LE POT AU NOIR DE L’ASCENDANCE HUMAINE - France Catholique
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LE POT AU NOIR DE L’ASCENDANCE HUMAINE

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LES LECTEURS DE CETTE chronique (ils ne sont pas les seuls, bien sûr !) savent qu’on ne peut pas visualiser les réalités de la microphysique. Les physiciens, très désireux d’éclairer un peu leurs arcanes, proposent parfois des images, toutes douteuses, dont il vaut mieux se méfier en attendant qu’eux-mêmes comprennent mieux ce qui se passe vraiment dans l’infiniment petit. Pour l’instant, ils ne peuvent que le calculer. Mais cela, ils le font admirablement1. Prenons le cas des constituants fondamentaux de la vie, dont il est en ce moment beaucoup question à propos des deux missions Viking sur Mars2. Ce sont les protéines. Ou mieux encore, au niveau élémentaire immédiatement inférieur, les acides dont sont faites les protéines. On peut très bien comprendre en quoi consistent les acides aminés en se rappelant que tout atome de corps simple (l’oxygène, le fer, le carbone, etc.) se distingue par plusieurs caractéristiques dont l’une, qui dérive de l’incompréhensible principe de Pauli, est le nombre de « crochets » dont il dispose pour accrocher d’autres atomes et constituer des substances composées. Le carbone, par exemple, dispose de quatre crochets, l’hydrogène d’un seul. Donc, pour saturer les crochets d’un atome de carbone avec de l’hydrogène, il faut quatre atomes d’hydrogène (ce composé : un atome de carbone, plus quatre d’hydrogène, est le plus simple des hydrocarbures : le méthane). Revenons aux acides aminés. Leur principe est le suivant : on prend un atome de carbone (4 crochets) ; à l’un des crochets, on accroche un atome d’azote qui, disposant lui-même de trois crochets, en garde donc deux de libres : accrochons-leur à chacun un atome d’hydrogène. On a ainsi accroché d’un côté du premier atome de carbone, un corps (appelons cela plutôt un radical) composé d’un atome d’azote et de deux d’hydrogène. Ce radical est le radical amine. De l’autre côté du premier atome de carbone, accrochons un autre radical, un peu plus compliqué à faire comprendre sans figure, composé d’un deuxième atome de carbone n’ayant qu’un crochet disponible, car les autres sont occupés par deux atomes d’oxygène et un atome d’hydrogène, formant un radical appelé « carboxyle ». On a alors, avec cet atome de carbone flanqué de part et d’autre des deux radicaux amine et carboxyle, un acide aminé. Le lecteur attentif aura remarqué que deux seulement des quatre crochets du carbone central sont occupés : selon la nature de ce que l’on va encore accrocher aux deux autres apparaîtront les divers acides aminés, dont une vingtaine sont utilisés par la vie3. Maintenant oublions tout cela et n’en retenons qu’une idée : le principe de Pauli, avec ses « crochets », justement appelé « finaliste » par le prix Nobel de Physique Alfred Kastler4, donne le départ d’une infime architecture qui fonde la vie, ses mécanismes, son évolution, et finalement (mais est-ce finalement ? n’y a-t-il rien après ?), finalement l’homme. Or, cette architecture n’est pas symétrique. Pour chaque architecture considérée, on peut en imaginer une autre, exactement identique chimiquement, mais qui est l’image de la première dans un miroir. On appelle l’une « droite », l’autre « gauche » (a). Il est très facile de savoir si un acide aminé est droit ou gauche : l’un polarise la lumière à droite, l’autre à gauche. Ce qui est passionnant, et totalement mystérieux, c’est que tous les acides aminés de la matière vivante sont « gauches », et que, quand un être meurt, ses acides aminés tournent lentement les uns après les autres de la forme gauche à la forme droite5. On appelle cela la « racémisation ». Il y a tout juste deux ans, un jeune chimiste de la Jolla, en Californie, a réussi à mettre au point une méthode de datation des vestiges vivants bien plus précise et bien plus souple que le carbone 14 en mesurant simplement le taux de