Les nouvelles du front sociétal sauraient-elles être pires ? Le permis de tuer les vieux a été signé par la Cour de Bayonne, celui d’effacer un peu plus la réalité de la famille vient de l’Élysée comme de Matignon, celui enfin de ne plus reconnaître en leurs spécificités complémentaires les êtres humains sort des frasques de toute une Intelligentsia incapable de se hausser au-dessus de son nombril.
Le fait qui frappe mon esprit – si l’esprit est au rendez-vous – c’est la façon dont les divers concernés par le procès du Docteur Bonnemaison ont oublié le sujet du procès réel pour filer en douce de ce qui était au début nommé crime à la supposée compassion réclamé par le coupable ! Ce meurtrier – car enfin il a envoyé ad patres sept personnes et peut-être une huitième ! – a vu fondre comme neige sa culpabilité et grandir jusqu’au sommet de la Rhune la mansuétude de son âme si ardemment saisie par la souffrance que lui causait le spectacle de la misère subie par ses patients ! Mon Dieu, peut-être que le pauvre homme souffrait le martyre, mais c’était son problème et il n’avait pas à faire passer le trouble de son système nerveux sur celui des autres ! Faudra-t-il désormais prier pour que nos infirmiers et médecins n’éprouvent aucune compassion envers leurs patients, qu’ils soient seulement attentifs à ne faire que leur métier comme cela ne devrait aller que de soi ?
Je veux bien croire que ce personnage des plus falots ait eu à un moment donné les neurones embrouillés, les synapses enroulés à l’envers et donc leur esprit ennuagé au point de ne plus rien comprendre à ce qu’est le destin de chaque être humain : et notamment qu’une vie intérieure se déroule à l’insu de tous ceux qui gravitent autour d’un malade et même d’un malade apparemment déconnecté. Et plus encore en l’âme et l’esprit d’un mourant.
Pas un seul vivant ne devrait jeter aux orties des instants de l’agonie : il se passe alors quelque chose d’absolument important, et tant pis s’il y en a qui ne savent même pas que Dieu existe ! Et que ce Dieu les aime ! Et qu’Il a besoin de ces instants ultimes dont dispose encore l’agonisant pour lui faire voir à quel point il est décisif pour lui de contempler, ne fut-ce qu’allusivement, quelque chose de sa Lumière, de sa Beauté, de sa Vie ! Et que donc alors puisse s’exprimer (ou non), au plus profond, au plus invisible de l’être, un accord, une réponse heureuse, qui signifierait qu’enfin ce qui avait été obscur, incompris pendant 80 ans, se trouve enfin éclairé et accepté.
Que ce point de vue, capital, issu directement de la foi chrétienne, doive être respecté au point de faire rejeter toute tentative de ce qui est nommé absurdement euthanasie, voilà ce qui doit être réclamé par les chrétiens, car ils entendent bien que pareille ignominie bayonnaise ne puisse plus jamais, malgré l’alibi scabreux de la compassion, se reproduire.
(Une remarque pour me détendre le système neuronal ! Le pauvre ancien ministre de la Santé, je crois qu’il se nomme M. Kouchner, suggère de supprimer le mot euthanasie, mais en donnant une justification franchement rigolarde à sa proposition, sans doute pour justifier sa réapparition soudaine sur les plateaux de la Renommée : parce qu’il a à la fin du mot le son « nazi » ! Et parce qu’également il faut tout adoucir lorsqu’on aborde ces questions, ne serait-ce, je le suppose, que pour que tout le monde trouve en effet qu’assassiner les vieux c’est très bien et qu’il est excellent, par contre, de venir au secours d’une autre moribonde, notre Sécurité sociale !)
Que l’on m’entende bien : je ne veux pas accabler le docteur bayonnais ! Je veux seulement que la Justice fasse son travail convenablement, et que l’on ne substitue pas au sujet principal une option secondaire. La compassion dont se pare le docteur – et il a eu le temps avec son avocat de peaufiner l’argument ! – ne pouvait pas être invoquée pour supprimer les faits, qui ont pourtant disparu parce que tout le monde s’est mis à plaindre le récidiviste et à ne plus penser au motif qui l’avait conduit à comparaître devant la Cour.
Les Jurés ont été menés en bateau avec ce fantôme de la Compassion. La réalité des cadavres leur a été camouflée : manœuvre qu’il est facile d’évoquer puisque dès avant l’ouverture du procès, tout le monde semblait savoir que le docteur compatissant serait acquitté. Il devrait aller de soi que ce procès soit rouvert, non plus à Bayonne mais à Carpentras, ou Lille, ou Riom ! Je comprends mal que des proches des assassinés ne se soient pas aussitôt levés pour réclamer que l’on aille en Appel !
