ? C’est en substance ce qu’on a pu lire. Les mots intégrisme, hypocrisie, étouffement étaient lâchés. Avant qu’on ne reconnaisse que le père avait, de longue date, perdu toute foi et ne fréquentait pas l’Église.
Comment résumer alors l’hypothèse plus « sérieuse » qui prévaut ? Financièrement aux abois, le meurtrier aurait consenti à perdre la face aux yeux du monde pour la garder aux yeux de ses victimes, en les tuant avant le scandale. à moins qu’il ait sérieusement pensé faire croire à cette subite histoire d’émigration familiale en Australie. Mais peut-on imaginer qu’un homme puisse couler de beaux jours avec « ça » sur la conscience ? Ce serait pure et exceptionnelle folie.
Notre ignorance reste donc grande. Rarement le mystère de la fracture d’une âme aura semblé plus stupéfiant. L’emprise d’une secte n’est pas à exclure.
Mais puisque l’événement touche chacun, chacun peut tenter d’en faire quelque chose. Puisque c’est l’œuvre du mal qui s’est à l’évidence déchaînée, l’enjeu sera de rendre le bien pour le mal.
Dans son lumineux essai Notre Dame de la Sagesse, Maurice Zundel nous aide à prendre conscience des conditionnements qui nous entravent dans des paragraphes dont l’affaire de Nantes actualise la méditation 1
. Il conclut qu’ « il n’y a que l’amour, en vérité » qui puisse nous libérer.
En ce temps de Résurrection, avec deux familles crucifiées, nous pouvons encore affirmer « Mort où est ta victoire ? » en constatant le témoignage donné par les proches des victimes. Car c’est justement l’amour qu’ils semblent avoir choisi – ou reçu – comme réponse, à en juger par leur ferveur et la dignité de leur deuil. C’est ensemble et unies que les deux familles ont préparé les cérémonies, avec foi. Dans l’amour, en attendant la vérité.
Pour aller plus loin :
- Presque tous les hommes portent un masque qu’ils ont pris instinctivement pour défendre le secret de leur âme.
Ils en ont tellement l’habitude qu’ils oublient de l’ôter, et ils finissent par ne plus connaître le visage de leur nativité. Leur âme est à elle-même un livre scellé. Ils vivent de contrainte et se libèrent des refoulements qu’ils subissent par des excès qui sont un nouvel outrage à leur nature.
Beaucoup, qui ne peuvent s’évader réellement donnent carrière à leur imagination. Pour un grand nombre l’existence est un équilibre sans cesse menacé d’obligations feintes ou véritables, dont l’accomplissement compose leur figure sociale.L’idée qu’on se fait d’eux les emprisonne, les milieux où ils vivent exigent qu’ils s’y conforment : consignes de la famille, de l’école, du journal, du parti, consignes professionnelles, nationales, religieuses, il n’y a plus aucun moyen d’échapper à « ce qui se fait ou ne se fait pas ».