« Marie-Madeleine, apôtre des apôtres » - France Catholique
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« Marie-Madeleine, apôtre des apôtres »

Depuis le matin de Pâques, Marie-Madeleine est associée à la joie bouleversante de la résurrection. Elle est aussi un modèle pour notre société, en attente d’un sauveur. Entretien avec Mgr David Macaire, archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France en Martinique, auteur de Marie-Madeleine. Itinéraire d’une femme libérée.
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Le Christ apparaît à Marie-Madeleine, qui est ainsi le premier témoin de la Résurrection. Noli me tangere : « Ne me retiens pas », lui dit-il. Fresque de Fra Angelico (vers 1395-1455), couvent San Marco, Florence.

Le Christ apparaît à Marie-Madeleine, qui est ainsi le premier témoin de la Résurrection. Noli me tangere : « Ne me retiens pas », lui dit-il. Fresque de Fra Angelico (vers 1395-1455), couvent San Marco, Florence.

Pour quelle raison écrivez-vous dans votre ouvrage que Marie-Madeleine est une « figure éclatante des temps actuels » et « un antidote puissant aux maux de notre siècle » ? Mgr David Macaire : Pour plusieurs raisons. La première, c’est que Marie-Madeleine choisit de passer de femme délurée à femme délivrée. Elle est l’emblème de notre société de la jouissance, caractérisée par ce que j’appellerais les « doctrines-lib » : libertinage-libertarisme-libéralisme, dans tous les domaines. Avide d’une liberté frelatée, notre génération a conçu des outils de distraction massive au service de sa quête de plaisir. Marie-Madeleine mériterait d’être l’égérie de notre société. C’était une courtisane, une vedette, la Kim Kardashian de l’époque. Une femme qui savait tirer les ficelles de la société où elle vivait – la cour d’Hérode et son environnement. Mais voilà qu’arrivée au bout des fantasmes, entraînée par ses sept « démons de minuit » jusqu’au « bout de la nuit », elle a fait l’expérience que le soleil ne se lève pas dans cette vie-là. Le bonheur n’était pas au rendez-vous pour elle, pas plus que pour notre monde. Mais elle a trouvé le soleil de la vraie liberté. Marie-Madeleine est donc un antidote et mérite d’être « injectée » dans notre monde empoisonné. Elle n’est pas d’abord un modèle de pureté comme beaucoup de saints et de saintes, mais un exemple de délivrance, de vraie libération. À l’origine de la prédication apostolique, il y a cet antidote pour notre monde des années 2020 ! Vous parlez des démons dont elle a été libérée : ce combat spirituel est-il encore le nôtre ? Son histoire révèle en effet les multiples dimensions du combat spirituel. Pour évangéliser aujourd’hui, nous ne pouvons pas éviter la lutte frontale avec le monde des ténèbres, ni une prédication explicite sur cet aspect de la vie spirituelle. Marie-Madeleine a été libérée de sept esprits mauvais, de sept maladies spirituelles qui l’éloignaient de son Créateur, de l’amour, de la liberté et finalement d’elle-même. Mais ces démons reviennent aujourd’hui avec force. Ils sont d’une actualité terrible et s’érigent en barrière entre l’humanité qui souffre, égarée, et notre Seigneur. Ce combat est sans merci. L’homme est fait pour le bien. Marie-Madeleine, toute emplie du mal, n’apparaît tout à fait elle-même que délivrée de ses démons. Plus belle encore. Comme elle, l’Homme sauvé par le Christ est lui aussi plus beau encore. Voilà pourquoi l’exemple de Marie-Madeleine est propice à une catéchèse équilibrée sur le sujet du mal. Vous écrivez : « Les temps difficiles sont revenus… […] Il y aura les guerriers dans le monde et les martyrs dans l’Église, la Semaine sainte nous y prépare ! » Marie-Madeleine en fait-elle partie ? Si ce n’est elle, au moins ceux qui lui ressemblent ! On ne mesure pas le courage qu’il a fallu à cette femme pour s’arracher à ce monde. Devenir témoin de la Vérité, se définir comme catholique, fidèle