Beaucoup de ceux d’entre nous qui ont connu les années soixante se souviendront du livre de Paul Ehrlich, paru en 1968 sous le titre « la bombe démographique », qui terrorisa l’opinion et eut une profonde influence sur la perception par les médias des questions de population. Ehrlich ressuscita la théorie de Thomas Malthus datant du XVIII e siècle et discréditée depuis selon laquelle la population mondiale dépasserait toujours les ressources alimentaires à moins que la population ne soit strictement contrôlée. Il prédit la survenance de famines mondiales dans les années 1970, et, avant la fin du XXe siècle, la faim pour des centaines de millions d’habitants, la faillite de l’Inde et la disparition de l’Angleterre.
L’ouvrage d’Ehrlich ne marquait pas le début de la panique générale de la surpopulation mais avait été précédé par des actions prises par le gouvernement de Lyndon Johnson. En 1965, devant les Nations Unies, le président Johnson déclarait que « cinq dollars investis dans le contrôle de la population équivalaient à cent dollars investis dans la croissance économique», et il encourageait une politique de stérilisation en Inde comme condition préalable à toute aide alimentaire américaine.
Le contrôle des naissances fut gravé dans le marbre dans le mémorandum sur la sécurité nationale intitulé « implications de la croissance de la population mondiale sur la sécurité des Etats-Unis et de ses intérêts extérieurs » qui fut adopté officiellement comme principe de la politique étrangère des Etats-Unis. En 1976, un document de suivi recommandait l’usage de l’aide alimentaire comme moyen de régulation de la population au plan global.
Cette politique a toujours cours de nos jours. Des subventions d’aide étrangère sont conditionnées par l’exigence d’une régulation des naissances. Il n’est pas rare que les produits distribués dans des régions stratégiques ne soient pas de la nourriture ou des médicaments mais des contraceptifs. Stephen Mosher, auteur de « Contrôle des naissances : coûts effectifs, bénéfices illusoires », cite les réflexions d’un obstétricien kenyan :
« Notre système de santé est en lambeaux. Des milliers de kenyans meurent de paludisme, dont le traitement ne coûte que quelques centimes, dans des centres de santé dont les étagères sont pleines de millions de dollars de pilules contraceptives, d’IUD, de Norplant, Depo-Provera etc., financés pour l’essentiel par l’argent américain. »
Le désir largement répandu de réduction de la population mondiale est en soi fort étrange. La terre ne manque pas d’espace. Le site www.populationmyth.com a publié en 2007 une carte des Etats-Unis qui montrait que les 6,5 milliards d’habitants vivant sur la planète pouvaient tout à fait tenir dans chacun des Etats américains, depuis le Rhode Island à raison de 4 pieds carrés par personne jusqu’au Texas avec 1123 pieds carrés par personne.
Un institut de recherche sur la population (www.pop.org) poursuivant l’exemple du Texas, a montré que si d’aventure les 7 milliards et quelques d’habitants sur la planète étaient regroupés dans cet Etat, chaque famille bénéficierait d’assez d’espace pour disposer d’une maison et d’un jardin (en comptant sur la construction d’immeubles de plusieurs étages). Un ingénieur a même calculé ce qu’il faudrait pourvoir en eau et en nourriture à partir de la rivière Columbia et le terroir américain dans l’hypothèse de ce regroupement de population (www.simplyshrug.com).
Sans entrer trop avant dans ces questions arithmétiques, on voit que le problème n’est pas celui de l’espace. Qu’entend-on donc par « surpopulation » ? A l’évidence c’est le trop grand nombre de pauvres avec l’idée que si les pauvres arrêtaient de se reproduire, ils échapperaient quelque part à la pauvreté. En admettant que l’on réduise la population d’un tiers, est-ce que le pourcentage de pauvres diminuerait automatiquement ? Pas nécessairement. Le pourcentage pourrait même s’accroître : parents âgés, non aidés par des enfants et des collatéraux en nombre réduit, assistés par l’Etat ; économies fragilisées par la réduction du nombre des actifs ; rebelles conquérant le pouvoir et réduisant les gens au servage ; dirigeants politiques faisant fi des limites constitutionnelles et ne connaissant plus de bornes à leur ambition, etc.
Ce qu’on appelle « surpopulation » se ramène ainsi au problème politico-économique éternel de la juste répartition des ressources de la terre. C’est une question politique et géopolitique complexe qui ne peut pas être résolue par des remèdes simplistes tels que la réduction de la population du globe. Cette politique a en réalité conduit à « l’hiver démographique » des Européens, Russes, Japonais et d’autres communautés qui, à cause de la chute de leurs taux de natalité, tombent en-dessous du taux de remplacement des générations.
La même année que le livre de Ehrlich, 1968, paraissait l’encyclique du pape Paul VI « Humanae vitae » sur la contraception. Celle-ci a immédiatement suscité une vague de protestations parmi les Catholiques, à commencer par la déclaration signée de 200 théologiens catholiques parue dans le « New York Times » du 30 juillet 1968, exprimant l’avis que les fidèles non convaincus en conscience par les arguments du Magistère étaient justifiés dans les cas où le Magistère différait du sens commun des fidèles. Les consciences catholiques, fondées sur les conclusions scientifiques faisant état de la surpopulation du globe, étaient en droit de justifier sur cette base leur désaccord en conscience sur la contraception.
De nouveaux concepts de moralité apparurent. Des couples utilisant des moyens contraceptifs pouvaient être fiers de ne pas contribuer à l’aggravation d’un problème universellement reconnu. Ne pas avoir d’enfants du tout pouvait passer pour un sens élevé de responsabilité sociale ! Des éducateurs et des hommes politiques adeptes de la « sexualité protégée » pouvaient s’estimer heureux de contribuer ainsi à la réduction du nombre de pauvres dans les cités.
Les pro-vie pouvaient même se féliciter de contribuer ainsi à la réduction du nombre des avortements. Des régimes dictatoriaux comme la Chine avaient toute liberté pour mettre en œuvre leur politique de l’enfant unique. Des gouvernements dotés d’une tradition plus démocratique, comme les Etats-Unis, pouvaient se contenter de prévoir de faire rembourser par les assurances sociales le coût des contraceptifs et des moyens de stérilisation, et d’espérer atteindre un objectif assez comparable à la politique chinoise de l’enfant unique, quand l’opinion serait en mesure de l’accepter.
La source de problèmes monumentaux réside dans la tentation d’user de remèdes simplistes pour les résoudre. La préoccupation de l’accès, de la production et de la répartition des ressources mondiales est permanente, c’est un problème politique global et éternel. C’est un problème qui ne peut pas être résolu et peut même être aggravé par des politiques visant à combattre la surpopulation par le biais de la contraception.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-overpopulation-myth-and-the-new-morality.html