Les germes de destruction - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Les germes de destruction

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Le philosophe G.W.F. Hegel (1770-1831) a dit que toute civilisation (à l’exception de la toute dernière) contenait en elle-même les germes de sa propre destruction. Et que cela explique comment l’histoire va de l’avant. A) une civilisation avancée finit par s’auto-détruire et est remplacée par B), une civilisation encore plus avancée ; ensuite B) s’auto-détruit et est remplacée par C), une civilisation encore meilleure ; et ainsi de suite jusqu’à ce que l’humanité arrive finalement à la meilleure des civilisations possibles, qui, elle, ne s’auto-détruira pas.

Karl Marx (1818-1883) était une sorte d’hégélien anti-Hegel ; rejetant certaines sections d’Hegel et gardant les autres. Une des sections qu’il a retenues est la notion de « germes de destruction ». D’après Marx, le capitalisme, bon sous certains aspects et mauvais sous d’autres, crée nécessairement le prolétariat (la classe laborieuse urbaine) ; et c’est ce prolétariat qui est le germe de destruction du capitalisme. Avec le temps, le prolétariat devient nombreux, bien organisé et plus puissant que la classe capitaliste à l’origine de son existence. Les prolétariens feront alors une révolution, renverseront les capitalistes, aboliront la propriété privée et créeront une société utopique qui est le communisme, sans classe, prospère et pleinement démocratique. L’histoire humaine a une fin heureuse.

Un Hegel actuel pourrait-il défendre l’argument que le christianisme contient en lui-même les germes de sa propre destruction ? Je le pense. De fait, c’est exactement l’argument soutenu par les membres du mouvement LGBT. Ils n’en font pas précisément un argument construit. Ils ne citent ni Hegel ni Marx. Ils ne proposent pas un syllogisme destiné à convaincre un spectateur indifférent que le christianisme va s’auto-détruire. Ils agissent et argumentent selon l’hypothèse que le christianisme contient le germe de sa propre auto-destruction – et que ce germe, se développant, est actuellement en train de détruire la chrétienté.

Mais quel est ce germe de destruction ? C’est la caritas, l’agape, l’amour du prochain.

Il y a un demi-siècle, Joseph Fletcher, un pasteur épiscopalien professeur à l’Ecole Episcopale de Théologie de Cambridge, a écrit un ouvrage théologique à succès intitulé « Ethique de situation : la nouvelle morale ». Fletcher affirme que le christianisme, qui à première vue semble avoir plusieurs commandements, n’en a en réalité qu’un seul : aime ton prochain, agis toujours de façon aimante. L’éthique du christianisme est une éthique d’amour.

Cela signifie parfois, disait Fletcher, que pour obéir à la loi morale suprême, la loi d’amour, on soit conduit à violer des lois de moindre importance. Dans une annexe de son livre, Fletcher présente quelques cas illustrant sa thèse.

L’un d’entre eux parle d’une Allemande faite prisonnière par les Russes à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et incarcérée dans un camp en Ukraine. Durant ce temps, de retour à Berlin, son mari et ses enfants étaient désespérés de ne pas retrouver sa trace. Elle l’apprit. Elle avait compris qu’un moyen d’être libérée du camp et de pouvoir rejoindre sa famille était de devenir enceinte. Alors elle demanda à un gardien sympathique de la mettre enceinte. Ce qu’il fit. (Qu’il l’ait fait dans un esprit de charité chrétienne ou pour toute autre raison, Fletcher ne nous le dit pas.)

La femme fut par conséquent libérée et rejoignit sa famille qui fut heureuse de l’accueillir, elle et son bébé à venir. Cette femme avait violé le commandement interdisant l’adultère, mais elle l’avait fait dans le but d’obéir à un commandement plus grand, celui de l’amour – dans ce cas précis, l’amour de son mari et de ses enfants.

Dans l’opinion de Fletcher, il n’y a en principe aucune règle de morale chrétienne qui ne souffre des exceptions, aucune règle qui ne puisse être violée par amour dans certaines circonstances. Vous pourriez par exemple tuer votre mère si ce faisant vous sauviez dix mille vies. (Cet exemple est de moi et non de Fletcher.) Fletcher pourrait répondre à cet exemple matricide : « ne soyez pas idiot, il ne se produira jamais une situation telle que vous puissiez sauver dix mille personnes en tuant votre mère, votre exemple est purement hypothétique. » C’est probablement vrai. Mais si le cas se produisait quand même, Fletcher – s’il est logique avec lui-même – devrait dire que le meurtre de votre mère serait l’action chrétienne à faire.

L’idée est celle-ci : le commandement chrétien « aime ton prochain » étant le commandement suprême, prime sur tous les autres commandements, c’est-à-dire : tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas l’adultère, tu ne tueras pas, tu ne pratiqueras pas d’avortement, tu n’auras pas de relations homosexuelles.

Il y a des décennies, le mouvement LGBT a commencé à diffuser d’affligeantes histoires de personnes homosexuelles « nées comme ça » et qui voulaient deux droits humains fondamentaux : être « ce qu’ils sont réellement » et pouvoir épouser la personne qu’ils aiment. Nous étions sommés de ressentir de la compassion pour ces personnes opprimées par un régime culturel d’homophobie. Nous devions être gentils. Et si nous étions chrétiens, nous devions montrer de l’amour pour nos prochains homosexuels en déclarant qu’en effet : « dans ce domaine (l’homosexualité), notre religion a tort depuis deux mille ans. »

Dans les églises protestantes progressistes (mais pas dans les églises protestantes conservatrices) les restrictions bibliques et chrétiennes vis-à-vis du comportement homosexuel ont été ouvertement répudiées. Des homosexuels « actifs », hommes et femmes, ont été ordonnés pasteurs.

Parmi les jeunes catholiques, il y a un large consensus pour répudier l’enseignement chrétien traditionnel sur l’homosexualité ; demandez à n’importe quel étudiant d’un établissement catholique. Pourtant parmi nos prêtres et évêques, il n’y a pratiquement pas eu de répudiation ouverte. Une bonne nouvelle ? Pas exactement car il y a eu beaucoup de répudiation implicite. Si le vieux proverbe affirmant « qui ne dit mot consent » dit vrai, alors nos ecclésiastiques, par leur silence presque constant concernant l’homosexualité, ont donné leur consentement alors que la société américaine dérivait de plus en plus vers la conviction que l’homosexualité est une bonne chose.

Il serait bien inutile de dire que quiconque rejette l’ancien enseignement chrétien sur l’homosexualité rejette le christianisme lui-même. Une idée mal comprise de « l’amour du prochain » – ou devrais-je dire une version sentimentaliste de cette idée – est en train de ruiner le catholicisme aux USA. Nous devons nous rappeler que le commandement d’aimer n’annule pas l’interdiction des comportements homosexuels. Il explique cette interdiction.


David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : « la destruction de Sodome et Gomorrhe » par Jules-Joseph-Augustin Laurens, vers 1880 [musée des Beaux-Arts d’Orléans]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/08/10/seeds-of-destruction/