Louis XVI, ou l'effondrement d’un régime - France Catholique
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Louis XVI, ou l’effondrement d’un régime

Les éditions Litos ont eu la bonne idée de ressortir en poche la biographie de Louis XVI par Jean de Viguerie (1935-2019). Un travail d’historien sur la fin d’un régime, incluant certaines coïncidences troublantes avec notre XXIe siècle…
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Le roi Louis XVI reçoit à Reims l’hommage des Chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit après son sacre le 13 juin 1775, Gabriel Francois Doyen, 1776, musée et domaine national de Versailles, France.

Un temps attiré par les encyclopédistes du XVIIIe siècle – que Jean de Viguerie appelle « la secte », pour leur volonté féroce de détruire l’Église : « Écrasons l’infâme » prônait Voltaire –, le roi Louis XVI (1754-1793) fut en tout cas influencé par leurs idées libérales en matière économique, afin de moderniser la vieille monarchie pour le bien de ses sujets – loin de l’image faussée d’un roi indolent, même si le pouvoir lui pèse. Mais la conséquence est que cet esprit utilitariste a déjà gagné les mentalités avant même la Révolution : sous le règne de Louis XVI, on travaille déjà le dimanche dans la manufacture royale de Saint-Gobain. Comme l’écrit justement l’abbé Bergier en 1788, pour soulager la misère, « on continue à faire quelques réformes, mais on ne porte pas la cognée à la racine du mal, à la rapacité des grands ; c’est le ver rongeur qui fait sécher l’arbre ».

À certains égards, la situation de la France de 2025 ressemble à cette période pré-révolutionnaire : une frange de la population est en voie d’appauvrissement, proche de sombrer dans l’indigence, quand les nantis vivent dans un luxe insolent. Dans ce milieu des élites, « l’esprit de jouissance règne en maître », analyse en effet Jean de Viguerie, citant le comte de Ségur : « Nous jouissions avec incurie et des avantages que nous avaient transmis les anciennes institutions, et de la liberté que nous apportaient les nouvelles mœurs. » Le tableau n’est guère reluisant. Jeu, débauche, immoralité et irréligion s’étalent ouvertement dans la noblesse, rapportait à son tour Madame de la Tour du Pin, jusqu’aux orgies mondaines… Dans les milieux littéraires, la pornographie fait partie du paysage, comme « compagnon de route » de la philosophie des Lumières, marquis de Sade en tête.

Déchristianisation

Le résultat est que dans toute la France, la corruption des mœurs se répand, à la suite de la noblesse, que la prostitution et l’ivrognerie se développent dans le peuple. Sans compter la hausse de la criminalité et des vols, du fait de la paupérisation.

Bien sûr, la cause profonde réside dans l’incroyance et la déchristianisation, à l’œuvre dans toutes les couches de la société. L’état du clergé n’est pas brillant, souligne Jean de Viguerie, avec un tiers des évêques qui n’habitent pas dans leurs diocèses. Les vocations monastiques et sacerdotales sont en berne, parfois même avec la complicité ou l’indifférence du pouvoir royal, s’agissant des mesures destinées à décourager les vocations de moines – car considérées comme inutiles – avec la bénédiction de l’archevêque de Toulouse, Mgr Loménie de Brienne, mondain acquis aux idées des Lumières…

Le coup de boutoir du régime est donné par les parlements. Eux se réclament de l’autorité de la Nation, distincte du roi selon eux. L’autorité militaire étant elle-même gagnée par la contestation, le roi renonce à l’épreuve de force et convoque les états généraux, où le tiers état obtient le doublement de ses représentants et le vote par tête – et non plus par ordre –, qui entraîneront la perte du monarque. Jean de Viguerie note cependant que le peuple a été manipulé par d’habiles « machinistes de la Révolution ». L’expression elle-même est de Camille Desmoulins, qui en détaillera le mécanisme dans un discours du 21 octobre 1792 prononcé à la tribune du club des Jacobins. « Cette révolution, dira-t-il, ce n’est point un paradoxe [de dire] que le peuple ne la demandait pas, qu’il n’est point allé au-devant de la liberté, mais qu’on l’y a conduit. […] Le peuple de Paris n’a été qu’un instrument de la Révolution. »

Ce n’est qu’après la fuite avortée à Varennes que le roi revient à des sentiments religieux plus profonds, comme le montre son intention de consacrer la France au Sacré-Cœur à Notre-Dame de Paris s’il en réchappe, sous l’influence d’un prêtre eudiste. Reste enfin la mort admirable d’un roi vertueux et bon, qui jusqu’au bout a été pénétré de son éminente responsabilité et tient la guerre civile en horreur : « La nation est égarée, et je suis prêt à m’immoler pour elle », affirme-t-il à Malesherbes le 18 janvier 1793, trois jours avant sa mort. Réalisant ainsi, paradoxalement, la vocation du roi qui ne s’appartient plus, jusqu’au sacrifice ultime.

La conclusion de Jean de Viguerie sur cette étrange tragédie est que Louis XVI a été le premier à lutter contre les idéologies révolutionnaires et leur utopie, puissances redoutables dont on ne connaît alors ni la nature ni le remède. Est-ce toujours le cas ?

Louis XVI. Le roi bienfaisant, Jean de Viguerie, éd. Litos, 2025, 608 pages, 10,90 €.