Cet article est un second extrait adapté des commentaires de l’auteur à l’université de Georgetown lors d’un colloque : Quel modèle, quelle liberté ? les différences entre l’approche de la liberté religieuse aux Etats-Unis et en Europe.
Chaque fois que les pratiques des institutions religieuses entrent en conflit avec les politiques menées par l’Etat laïque – comme dans le cas du HHS1. On se souvient des réactions face à l’Obamacare (HHS Mandate) qui veut obliger les institutions religeuses à fournir à leurs employées une couverture santé incluant l’avortement. – inévitablement, quelqu’un cherche à régler le conflit en demandant si, et dans quelle mesure, les institutions religieuses apportent leur contribution à la société civile, et sur quelle base l’Etat laïque doit limiter son emprise pour s’adapter à ces pratiques religieuses.
Cette façon de chercher une solution présuppose que les communautés religieuses doivent d’une certaine façon justifier leur existence en terme de bénéfices pouvant être apportés à une société civile vue comme auto-suffisante. Mais pourquoi devrions-nous tenir pour exact ce prémisse tacite ?
Il n’y a pas une injonction de la raison nous enjoignant de n’affecter aucune limite à l’Etat laïque et de présupposer que son pouvoir omniprésent est justifié prima facie. Même si cette hypothèse est ce qui se cache derrière la plupart des demandes normatives sur la place des communautés religieuses dans la vie publique, je ne vois pas pourquoi nous devrions l’accepter sans esprit critique.
Après tout, nous pouvons aborder ce même sujet en posant des questions qui ne se basent pas sur cette hypothèse controversée. Imaginez, par exemple, de soulever cette question : notre organisation présente, la qualité et le caractère de nos institutions, les intuitions morales et les convictions anthropologiques qui ont motivé leur création, n’ont-ils pas surgi en premier lieu pour permettre la mise en pratique de la foi des communautés religieuses ?
Considérons le cadre où je me trouve depuis trois semaines, l’université Georgetown, où je participe à une conférence universitaire sur la religion et la vie publique.
Georgetown est un établissement catholique, fondé par les Jésuites, un ordre créé en réponse à la Réforme Protestante. Mon propre établissement, l’université Baylor, plus vieux que l’Etat du Texas lui-même, a été fondé par les Baptistes, qui sont à juste titre fiers de leur tradition de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Baylor, comme Georgetown, ont établi un hôpital, une école de médecine, et d’autres innombrables projets sous-tendus par leur engagement théologique.
Ces merveilleuses réalisations, quoi qu’il en soit, ne sont pas exceptionnelles. Des institutions de ce type, et des foules d’autres au service du bien commun, ont été créées et développées par des Presbytériens, des Méthodistes, des Juifs, des Mormons, des Episcopaliens, des Musulmans, des membres de l’Armée du Salut, des Adventistes, pour n’en nommer que quelques-uns.
Dans tous ces cas, les communautés religieuses professent que la création de ces institutions est une mise en application des commandements moraux de leurs textes sacrés. Ces commandements moraux présupposent une compréhension d’origine théologique tant de la nature humaine que du bien de l’homme.
Par conséquent, il n’est pas surprenant que les tentatives laïques pour justifier les institutions d’ Etat et leurs pratiques fassent souvent appel à des notions qui semblent fonctionner comme des versions non religieuses des croyances théologiques qu’elles s’emploient à remplacer, même si cela est rarement avoué.
Par exemple, le regretté philosophe d’Harvard John Rawls ( 1921-2002) nous dit que les premiers principes de justice dérivent de la réflexion d’un petit cercle d’humains, éclairés par leur innocence personnelle et le point de vue de Dieu, et ainsi capables de jeter les bases sur lesquelles reposent l’égalité et la dignité humaines.
Il est difficile de croire que Rawls aurait cru une telle explication plausible s’il n’avait été intellectuellement formé dans notre civilisation. Une civilisation basée sur un récit de création où l’homme, originellement, pensait de façon juste et ordonnée à la pensée divine et n’a jamais perdu l’imago dei, la conscience de sa dignité intrinsèque, même après la chute.
C’est cette compréhension de la condition humaine et de sa grandeur qui donne son sens aux institutions, œuvres de bienfaisance et mode de vie produits par la large variété de communautés religieuses que j’ai mentionnées plus haut.
Donc, plutôt que demander comment les communautés religieuses contribuent à la société civile, comme si nous pouvions les extraire et les isoler sans changer ce qui resterait alors, je trouve que la plus intéressante question que nous puissions poser est celle-ci : à quels risques s’expose une société civile avec sa multitude d’idées et d’institutions d’inspiration théologique si les communautés religieuses et leurs institutions sont marginalisées par des politiques et des tendances culturelles intrinsèquement hostiles à leur mission.
Fancis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’ecclésiologie à l’université de Baylor.
Photo : Le philosophe John Rawls.
— –
http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/religious-institutions-civil-society-and-secularisms-disguised-burden.html