à l’Évangile, non pas au nom d’une idéologie mais par un attachement personnel et indéfectible à la personne de Jésus, est vécu comme une agression dans le monde actuel. Agression pour les idéologies ennemies de l’Église ; pour le monde des bons sentiments qui tapissent l’enfer des lois « éthiques » ; pour la dictature du relativisme qui croit que tout croyant est un terroriste en herbe. Mais aussi agression dans l’Église où le libéralisme, comme une fumée de Satan, a dénaturé la charité évangélique et créé des clans apparemment irréconciliables… Choisir le Christ radicalement, comme Marie-Madeleine, c’est naviguer en pleine tempête au milieu des écueils, y compris pour les clercs, y compris dans la communauté… C’est en cela que j’ai parlé de martyre ! En quoi Marie-Madeleine peut-elle être un modèle pour notre propre conversion ? En ces temps difficiles, on a tous en nous quelque chose de Marie-Madeleine. Malheur au catholique, fût-ce la plus pieuse moniale dans son cloître, qui prétend n’avoir jamais été contaminé par le virus de l’infamie ! Il n’y a ni porteur sain, ni vaccin. Il n’y a pas d’autre chemin que la rémission des péchés ! Le chrétien d’aujourd’hui ne doit pas ressembler à un membre de « la sainte famille machin » moquée par Brassens dans Les amoureux des bancs publics. Un chrétien est fondamentalement un « marie-magdaléen », un pécheur pardonné, libéré de ses démons. Cette femme nous apprend à faire de nos faiblesses guéries et même de nos fautes pardonnées – et non pas de nos forces et de nos perfections morales – la source du témoignage sur le projet de la Miséricorde divine pour l’humanité. Elle nous rabaisse le caquet. C’est une bonne nouvelle ! Ce n’est pas du haut de sa perfection que le témoin donne des leçons, mais au contraire en raison de sa faiblesse guérie et élevée par la Grâce. « Nous n’avons qu’un honneur au monde, c’est l’honneur de notre Seigneur ! » Marie-Madeleine au matin de Pâques : est-ce le sommet d’une longue histoire d’amour, depuis la rencontre du Christ jusqu’à la Croix ? Exactement. C’est d’ailleurs le chemin de l’Église elle-même à chaque génération et particulièrement en ce début de XXIe siècle. L’Église sanctifiée par son Seigneur n’est-elle pas, elle aussi, avec la crise des abus, obligée de se penser à partir de la figure de Marie-Madeleine ? La théologie de l’Église s’est développée à partir de la figure de Marie, entre Immaculée Conception et Assomption. Marie est « la première en chemin » du point de vue eschatologique. L’Église est mariale dans son origine, dans sa destinée et son rôle dans l’Histoire reste d’enfanter la Parole à chaque époque et d’être signe et source de la grâce. Mais l’Église est aussi magdaléenne – on peut aussi penser à la Samaritaine, cette femme aux six compagnons que Jésus rencontre au bord du puits – en ses membres et dans son chemin historique. Marie-Madeleine est « la première en chemin » lorsqu’il s’agit d’avancer avec Jésus, salis de la boue de nos propres fautes. Cependant, ne nous trompons pas de combat : ce n’est pas sur les blessures de l’Église qu’il faut aujourd’hui se pencher, mais sur les blessures du monde… En effet, quoi que puissent en dire ses ennemis, l’Église va bien ! C’est le monde qui va mal. Que nous enseigne sa présence au pied de la Croix ? Dans les Évangiles, Marie-Madeleine se retrouve toujours aux pieds de Jésus. Ce faisant, elle résume toute l’attitude du chrétien devant le Seigneur : elle écoute sa Parole ; elle prie et supplie par ses pleurs ; elle s’offre en versant du parfum. Elle est la disciple bien-aimée et, dès le début, l’Église a vu en elle la bien-aimée du Cantique des Cantiques. Celle qui cherchera son bien-aimé au matin de Pâques. Cette figure s’accomplira dans les récits de la Résurrection… Ce que nous enseigne ce moment-là, c’est que son désir, son grand désir, sera récompensé, comme Jésus l’a promis, au centuple : elle