Monarque chrétienne - France Catholique
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Pèlerinage de Chartres : la jeunesse de l'Église
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Monarque chrétienne

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© Capture d'écran The Royal Family Channel

Comment ne pas réagir à cette cérémonie religieuse aux dimensions du monde ? Les obsèques de la reine Elizabeth d’Angleterre ont revêtu, dans une époque de sécularisation massive, une sorte d’hapax, c’est-à-dire d’exception, qui du fait même oblige à une interrogation fondamentale. C’est toute une civilisation qui est contrainte de se mettre en question. Certes, on peut penser que le décorum exceptionnel déployé lors de cet événement ne saurait satisfaire qu’un sens esthétique, friand d’émotions sensibles. Mais on est aussi amené à pousser la réflexion plus avant, car la charge symbolique dont est porteuse la monarchie britannique invite à dépasser les données de la science politique classique. La coexistence de cette symbolique avec un principe démocratique du pouvoir brise les frontières d’un positivisme étroit.

La thèse de Marcel Gauchet, devenue complètement classique, d’un désenchantement du monde issu d’une sortie du religieux, se trouve un peu heurtée par cette persistance d’un sacré dont on ne saurait dissoudre le sens dans une sorte de survivance anachronique. Car il est pour le moins paradoxal que le sentiment populaire le plus explicite envers une institution soit extérieur aux procédures du suffrage universel. La légitimité d’Elizabeth d’Angleterre lui vient à la fois de l’histoire et de son origine sacrale. Origine sacrale, le mot fait sans aucun doute difficulté, ne serait-ce qu’en vertu de la rupture radicale opérée en premier lieu par la révélation biblique et en second lieu par l’avènement du Christ.

Différence chrétienne

L’onction du couronnement n’a pas fait de la reine une personne sacrée mais l’a établie dans une relation que Pierre Boutang définissait sous le mode de la différence chrétienne1. Le pouvoir s’y trouve interrogé sous l’angle de la toute-puissance. Même investi d’un suffrage populaire massif, le dirigeant chrétien ne saurait manifester une toute-puissance, ce qui contredirait les lois non écrites d’Antigone, les commandements donnés à Moïse et même certains conseils évangéliques. Certes, le mode franciscain qui fut celui d’un Saint Louis est difficilement reproductible. Il n’empêche que les allocutions de Noël d’Elizabeth n’étaient pas sans relation avec cette différence chrétienne qui affecte la conduite et le message de la souveraine.

Le rappel de l’histoire ne saurait effacer ce qu’a eu de douloureux la rupture du XVIe siècle qui a produit la séparation de l’Église d’Angleterre avec l’Église de Rome. Les conséquences de la séparation subsistent, même si la reine n’a cessé de donner la preuve de sa bienveillance à l’égard des successeurs de Pierre. Mais à d’autres égards les oppositions se sont, hélas, approfondies, avec des décisions qui affectent l’essence même du sacerdoce et de la succession apostolique. Cela n’empêche pas que l’immense scénographie de ces obsèques religieuses impose à l’univers la question obsédante d’une différence chrétienne qui modifie l’exercice du pouvoir, assure sa légitimité en harmonie avec l’assentiment de tout un peuple.

  1. Pierre Boutang, Reprendre le pouvoir, Les Provinciales, 2016.