Le prêtre du printemps - France Catholique
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Le prêtre du printemps

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Le soleil est devenu plus fort et l’air s’est adouci juste avant le jour de Pâques. Mais c’est un éclat troublé qui respire non seulement la nouveauté mais aussi la révolution. Deux grandes armées de l’intellect humain lutteront jusqu’à la fin au sujet de cette question vitale, de savoir si Pâques doit se féliciter de coïncider avec le printemps – ou le printemps de coïncider avec Pâques.

Les deux seules choses qui peuvent satisfaire l’âme sont une personne et une histoire; et même une histoire doit se référer à une personne. On trouve en effet de très voluptueux appétits et plaisirs dans de simples abstractions telles que les mathématiques, la logique, ou les échecs. Mais ces simples plaisirs de l’esprit ressemblent aux simples plaisirs du corps. C’est-à-dire que ce sont de simples plaisirs, bien qu’ils soient peut-être d’énormes plaisirs; même en augmentant, ils n’équivaudront jamais au bonheur. Un homme sur le point d’être pendu peut trouver du plaisir à manger son petit déjeuner, surtout si c’est son petit déjeuner préféré, et il peut, de la même façon, prendre plaisir à une discussion sur l’hérésie avec l’aumônier, surtout si elle est au sujet de son hérésie préférée. Mais qu’il prenne plaisir à l’un ou à l’autre ne dépend ni de l’un ni de l’autre; cela dépend de son attitude spirituelle envers un événement ultérieur. Et cet événement est vraiment intéressant pour l’âme, parce que c’est la fin d’une histoire et (comme certains le pensent) la fin d’une personne.

Maintenant, c’est cette simple vérité qui, comme beaucoup d’autres, est trop simple pour que nos savants la voient. C’est là qu’ils se trompent, non seulement au sujet de la vraie religion, mais au sujet des religions fausses aussi; de telle sorte que leur exposé sur la mythologie est plus mythique que le mythe lui-même. Je ne veux pas dire seulement qu’ils sont tout à fait dans l’erreur quand ils déclarent (par exemple) que le Christ était une légende de végétation mourant et ressuscitant, comme Adonis et Perséphone. Je dis que, même si Adonis était le dieu de la végétation, ils se trompent complètement sur lui. Pour commencer, personne ne s’intéresse suffisamment aux légumes qui pourrissent, en tant que tels, pour en faire un mystère particulier ou le déguiser; et certainement pas assez pour les cacher sous l’image d’un jeune homme très beau, ce qui est infiniment plus intéressant. Si Adonis était lié à la chute des feuilles d’automne et le retour des fleurs du printemps, le développement de la pensée était bien différent. C’est un développement de la pensée qui jaillit spontanément chez tous les enfants et jeunes artistes; il jaillit spontanément dans toutes les sociétés saines. Il est très difficile de l’expliquer dans une société malade.

Le cerveau de l’homme est sujet à de courtes et étranges périodes de sommeil. Un nuage ferme la cité de la raison ou se repose sur la mer de l’imagination; un rêve qui assombrit tout autant, que ce soit un cauchemar d’athéisme ou une rêverie d’idolâtrie. Et au moment où nous sommes tous sortis brusquement du sommeil et nous sommes trouvés en train de dire une phrase dénuée de sens, sauf dans les langues folles du milieu de la nuit, de même l’esprit humain s’éveille en sursaut de ses transes de stupidité avec une expression complète sur les lèvres; une expression complète qui est une folie absolue. Malheureusement, ce n’est pas comme la phrase du rêve, généralement oubliée tandis que l’on met ses bottes ou prépare le petit déjeuner. Cet aphorisme qui ne signifie rien, inventé quand l’esprit de l’homme dormait, est encore suspendu à sa langue et emmêle tous ses rapports aux choses rationnelles et diurnes. Toutes nos controverses sont embrouillées par certains genres d’expressions qui sont non seulement fausses, mais toujours dénuées de sens, qui sont non seulement inapplicables, mais toujours intrinsèquement inutiles. Nous les reconnaissons quand un homme parle de « la survie des mieux adaptés,» ce qui veut seulement dire la survie des survivants; ou quand un homme dit que les riches « ont des intérêts dans le pays, » comme si les pauvres ne pouvaient pas souffrir d’un mauvais gouvernement ou d’une défaite militaire, ou quand un homme parle d’ « aller vers le Progrès, » ce qui veut seulement dire aller de l’avant vers l’avant; ou quand un homme parle du « gouvernement par les quelques sages, » comme si on pouvait les choisir d’après leurs pantalons. « Les quelques sages » doit signifier ou les quelques-uns que les fous trouvent sages ou les très fous qui pensent qu’ils sont sages.

