Le dernier roi des Juifs - France Catholique
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Le dernier roi des Juifs

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« King Bibi » : la couverture de l’hebdomadaire américain « Time » dans sa dernière livraison de mai couronnait ainsi le premier ministre Benjamin Netanyahu après qu’il eut réussi à réaliser un consensus national autour de lui grâce au ralliement du parti centriste Kadima.

Ce besoin constant d’attribuer une royauté à Israël – Ariel Sharon fut longtemps acclamé comme roi — traduit la permanence d’une nostalgie messianique si l’on se reporte au roi David — dont j’ai dit dans ma précédente chronique (l’ointe du Seigneur) l’héritage dans les monarchies sacrées de France et d’Angleterre. Mais l’on oublie souvent les rois de la dynastie asmonéenne puis hérodienne. Certes l’on ne saurait ignorer le roi Hérode dit le Grand (mort en 4 après J.-C.). Mais on ne se souvient guère de son petit-fils Agrippa (dit aussi Hérode dans les Actes des Apôtres, chap.12) qui régna de 41 à 44. Une biographie de celui-ci, par Jean-Claude Lattès, vient de paraître aux éditions NIL sous le titre « le dernier roi des Juifs ».

Agrippa semble ici être le chaînon manquant entre l’idéal, ou le mythe, de la royauté davidique, et la réalité plus triviale de l’Etat d’Israël au sein de la famille des nations. Le bref règne d’Agrippa est la dernière forme fugitive mais réaliste d’une forme d’Etat juif avant sa disparition. La mort de ce roi serait suivie, comme à la mort d’Hérode, d’une réduction en province romaine (son fils Agrippa II sera jugé trop jeune et trop faible. Il aura le titre de roi pour un reste de principauté dans l’actuel Liban, mais pas d’autorité en Israël. Paul comparaît néanmoins devant lui à Césarée, Actes des apôtres aux chapitres 25 et 26), puis de la guerre civile dite « guerre des Juifs » (Flavius Josèphe), de la destruction du Temple et de la ruine de Jérusalem en 70. Quand David Ben Gourion proclame l’Etat d’Israël en 1948, c’est sans doute à cette dernière forme, non consacrée, qu’il se réfère plus qu’au modèle davidique.

Qu’est-ce qui caractérise en effet cette royauté d’Agrippa ?

D’abord l’unité de son territoire. On se souvient qu’à la mort d’Hérode, son royaume avait été partagé en trois : la Judée, la Samarie et l’Idumée, sous Archelaus avec le titre de roi, rapidement démis, cette partie passant sous l’administration directe de Rome, la Galilée, sous l’autorité d’Hérode Antipas, enfin des territoires syriens au-delà du Jourdain, notamment le Golan, sous celle de Philippe. Agrippa obtient de son grand ami et protecteur, l’empereur Caligula (rien de moins), les tétrarchies de Philippe (en 37) et d’Antipas (en 39), puis de l’Empereur Claude, son ancien compagnon de jeux, le rétablissement en 41 de la royauté avec la Judée, la Samarie et l’Idumée, reconstituant ainsi le royaume de son grand-père.

Ensuite l’unité de tous les Juifs, ceux de la diaspora, en fait Alexandrie, et ceux de Sion. Grâce à ses réseaux romains, Agrippa évite en effet aux Juifs d’Alexandrie un nouveau « pogrom » (avant l’heure). Pour la première fois, écrit J-C. Lattés, « roi juif il est roi de tous les juifs », ou encore « non seulement roi de Palestine mais roi des Juifs » (La Palestine, c’est alors, selon des estimations à prendre avec prudence, environ un million de Juifs, la diaspora trois millions). C’est toujours aujourd’hui un objectif capital de tout responsable israélien.

Enfin l’union avec l’Empereur. Tout ceci n’est évidemment possible que par la grâce de l’Empereur, Caïus puis Claude, successeurs d’Auguste. Agrippa ayant été entièrement élevé à Rome (depuis Auguste) au sein de la famille impériale, présentait l’avantage unique de pouvoir être, dit encore J.-C. Lattés, « juif à Jérusalem, romain et hellène à Césarée », l’homme de la double culture. En réalité, Agrippa percevra assez vite qu’il courait de plus en plus le risque de passer pour « Juif pour les Romains et Romain pour les Juifs ».

Transposez : Washington à la place de Rome, spécialement avec quelqu’un élevé aux Etats-Unis comme « Bibi » Netanyahu. Mais on voit ici les limites du rapprochement. Israël est aujourd’hui, avec Netanyahu, en position de dire non à la Maison Blanche, mais pas vraiment l’inverse (?)

Nota Bene : le lecteur chrétien contemporain s’étonnera du contraste entre cette biographie et le chapitre 12 des Actes. Le roi Agrippa est en effet cité comme responsable de l’exécution de Jacques frère de Jean et de l’arrestation de Pierre. Le biographe élude. Qu’il ne mentionne à aucun moment les événements liés au Christ n’étonnera pas outre-mesure: d’une part Agrippa résidait alors à Rome. Il ne rentrera en Palestine qu’après la mort de Jésus. Tout de même Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, était son oncle, quoiqu’en mauvais termes avec lui; il était fréquemment question aussi du procurateur romain Ponce-Pilate mais pas de cette crucifixion; enfin Agrippa n’était alors plus un enfant ; né en 10 avant J-C. il avait déjà plus de quarante ans à la mort du Christ et était certainement bien informé. En outre, son biographe le présente comme très curieux intellectuellement. Il allègue que les Chrétiens, dans les années 40, « se comptaient en dizaines ». Les historiens prennent en effet le chiffre de mille comme point de départ de l’expansion chrétienne dans l’Empire, mais longtemps les disciples de « Chrestos » seront tellement confondus avec l’ensemble des Juifs qu’il serait bien imprudent d’avancer un chiffre approximatif. C’est justement pour se faire une idée de ces débats internes aux Juifs que le procurateur romain Félix à Césarée en l’an 60 consulte Agrippa II dans l’affaire de Paul. La plupart, Romains et Juifs, ne faisaient pas la différence.
Rendons à César… et acceptons la marginalité « chrétienne » au temps de la « guerre des Juifs » en sachant prendre nos distances avec le « traître » (Vidal-Naquet) Flavius Joséphe, le vrai biographe/hagiographe de ce « dernier roi des Juifs ».