Le petit monde du cinéma est en émoi. La commission de classification des œuvres cinématographiques a osé infliger au film d’horreur Martyrs, de Pascal Laugier, la mention « qui tue ». Il faut savoir que l’interdiction aux mineurs (décidée ici par 13 voix contre 12) obère de facto la rentabilité du film en limitant sa diffusion à un petit nombre de salles. Le distributeur a aussitôt reporté son lancement, initialement prévu le 18 juin, tandis que ses auteurs et producteurs décrétaient la mobilisation générale.
La Société des réalisateurs de films et l’Union des journalistes de cinéma ont, d’une seule voix, crié à la censure et demandé à Christine Albanel, ministre de la Culture, de passer outre l’avis de la commission. C’est l’occasion pour cette caste d’en dénoncer à nouveau la composition en déplorant que les professionnels du cinéma n’aient « que 9 sièges sur 28 ». Comme si les autres catégories – représentants des familles, du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de plusieurs ministères – devaient s’effacer devant leur sagesse. Une manifestation était par ailleurs annoncée pour le vendredi 13 juin devant le bureau du ministre. Christine Albanel ne l’a pas attendue pour plier. Après avoir reçu le réalisateur, Pascal Laugier, elle a demandé un réexamen du film à la commission.
D’aucuns ont flairé une aubaine : en cas de revirement de la Commission, le film bénéficierait de toute la publicité générée par la controverse. À cas contraire, c’est la troisième fois qu’un film d’horreur serait interdit aux mineurs depuis 2006. Cette classification n’est plus réservée aux films pornographiques. Ceux qui arguent de la « liberté d’expression » protestent contre le raidissement qu’atteste à leurs yeux cette évolution. On pourrait tout autant y déceler l’outrance croissante des images proposées au jeune public.
Le producteur, Richard Grandpierre, s’en défend. Avouant benoîtement que l’histoire est proche « d’un fait divers à la Fourniret », il estime que la scène de torture marquante de Martyrs s’apparente à celle de La Passion du Christ, de Mel Gibson. L’« Observatoire de la liberté de la création » qui relaie sa revendication n’évoque aucunement les traumatismes que pourraient subir les mineurs. La Ligue des Droits de l’Homme qui en est une composante négligerait-elle l’impératif de protection des enfants ? De son côté, le réalisateur Pascal Laugier persiste crânement à défendre son œuvre. Elle « peut faire réfléchir des jeunes spectateurs dès 16 ans » estime-t-il, ajoutant que « le cinéma d’horreur français (…) participe au rayonnement de notre culture. »
L’argument aurait-il convaincu Christine Albanel ? À moins qu’elle n’ait plus prosaïquement eu peur de passer pour ringarde et à subir une campagne de dénigrement.
Car, du côté de la presse écrite, on défend l’horreur. Caroline Vié du quotidien 20 minutes salue dans sa violence « une réflexion très écrite sur la douleur, la mort et la torture. » Elle y voit une « poésie macabre » et estime à propos de « l’atrocité des tortures » qu’elle « enlève tout aspect incitatif ». Faudrait-il proposer Martyr comme support pédagogique pour les lycéens ? Libération signale que le film, qui a été pré-vendu dans 35 pays au dernier marché de Cannes, y « a reçu un très bon accueil » et souligne que Martyrs « revendique une ambition artistique loin du cinéma d’horreur de consommation courante. »
Zéro critique donc ? Pour se faire une idée, il faut donc se rabattre sur un fan du genre, dont le site Internet « Oh my Gore ! » rend hommage à un Pascal Laugier jugé « à la fois écœurant, révoltant, hallucinant, choquant, effroyable, malsain, pervers, terrifiant, traumatisant. » Le critique qui s’est pourtant spécialisé dans l’horreur avoue : « J’ai eu pour la première fois de ma vie une boule au ventre ; j’étais extrêmement mal à l’aise », avant d’inciter à « batailler pour voir le film en salle française ». Il insiste : « Martyr n’aura pas de mal à provoquer des cauchemars chez tous les fans même les plus ardus. » Il conclut logiquement que « le film va probablement être interdit aux mineurs. » Comment le ministre de la Culture pourrait-il déjouer le pronostic d’un tel spécialiste ?