Il y a quelques années au cours d’une promenade familiale au Royaume des animaux de Disney World, une charmante employée de Disney aborda ma fille et lui demanda son avis sur le parc. S’ensuivit un dialogue, l’employée lui demanda son nom, son âge, et où elle habitait, répétant à voix haute toutes ses réponses.
Je suis intervenu après avoir remarqué que l’employée parlait dans le micro discret d’un émetteur radio, du même type que ceux utilisés par les agents de sécurité. Alors que l’employée redisait toutes les réponses de ma fille, une collègue pouvait les enregistrer et les collationner aux informations de ma carte bancaire utilisée pour payer notre déjeuner, et établir un profil plus complet de notre famille.
J’ignore — et que les avocats soucieux de protéger la réputation de Disney en soient persuadés — l’usage que Disney a fait des réponses de ma fille. Mais ce fut un de mes premiers contacts avec ce qu’on appelle désormais le « monde des données ».
De nos jours nous sommes familiarisés avec la collecte de données par des entreprises privées, par des services gouvernementaux, par des partis politiques et autres organismes. Nous savons que de telles informations sont récoltées, utilisées, vendues ou partagées, volées, piratées, dans divers buts plus ou moins connus.
Peu de gens se sentent à l’aise à propos de la collecte d’informations sur nos existences, véritable intrusion. Quel intérêt, quels dégâts ?
Dans l’affaire des révélations récentes de collecte colossale de données par les Agences américaines de renseignement, on nous dit que nous avons ainsi acquis une meilleure protection contre le terrorrisme. Le Directeur de l’Agence nationale de Sécurité nous assure que des douzaines — « douzaine », unité de mesure floue plutôt élastique — de projets terrorristes ont été déjoués. La haine islamiste envers l’occident est assez connue, et le camouflage de la préparation d’attentats assez facile pour rendre plausible la justification de cette surveillance.
On peut avoir des doutes sur la collecte par des sociétés de données supposées révéler nos désirs, fondés sur nos préférences d’achats. Les partis peuvent comprendre nos préférences politiques et adapter ainsi leurs plate-formes ou pousser à voter ceux qui les approuvent. Les organismes de bienfaisance peuvent nous toucher selon nos réactions aux appels de dons.
Le point commun à tous ces « côtés positifs » est leur source, les données, quantifiables, et aisément accessibles sur des feuilles de calcul ou autres documents informatiques. On peut facilement mettre en avant ce qu’on peut y gagner, et certains avantages sont fort importants — par exemple, des vies épargnées.
Au passif, ce qui nous gêne est moins facile à mettre en évidence.
Laissant de côté la possibilité d’une exploitation abusive et despotique par le pouvoir — une possibilité très réelle malgré la foule de juristes et les protections légales entourant les données — et écartant l’usage illégal de données échappées du « nuage » et tombées dans des mains douteuses, on peut considérer comme grave le risque de diffusion potentielle d’informations publiques ou privées.
Une telle perte va bien au-delà d’un vague « droit politique à l’intimité », garanti ou non par la Constitution, et touchant aussi bien l’enregistrement de conversations téléphoniques que des sujets tels que l’avortement ou l’euthanasie.
Ces pertes touchent les domaines de la modestie et de l’amitié. Le Catéchisme catholique donne une définition de la modestie plus large que le simple fait de porter des vêtements décents à la messe:
« La pureté a besoin de modestie, élément de la tempérance. La modestie protège l’intimité profonde de la personne. Elle porte témoignage au sens de la chasteté …. Elle refuse de dévoiler ce qui doit rester caché. La modestie protège le mystère des personnes et leur amour. Elle inspire le choix des vêtements. Elle inspire silence et réserve lorsqu’il y a risque évident de curiosité malsaine. Elle est discrète.»
Très important: « La modestie concerne aussi bien les sentiments que le corps … La modestie inspire un mode de vie aidant à résister aux tentations de la mode et aux pressions des idéologies en cours. »
La pureté servie par la modestie est au centre de notre relation à Dieu comme de notre relation avec notre prochain, au centre de nos amitiés. Quand nos pensées les plus intimes sont interceptées involontairement — même en stricte conformité au « respect de l’intimité » si souvent écrit et rarement lu — nous nous sentons violés, comme si on nous dépouillait de nos vêtements.
Avec la modestie, nous tenons à la liberté, liberté de partager notre intimité avec ceux que nous choisissons: la liberté d’établir une amitié, c’est l’un des plus beaux programmes pour une belle existence.
Quand tout ce qui nous concerne est connu de tous, avec ou sans notre accord, la modestie s’en va, la possibilité de nouer une amitié disparaît. Au lieu de quoi nous nous inquiétons de la conformité de nos pensées intimes à l’idéologie en cours chez ceux qui peuvent lire nos courriels, suivre nos vagabondages sur le web, ou récolter des données sur notre compte.
Interrogés sur cette perte d’intimité et de modestie, les « guides de la pensée technocratique » du monde informatique répondent gaiement que l’intimité est une vieille lune, petit prix à payer pour accéder aux délices d’une information abondante par une connectivité permanente. La casse de la modestie ancienne, nous dit-on, est un progrès vers une plus grande unité
collective de l’humanité.
Pourtant, les sociétés comme les organismes gouvernementaux ne ménagent pas leurs efforts pour nous convaincre que notre intimité est véritablement protégée. Tous savent bien que nous craignons de perdre notre modestie, et pas seulement face à des criminels.
Les véritables dangers ne résident pas dans les données, mais dans la technique mise en œuvre pour ou contre les individus. Le danger est actuellement dans ce que la technique semble nous apporter de progrès, oubliant ce que cette même technique nous enlève.
Joseph Wood enseigne à l’Institut de politique mondiale à Washington.
Photo : Mickey récolte des données.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/modesty-and-friendship-lost-in-the-data.html