Il y a une idiotie que les gens modernes disent, même quand ils sont plus ou moins réveillés, et qui m’irrite particulièrement. Elle est née dans la science populaire du 19e siècle, utilisée surtout quand il s’agissait de l’étude des mythes et des religions. Le fragment de charabia dont je parle prend généralement la forme de: « Ce dieu ou ce héros représente en réalité le soleil. » Ou : « Apollon tuant le python veut dire que l’été chasse l’hiver. » Ou « Le roi mourant dans une bataille à l’ouest est le symbole du soleil qui se couche à l’ouest. » Maintenant, j’aurais vraiment dû penser que même les professeurs sceptiques, dont les crânes sont aussi creux que des poêles à frire, auraient pu trouver que les êtres humains ne pensent ou ne sentent jamais cela. Examinez ce que contient cette supposition. Elle suppose que l’homme primitif est sorti se promener et qu’il a regardé avec grand intérêt une large tache brûlante sur le ciel. Alors, il a dit à la femme primitive : « Ma chère, il vaut mieux ne pas en parler. Il ne faut pas que ce soit su.
Les enfants et les esclaves sont tellement malins. Ils pourraient découvrir le soleil un de ces jours si nous ne faisons pas grande attention. Donc, nous ne l’appellerons pas ‘le soleil’, mais je vais dessiner un homme qui tue un serpent, et quand je ferai ça, tu sauras ce que je veux dire. Le soleil ne ressemble pas du tout à un homme qui tue un serpent, alors absolument personne ne pourra savoir. Ce sera notre petit secret, et tandis que les esclaves et les enfants s’imagineront que je suis passionné par la magnifique histoire d’un dragon contorsionné et d’un demi-dieu qui lutte, je voudrai vraiment PARLER de cette délicieuse petite découverte qu’un disque rond et jaune se trouve dans les airs. » On n’a pas besoin d’être un expert en mythologie pour savoir que c’est un mythe. On l’appelle ordinairement le Mythe Solaire.

Naturellement, c’était tout le contraire. Le dieu n’a jamais été un symbole ou un hiéroglyphe représentant le soleil. Le soleil était un hiéroglyphe représentant le dieu. L’homme primitif… est apparu la tête pleine de dieux et de héros, parce que c’est ce à quoi la tête sert principalement. Puis il a vu le soleil au milieu d’une apothéose glorieuse de midi à l’angoisse de la tombée de la nuit, et il a dit : «  Voilà comment le visage du dieu brillerait quand il aurait tué le dragon, » ou «  Voilà comment le monde entier saignerait à l’ouest si le dieu était enfin tué. »

En fait, aucun être humain n’a jamais été assez anormal pour vénérer la Nature. Aucun homme, même porté à l’indulgence pour la corpulence (comme je le suis), n’a jamais vénéré un homme aussi rond que le soleil ou une femme aussi ronde que la lune. Aucun homme, même très attiré par une atténuation artistique, n’a jamais vraiment cru que la Dryade était aussi mince et raide que l’arbre. Nous autres humains n’avons jamais vénéré la Nature, et en fait, la raison en est très simple. C’est que tous les êtres humains sont des êtres surhumains. Nous avons imprimé notre propre image sur la Nature, comme Dieu a imprimé Son image sur nous. Nous avons dit à l’énorme soleil de ne pas bouger; nous l’avons gravé sur nos boucliers ne tenant pas plus à une étoile qu’à une étoile de mer. Et quand nous étions confrontés à des forces de la Nature que nous ne pouvions pas contrôler à ce moment-là, nous avons conçu de magnifiques êtres à la forme humaine qui pouvaient les contrôler. Jupiter ne veut pas dire tonnerre. Le tonnerre signifie la marche et la victoire de Jupiter. Neptune ne veut pas dire la mer; la mer est à lui, il l’a faite. Autrement dit, ce que le sauvage a dit au sujet de la mer était en fait : « Seul mon fétiche Mumbo pourrait faire sortir de telles montagnes de l’eau. » Ce que le sauvage a dit au sujet du soleil était en fait : « Seul mon arrière arrière grand-père Jumbo pourrait mériter une si brillante couronne. »

Pour tous ces mythes, ma propre position est absolument et même tristement simple. Je dis que vous ne pouvez vraiment comprendre aucun mythe jusqu’à ce que vous ayez découvert que l’un d’entre eux n’est pas un mythe. Les navets fantômes ne veulent rien dire s’il n’y a pas de vrais fantômes. Les faux billets de banque ne veulent rien dire s’il n’y a pas de vrais billets de banque. Les dieux païens ne veulent rien dire, et ne doivent jamais rien dire à ceux d’entre nous qui nient le Dieu des Chrétiens. Une fois qu’un dieu est reconnu, même un faux dieu, le Cosmos commence à connaître sa place qui est la seconde place. Une fois que c’est le vrai Dieu, le Cosmos s’écroule devant Lui, Lui offrant des fleurs au printemps comme des flammes en hiver. « Mon amour ressemble à une rose rouge, rouge » ne veut pas dire que le poète loue les roses sous l’allégorie d’une jeune fille. « Mon amour est un arbousier » ne veut pas dire que l’écrivain était un botaniste si content d’un arbousier spécial qu’il disait qu’il l’aimait. « Qui es la lune et le régent de mon ciel » ne veut pas dire que Juliette a inventé Roméo pour expliquer la rondeur de la lune. « Le Christ est le soleil de Pâques » ne veut pas dire que l’adorateur loue le soleil sous l’emblème du Christ. Déesses ou dieux peuvent se vêtir de printemps ou d’été, mais le corps est plus qu’un vêtement. La religion regarde presque avec dédain l’habit de la Nature, et de fait le christianisme a fait aussi bien pour les neiges de Noël que pour les perce-neige du printemps. Quand je regarde les champs couverts de soleil, je sais à l’intérieur de mes os que ma joie ne vient pas seulement du printemps, car le printemps seul, parce qu’il revient toujours, serait toujours triste. Il y a quelqu’un ou quelque chose qui s’avance là, pour être couronné de fleurs, et mon plaisir vient d’une promesse déjà possible et de la résurrection des morts.


G.K.Chesterton (1874 – 1936)  était l’un des écrivains les plus prolifiques de la langue anglaise. Parmi ses nombreux ouvrages l’on trouve Orthodoxy et The Everlasting Man (L’homme qui ne meurt jamais). Cette colonne a été tirée du livre A Miscellany of Men (Collection d’hommes).

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-priest-of-spring.html

Image : La Résurrection par Mikhail Nesterov (1892)