racémisation. Son nom est Jeffrey Bada6. On peut le retenir, car les découvertes que les préhistoriens américains sont en train de faire depuis le début de cet été avec sa méthode remettent en cause tout ce que l’on croyait savoir des origines de l’Homo sapiens ou plutôt de l’homme moderne, aussi appelé Cro-Magnon. Jusqu’ici, on croyait que l’homme moderne avait atteint et colonisé l’Amérique en traversant à pied le détroit de Behring, il y a plus de 12 000 ans, c’est-à-dire à une époque où depuis une ou deux dizaines de milliers d’années déjà il florissait en Europe occidentale, notamment, comme on sait, en France (les Eyzies et les autres célèbres cités du sud-ouest de la France). Divers signes et quelques rares fragments d’os (Fontechevade) avaient permis à des paléontologistes (Vallois) de supposer une beaucoup plus grande antiquité de l’homme moderne, du moins dans son aspect physique. Mais alors que devenait l’homme de Neandertal, jusque-là présumé son ancêtre, encore vivant il y a 40 000 ans ? Dernièrement, on avait convenu de classer cet « ancêtre » parmi les « sapiens ». Redoutable hypothèse, car, du coup, ce « sapiens »-là n’étant plus notre ancêtre, plusieurs espèces humaines auraient à un moment, ou plutôt pendant des dizaines de milliers d’années, cohabité sur notre planète ? Plusieurs espèces humaines ? Quels abîmes philosophiques, peut-être théologiques ! De plus, le « chaînon manquant » entre l’Homo sapiens et le pithécanthrope disparaissait !7 En fait, c’est tout l’édifice de l’ascendance humaine qui s’effondre, et les découvertes que Jason Smith (Université de Californie à Northridge) et sa collaboratrice, Gail Kennedy, sont en train de faire avec leur compère Jeffrey Bada mettent le comble à la confusion : il existait des Homo sapiens en Amérique, il y a 48 000 ans, bien avant notre premier Cro-Magnon européen certifié ! Non seulement, ce sapiens américain enterrait ses morts, preuve d’une croyance manifestement religieuse, mais on a trouvé près de lui des pierres destinées à écraser les graines. Alors là, quel scandale ! Car rien de pareil n’a encore été trouvé ailleurs, il y a, je ne dis pas, 48 000 ans, mais bien 10 0008. Bref, on n’y comprend plus rien. Tous ces hommes préhistoriques ont bien existé, et aussi tous ces préhominiens et autres hominidés. Mais qui est l’ancêtre de qui ? Peut-on même encore parler de filiation entre toutes ces espèces jusqu’ici déterrées ? Ne s’agit-il pas plutôt le plus souvent de filiations et de descendances différentes, toutes éteintes, sauf une, la nôtre, qui ne peut même plus se prétendre la plus distinguée, puisque certains fossiles (Boskop) sont encore plus humains que nous et qu’ils semblent être nos descendants (b) ?9 Très sage, les Docteurs Smith et Kennedy s’abstiennent de fouiller certains sites « pour les laisser intacts à l’étude de nos successeurs plus savants et plus habiles », ont-ils dit. Rare modestie. De l’habileté et de la science, il en faudra, pour démêler la véritable paléontologie de l’homme. Aimé MICHEL (a) Le rôle de la symétrie et de l’asymétrie dans la vie, remarqué, pour la première fois, je crois, par Pasteur, est une question très profonde et énigmatique10. Cela commence aux acides aminés, peut-être même plus tôt, mais l’homme aussi a un côté droit et un côté gauche, un cerveau droit et un cerveau gauche. (b) Nous sommes anatomiquement plus près du singe que l’homme de Boskop. Chronique n° 258 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1555 − 1er Octobre 1976 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 11 mai 2015

 

  1. La difficulté sinon l’impossibilité de se faire une image claire des phénomènes à l’échelle des atomes et des particules élémentaires a été souvent évoquée par Aimé Michel, par exemple dans les chroniques n° 286, Qu’est-ce qui n’est pas dans le temps ni l’espace et qui est infini ? − Le désaveu de la physique qui ne serait que physique (17.03.2014) ou n° 325, Einstein, prophète de l’imprévisible − La querelle du déterminisme (13.04.2015).