Il y va d’un bien qu’il faut retrouver, car à la suite du jugement énoncé toute personne âgée (ou non) se trouvant à l’hôpital dans un état qui ferait éprouver à une infirmière, une aide soignante ou un médecin le sentiment de compassion abusivement brandi à Bayonne, se trouverait en danger de passer de vie à trépas sans autre forme de procès.
La coupe est pleine, même si l’on peut prévoir avec Benoît Hamon des surcharges et des trop-pleins. Vivement qu’un peu de chahut, de sifflet, de grands cris et même des chansons audacieuses lui soit infligé. « Notre » gouvernement s’est en effet particulièrement distingué en ces derniers mois : trop peu (à mon sens) la Manif pour tous ! J’espère que, dès le début de l’automne, des décisions énergisantes seront prises : j’ai hâte en effet, malgré mon dos récalcitrant, de « bouger », de rejeter, ou vomir, le flot montant de mes dégoûts (autant de hontes publiques qui finiront par nous anesthésier si nous ne nous remuons pas avec vigueur, dès les sacro-saintes vacances passées).
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Entre les deux « retraités » que nous sommes ma femme et moi, la conversation du petit matin ne fut pas flamboyante : nous ne voulons pas aller mourir dans un hôpital de la main de n’importe quel irresponsable assuré de son innocence. « Cette décision des Bayonnais donne froid dans le dos », a murmuré ma femme : de soi-disant juges, en somme, ont déclaré qu’était innocent celui qui « aida » benoîtement quelques huit « vieux » à s’extraire du monde des humains ! Probable que ce sont ces morts qui devaient être coupables d’avoir vécu trop longtemps ! Il devenait urgent (n’est-il ? comme disent les Anglais) que ce scandale soit enfin effacé !
« L’Immonde a désormais son trône en France », me disais-je en me levant : comme s’il n’y avait jamais posé son auguste fessier ! Tout au long de ma vie je l’ai vu à l’œuvre en tous lieux et même en moi ! Sinon, comment serais-je en mesure de le reconnaître ? Mais ses valets officiels ont, à Paris, haussé le ton et le servent désormais avec davantage d’impudence et les lois qu’ils traficotent à l’ombre de leur cercueil ne sont que l’expression de leur nullité ordinaire, de ce néant pervers qu’ils revendiquent avec l’assurance des dogmatiques, cherchant à nous l’imposer.
Jamais je n’ai ressenti à ce point le règne présent et prégnant de la Bêtise et de l’Ennui, vrais démons : réalités à prendre au sens baudelairien du mot. Lisez, lecteur, le premier poème des ‘’Fleurs du Mal’’ : Au lecteur !
Il m’est arrivé, une seule fois dans ma vie de comédien, d’enregistrer sur une cassette, trente cinq des poèmes de ce recueil tragique, où le poète, en une langue sublime, fait le « portrait » spirituel de la société de son temps, tel un médecin diagnostiquant la Peste. Et je n’ai fait cela qu’à cause de cette intention qui était la sienne : montrer l’horreur de cette gale ignoble qui atteignait les êtres sous la splendeur des apparences.
« C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent », écrit Baudelaire, bien assuré d’avoir, hélas, raison. Et le Diable, immortel, est toujours là et se joue des marionnettes actuellement au pouvoir, leur cachant, juste un moment, la sombre nuit qui les attend : « Chaque jour vers l’Enfer [ils descendent] d’un pas », puis-je aujourd’hui le paraphraser … « Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes, / Dans [leurs] cerveaux ribote un peuple de Démons » …
Bien entendu, le poète pense à chacun des membres de la société, nous tous en somme : car enfin il a fallu une majorité pour leur permettre de monter les degrés du Palais. Et une minorité pas encore assez déterminée pour les en faire descendre. Il est vrai que les nullités en question disposaient d’une arme au tranchant sans cesse affuté, le mensonge.
Ce après quoi en avait le docteur qui organisa ce somptueux bouquet de charognes, ce ne sont que « nos vices », leur « ménagerie infâme » ! Faut-il pour autant désespérer ? Se désespérer … et dans le même élan laisser notre âme s’écrouler au sein des « ténèbres qui puent » ?
Assurément non ! Le désespoir est une infirmité de l’esprit, de l’âme, du cœur ! Au plus profond de l’abîme que font dévaler à la France, à son peuple, les pantins dérisoires qui se sont hissés au sommet d’un pouvoir absurde parce que vidé de toute transcendance, en ce « plus profond » la Lumière finit toujours par y descendre. Et je crois qu’elle commence à percer la croûte visqueuse du mensonge.
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Un bref exposé sur le Démon
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Le droit au mariage des personnes transsexuelles devant la Cour européenne
- Visite temporaire en la mort, dite imminente