verse des larmes et du parfum, elle sera aspergée de l’eau et du sang jailli du cœur de son Bien-Aimé. Elle recherche un cadavre avec peine, elle est trouvée par le Ressuscité avec joie. Justement, que signifie son cri – « Rabbouni » – du matin de Pâques, sur son lien au Christ ? Peut-on imaginer ce qu’elle a vécu ? Comment vivre Pâques avec ses sentiments ? « Rabbouni » c’est là encore le cri du « gros bon sens » ! Au cœur de l’événement le plus extraordinaire de l’Histoire, il y a la familiarité de cette femme. Elle donne à Jésus un surnom – « petit maître ». Elle lance un cri du cœur. Elle a les pieds sur terre et son cri semble nous dire : « Ce n’est pas un fantôme ! », ce n’est pas non plus une grâce mystique d’apparition : c’est lui ! C’est son corps, son être, son ami, son petit maître… C’est peut-être cela d’ailleurs, en réalité, la grâce mystique : une proximité quasi évidente et simplissime de la présence de Dieu dans notre vie. Pâques n’est pas qu’une « petite chatouille » sur le cœur, un feu de paille émouvant au début de la Vigile pascale… Pâques, c’est le saisissement de toute notre vie par la présence immédiate du Ressuscité. Il est là. Tout reste inchangé. Mais tout est neuf. Que signifient les paroles que lui dit le Christ : « Noli me tangere » ? « Ne me retiens pas. » Je suis beaucoup plus présent que tu ne le penses. Pas seulement comme avant, par ma présence physique, pas seulement comme un souvenir : ma présence se vit désormais à chaque instant et à chaque geste. Il ne s’agit pas de vivre avec le Ressuscité mais de vivre du Ressuscité. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi », dit saint Paul (Ga 2, 20). Rien n’a changé. Mais tout est nouveau. Tout devient surnaturel. Il ne s’agit pas d’intégrer un peu de Jésus dans un quotidien profane et de rester dans un entre-soi douillet. Il s’agit de faire de notre vie la plus banale une tente de la rencontre quotidienne, pour nous et pour les autres. En quoi Marie-Madeleine est-elle un modèle d’apôtre, « l’apôtre des apôtres » ? Tout simplement car, objectivement, elle l’a été. Elle a été envoyée par Jésus : « Va dire à mes frères ! » On peut rajouter qu’elle est un modèle, parce qu’elle est de son temps et qu’elle le reste de notre temps. Parce qu’elle a tout laissé pour le grand amour – quelle liberté ! –, elle est avant tout un témoin et non une donneuse de leçon. Comme le dit Benoît XVI, tout commence pour elle par une expérience, une rencontre avec un événement, et non par un choix éthique et idéologique. Désormais, le Christ seul compte pour elle, et non pas sa propre image. Est-elle la première évangélisatrice de la France ? C’est surtout la première évangélisatrice tout court. Jésus l’a annoncé lui-même : « Amen je vous le dis : partout où l’Évangile sera proclamé – dans le monde entier –, on racontera, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire ! » (Mc 14, 9). Et puis, factuellement, elle fut la première à annoncer le kérygme [le contenu essentiel de la foi, NDLR] dans son intégralité, en étant le premier témoin de la Résurrection. Qu’a-t-elle été faire en Provence, près de Marseille ? La tradition provençale – bien plus fondée qu’on ne le pense ! – nous indique qu’après avoir été jetés sur une barque à la mer par leurs persécuteurs, avec son frère Lazare, sa sœur Marthe et d’autres, Marie-Madeleine a évangélisé la région de Marseille. Avant de se retirer dans une grotte, sur le massif de la Sainte-Baume. Elle y vivra une trentaine d’années dans le recueillement et la pénitence, pour être tout à Jésus, inondée sans cesse de la joie d’être aimée et sauvée, dans une rencontre sans fin avec celui qu’elle ne put retenir au jardin de la Résurrection, mais qui sans cesse l’attire à elle.
—  marie-madeleine_david-macaire.jpgMarie-Madeleine. Itinéraire spirituel d’une femme libérée (nouvelle édition), David Macaire, éd. Licorne, 2021, 120 p., 10 €.