  2. L’atterrissage des deux sondes Viking sur Mars en 1976 fait l’objet des chroniques n° 253, Au cœur de l’inconnu (Début) − Viking : un bicentenaire sur Mars, 21.01.2013 et n° 254, Viking et l’autre façon américaine d’être plombier, 28.01.2013. La signification philosophique de cette exploration de Mars (qui se poursuit actuellement comme on sait) est donnée dans une troisième chronique n° 256, Celui qui pleurait à Pasadena, reproduite dans la Clarté au cœur du labyrinthe, Aldane, Cointrin, 2008.
  3. Aimé Michel explique fort bien la structure des 20 acides aminés utilisés par la vie, avec leurs deux parties dont l’une leur est commune et l’autre les différencie, toutes deux attachées à un atome de carbone central. La partie commune, qui justifie leur nom, comporte un atome d’hydrogène H, un groupe acide COOH et un groupe amine NH2. La partie variable est formée de 20 résidus R différents, par exemple un simple atome d’hydrogène (c’est la glycine) ou un radical méthyl CH3 (c’est l’alanine) ou bien encore un groupe alcool CH2OH (c’est la sérine). Une propriété remarquable des acides aminés est que deux quelconques d’entre eux peuvent se lier, le groupe amine de l’un réagissant avec le groupe acide de l’autre. Il se forme ainsi une liaison peptidique − CO − NH − avec élimination d’une molécule d’eau H2O. De la sorte des acides aminés peuvent former des chaînes plus ou moins longues. On appelle ces chaînes polypeptides si elles ont moins de 50 acides aminés et protéines sinon. La plus grosse protéine connue, appelée titine, se trouve dans les muscles : elle possède 26 926 acides aminés. Mais les protéines sont généralement plus petites avec typiquement de 50 à 400 acides aminés. L’ordre des acides aminés dans la chaîne est fixé de manière précise car c’est lui qui confère à la protéine ses propriétés particulières. Ces chaînes ne restent pas droites mais se replient en adoptant certaines formes dans l’espace (on parle de conformations). La forme d’une protéine est fixée par les interactions des résidus entre eux et aussi des résidus avec le milieu aqueux environnant qui font que les résidus hydrophiles tendent à se mettre en surface et les résidus hydrophobes à se rassembler à l’intérieur. De ce fait, une même protéine peut se trouver dans plusieurs conformations suivant les conditions du milieu (température, acidité, présence de petites molécules susceptibles d’interagir avec les acides aminés). Surtout, ces repliements provoquent le rapprochement stable d’acides aminés, parfois très distants sur la chaîne, qui peuvent ainsi former un ou plusieurs sites actifs. Ce sont ces sites qui confèrent à la protéine ses propriétés particulières, sa fonction dans l’organisme. En règle générale, les sites actifs ont une forme particulière, complémentaire de celle d’une molécule, ce qui rend la protéine capable de reconnaître et de se lier de manière spécifique à cette molécule, qu’on appelle ligand, comme une serrure reconnaît une clé. Ce qui se passe ensuite dépend de la fonction de la protéine. En voici quelques exemples : − Si rien d’autre ne se passe et que la protéine est libre, elle peut servir au transport du ligand (la molécule attachée). C’est le cas de l’hémoglobine du sang qui a pour fonction de fixer et transporter l’oxygène. − Si la protéine est fixée dans une membrane elle peut servir de canal (pour des ions) ou de pompe pour faire passer de manière sélective un certain ion ou une certaine molécule de l’extérieur vers l’intérieur de la cellule (ou inversement). − Une protéine (souvent membranaire) peut changer de conformation en présence du ligand (molécule clé). La protéine est alors un récepteur capable de signaler la présence de cette dernière. Grâce à un mécanisme d’amplification, la présence d’une seule molécule peut ainsi produire une réponse d’ensemble de la cellule (par exemple le battement d’un flagelle propulseur ou l’émission d’un potentiel d’action par un neurone). − Le site actif de la protéine peut aussi catalyser une réaction chimique, par exemple la cassure d’une molécule en deux par hydrolyse ou au contraire la liaison de deux molécules. Elle sert alors d’enzyme. La réaction se produit beaucoup plus vite en présence de l’enzyme parce que celle-ci met les molécules en bonne position pour réagir. Sans enzyme aucune réaction ne se produirait dans l’organisme ou alors de manière beaucoup trop lente. Bien des questions se posent à propos des protéines. La première est celle de prédire les repliements, la forme dans l’espace d’une protéine, connaissant l’enchaînement de ses acides aminés. La seconde est de prédire sa fonction connaissant son repliement. La troisième est posée par la sélection des protéines ayant des propriétés utiles. On connaît un très grand nombre de protéines ; rien que dans l’organisme humain on en compte plus d’un million, toutes différentes ; mais ce nombre n’est qu’une infime fraction de l’ensemble des protéines possibles. On peut s’en faire une idée en prenant l’exemple d’une protéine moyenne formée de 250 acides aminés : avec les 20 acides aminés utilisés par la vie on peut former 20250 (20 multiplié 250 fois par lui-même) protéines différentes. Il s’agit d’un nombre absolument gigantesque égal à 10325. À titre de comparaison on estime à 1080 seulement le nombre de nucléons (protons et neutrons) dans tout l’univers visible ! Bien entendu la plupart de ces protéines n’ont pas de propriétés intéressantes, ce qui pose en retour le problème de déterminer comment sélectionner dans ce gigantesque ensemble celles qui ont des fonctions utiles. Cela a été le problème de la vie, surtout à ses débuts, et c’est aujourd’hui un problème de biotechnologie. Ce problème est si difficile qu’on préfère explorer le monde des protéines déjà sélectionnées par la vie. Un bon exemple récent en est fourni par l’hémoglobine d’un ver marin : Frank Zal et ses collègues du CNRS ont découvert que cette protéine avait des capacités de transport de l’oxygène cinquante fois supérieure à celles de l’hémoglobine humaine ! Cela lui ouvre des perspectives d’applications médicales très prometteuses, notamment lors de la transplantation d’organe (http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20140526.OBS8525/le-sang-du-ver-marin-pourrait-revolutionner-la-transplantation-d-organes.html).
  4. Sans le principe d’exclusion des fermions découvert par Wolfgang Pauli la matière ne pourrait pas exister (ni les atomes, ni les acides aminés, ni les protéines) d’où la remarque d’Alfred Kastler. Ce principe et cette remarque sont présentés dans la chronique n° 252, « Cette étrange matière » − Le livre évènement du physicien Alfred Kastler, prix Nobel, 18.02.2013. Voir aussi la note 2 de la chronique n° 255, Les mouches − Ces théologiens sérieux qui repoussent l’idée d’une Personne divine, 11.02.2013 et la note 1 de la chronique n° 275, La science est-elle une théologie expérimentale ? − J’admire que si peu d’hommes aient la curiosité de considérer la nature comme une pensée, 20.05.2013.
  5. Cette définition de la racémisation n’est pas tout à fait exacte car elle peut laisser croire que tous les acides aminés tournent de la forme gauche à la forme droite. En réalité, en dehors de la cellule vivante, aucune des deux formes n’est privilégiée, c’est pourquoi au bout d’un temps qui se compte en milliers ou millions d’années (voir note suivante) le mélange final (racémique) est constitué pour moitié de la forme gauche et pour moitié de la forme droite. Le fait qu’une molécule d’acide aminé puisse exister sous deux formes symétriques est assez facile à comprendre et visualiser. Cela est dû au fait que l’atome de carbone central porte au bout de ses 4 crochets, qui pointent dans l’espace vers les 4 sommets d’un tétraèdre, quatre substituants différents : H, NH2, COOH et le résidu R. Il ressemble en cela à nos mains qui ont deux côtés (pouce et auriculaire) et deux faces (paume et dos) et peuvent donc exister sous deux formes symétriques dans un miroir. On appelle chiralité (du grec kheir qu’on retrouve aussi dans chirurgie ou chiromancie) cette propriété pour une molécule de pouvoir exister sous deux formes symétriques, et carbone chiral (ou asymétrique) celui qui en l’est l’origine. On remarquera toutefois que le carbone central de l’acide aminé le plus simple, la glycine, où R = H, est symétrique ; la glycine n’existe donc que sous une seule forme, contrairement à tous les autres. Les acides aminés naturels se présentent toujours, à de rares exceptions près, sous la configuration absolue gauche (notée L) et non droite (notée D). S’il en est ainsi c’est parce que les sites actifs des enzymes sont eux-mêmes asymétriques ce qui conduit à la synthèse préférentielle d’une des formes. Il en va de même du site de reconnaissance des récepteurs. C’est le cas par exemple des récepteurs sur lesquels reposent le sens du goût. Ainsi, pour savoir si l’asparagine (un des 20 acides aminés naturels) est de la forme L ou D il suffit de le goûter : la forme L a un goût amer tandis que son symétrique D a un goût sucré ! Il en va de même des récepteurs de l’odorat ce qui permet de distinguer aisément les deux formes du menthol : l’une possède l’odeur de menthe tandis que la forme opposée est, selon les personnes, inodore ou d’odeur désagréable. Les molécules possédant un carbone asymétrique à l’état liquide ou en solution dans un solvant (l’eau le plus souvent) ont la propriété de modifier la polarisation de la lumière. C’est la découverte de cette propriété d’activité optique par Jean-Baptiste Biot en 1815 qui a été le point de départ des recherches qui ont finalement abouti à cette conception du carbone tétraédrique et asymétrique formulée par le chimiste hollandais Van’t Hoff en 1874. (Van’t Hoff avait été les années précédentes l’élève de Kekule à Bonn et de Wurtz à Paris ; il reçut le prix Nobel en 1901).
  6. Jeffrey L. Bada, né en 1942, a publié en 1970 avec ses collègues B. P. Luyendyk et J. B. Maynard un article intitulé “Sédiments marins : datation par la racémisation d’acides aminés” dans la revue américaine Science (n° 3959, pp. 730–732). Ces travaux et d’autres ont montré que le taux de racémisation de l’isoleucine isolée dans des sédiments marins profonds augmente avec l’âge de ceux-ci. D’autres acides aminés que l’isoleucine peuvent être utilisés et la méthode peut être appliquée à d’autres échantillons que les sédiments, comme les os fossilisés, les œuvres d’art, les cadavres, etc. Le taux de racémisation est un indicateur fiable de l’âge d’un échantillon. Toutefois, comme la vitesse de racémisation dépend de la température et de l’humidité, l’âge maximum d’un échantillon dépend de la moyenne des températures annuelles du site où il a été prélevé : environ 200 000 ans pour 30°C, 2 millions d’années pour 10°C et 10 millions pour −10°C. Dans tous les cas le grand intérêt de cette méthode est de dater des vestiges qui se situent au-delà de la limite d’application du carbone 14 (50 000 ans).
  7. Aimé Michel est revenu peu après sur l’homme de Neandertal. Nous publierons cette chronique la semaine prochaine.
  8. La préhistoire du peuplement de l’Amérique fait toujours l’objet de controverses passionnées. Nul ne conteste que des groupes humains importants ont pu venir d’Asie lors du dernier maximum glaciaire. A cette époque, il y a 16 500 à 13 000 ans, le recul des océans a asséché la Béringie (l’actuel détroit de Béring), il était donc facile d’y passer à pied. Plusieurs indices viennent conforter cette hypothèse. Ainsi, sur le site archéologique de Clovis au Nouveau-Mexique, on a trouvé en 1932 des outils préhistoriques datés de 12 500 ± 1000 ans. Par la suite on a trouvé des silex semblables, appelés pointes Clovis (extrémités de lances), dans toute l’Amérique du Nord, si bien que cette culture Clovis est tenue pour responsable de la disparition des grands animaux d’Amérique (équidés, camélidés, mammouths, tigres aux dents de sabre, paresseux et tatous géants). D’Amérique du Nord ces hommes venus d’Asie seraient passés en Amérique du Sud en bon accord avec les caractères, propres aux Asiatiques, des Amérindiens actuels (sang, parasitoses). Mais toute la question est de savoir si ce peuplement a été le premier. Comme le rapporte ici Aimé Michel, des grains de sable de plus en plus nombreux sont venus gripper la belle mécanique de cette théorie à partir de la fin des années 70 (sans que cela ait de rapport avec la question des relations entre espèces humaines car il n’y a aucun indice que les Homo erectus ou les Néandertaliens aient mis pied aux Amériques). On connait aujourd’hui une bonne quinzaine de sites situés dans les deux Amériques datés de plus de 14 000 ans, même si ces datations sont encore souvent contestées. En voici quelques exemple : les ossements d’animaux associés à des pointes Clovis découverts en 1957 à Lewisville (Texas) ont été datés de 38 000 ans ; on a mis au jour au Mexique des traces de pas humains de plus de 40 000 ans (2006) ; l’archéologue franco-brésilienne Niede Guidon a découvert à Lagoa Santa (Nordeste, Brésil) des foyers associés à des outils taillés qui ont été datés de plus de 50 000 ans par trois laboratoires, aux États-Unis, au Brésil et en France (Gif-sur-Yvette) ! L’idée de certains chercheurs que l’homme n’a pu arriver en Amérique avant 15 000 ans devient donc de plus en plus difficile à soutenir (voir le chap. 6 du livre de Y. Coppens, Le présent du passé au carré, Odile Jacob, Paris, 2010, l’article Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_peuplement_de_l%27Am%C3%A9rique) et la mise au point d’Andrew Curry « Coming to America », Nature, 485: 30-32, 2012).
  9. Sur les interprétations divergentes de l’homme de Boskop comme « homme du futur » ou artefact statistique, voir la chronique n° 99, Le futur antérieur, que j’ai sous-titrée « Sur la pluralité des mondes, l’Incarnation et un “homme du futur” tôt disparu » (31.10.2011). Je reviendrai prochainement sur ce sujet.
  10. Pasteur fut en effet le premier à comprendre, vers 1850, l’asymétrie des composés chimiques biologiques. Il découvrit les différentes formes de l’acide tartrique (issu du jus de raisin, en latin racemus, d’où racémique et racémisation) et en comprit l’origine moléculaire. Il en fit une brillante généralisation en posant deux hypothèse : d’une part qu’« il y a dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels » et d’autre part qu’il est impossible d’aboutir à un composé actif sur la lumière polarisée en ne mettant en œuvre que des composés inactifs (principe de Pasteur), car tout composé actif suppose, quelque part, l’utilisation d’un autre composé actif. En conjonction avec la prise de conscience à la même époque que toute cellule provient de la division en deux d’une cellule antérieure (Omnis cellula e cellula, Virchow, 1858), cela posait le problème de l’origine de la première cellule et du premier composé actif. Aujourd’hui ce problème n’est toujours pas résolu. On a proposé d’expliquer la dominance de la forme L des acides aminés (et de la forme D du ribose qui entre dans la composition des nucléotides des acides nucléiques) soit par l’œuvre du pur hasard, soit par un mécanisme favorisant l’une des formes. Dans la première hypothèse, les fluctuations dues au hasard auraient été amplifiées par autocatalyse. Un même choix pour tous les acides aminés s’impose car des polypeptides formés d’une alternance d’acides aminés hydrophiles et hydrophobes ne forment des feuillets résistants qu’à condition d’être tous de même chiralité L ou D, sinon ils forment des brins désordonnés moins stables. Reste à savoir si, lors de la naissance de la vie, la nature a tiré à pile ou face les acides aminés ou le ribose. Dans la seconde hypothèse, il s’agit de préciser le mécanisme en jeu. On a pensé à une asymétrie fondamentale (la violation de la parité observée dans les interactions nucléaires faibles) qui donne une stabilité un peu plus grande à la forme L, mais cet effet est infime et aucun mécanisme d’amplification satisfaisant n’a pu être trouvé. On a aussi pensé à l’action sélective de la lumière polarisée circulairement mais on n’en connaît pas de source naturelle satisfaisante. C’est un bon exemple de problème scientifique important mais irrésolu à ce jour.