Le culte et l’intériorité - France Catholique
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Avec les aumôniers du jour J
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Le culte et l’intériorité

La messe est très différente des cultes d’autres religions. 
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Messe dans la basilique Sainte-Thérèse, Lisieux.

Messe dans la basilique Sainte-Thérèse, Lisieux.

© Philippe Lissac / Godong

Il est toujours distrayant de se faire donner des leçons de christianisme par des incroyants. En l’occurrence, la semaine passée, c’est un philosophe qui expliquait sur les ondes de Radio Classique que les catholiques qui s’amassent devant les églises pour réclamer le retour de la messe sont de bien mauvais chrétiens, qui n’ont rien compris au message de Jésus-Christ.

Car, disait-il, « le christianisme, à la différence des deux autres monothéismes, est la religion de l’intériorité ». Or la messe relève de la cérémonie extérieure. Il s’ensuit que « la messe et toutes les manifestations extérieures de piété n’ont absolument rien d’obligatoire ». Conclusion : non seulement les catholiques sont « égoïstes » d’aller demander sous la pluie le retour du culte, mais ils trahissent la religion de Jésus qu’ils transforment en un ritualisme vétilleux contraire à l’esprit de l’Évangile. « C’est choquant. »

Les différents cultes

Un tel raisonnement fait entrer ce penseur dans la catégorie de ceux que Pascal appelait les « demi-habiles » – ces intellectuels qui en savent assez pour épater la galerie, mais pas assez pour parvenir à des conclusions justes. Il part en effet d’une vérité – la critique du légalisme pharisaïque par Jésus-Christ – puis se perd en chemin, et aboutit à une conclusion fausse : le caractère facultatif du culte public dans le christianisme. Essayons d’y voir plus clair.

D’abord, un point d’histoire des religions : s’il est tout à fait vrai que le christianisme se distingue du judaïsme et de l’islam par le fait qu’il n’est pas une religion de la Loi, mais une religion de l’Amour, on ne saurait en déduire que le culte y a moins d’importance que dans ces deux religions. C’est même tout le contraire : depuis la destruction du Temple, le judaïsme a en effet aboli, de facto, la quasi-totalité des lois cérémonielles de l’Ancien Israël ; il n’y a pas de sacrifice d’animaux dans les synagogues, seulement des lectures et des prières ; quant à l’islam, il ne connaît non plus aucun culte substantiel en dehors de la prière collective – si l’on excepte l’Aïd-el-Kébir. Les catholiques, en revanche, célèbrent chaque dimanche l’eucharistie, qui est la réactualisation mystérieuse de l’Unique Sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, sacrifice qui a accompli et remplacé tous les sacrifices de l’ancienne religion.

La grande chose que ce philosophe ne comprend pas, c’est que le Christ n’est pas venu pour abolir, mais pour accomplir l’ancienne religion (Mt 5, 17). L’intériorité ne vient pas combattre l’extériorité, la tenir pour nulle et non avenue, elle vient l’animer, la transfigurer. S’il est donc un lieu de culte où quelque chose de substantiel est censé se passer toutes les semaines, ce sont les églises.

Évidemment, cet intellectuel nous répondrait sans doute que l’Église a trahi le message du Christ en instituant ce rite bassement matériel ; le problème est que c’est le Christ lui-même qui l’a institué : « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré, ceci est mon sang versé, vous ferez cela en mémoire de moi. » On a beau triturer le texte dans tous les sens, il est difficile d’y voir une invitation à s’enfermer dans son « Moi ». De même, le Christ nous a demandé de nous rassembler : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom… » (Mt 18, 20), ce qui n’est tout de même pas une invitation à rester chez soi.

Corps et âme

Ensuite, quelques mots de philosophie. Il faut bien comprendre que la nécessité du culte extérieur vient de ce que les hommes, à la différence des anges, ont un corps : l’intériorité humaine est impensable sans son incarnation constitutive. Assurément, l’extérieur est au service de l’intérieur – il y a bien un primat de l’intériorité – mais notre âme, du fait de son incarnation, et de sa faiblesse, a besoin d’être entraînée, incitée, inclinée par des gestes, des postures, des images, des rites, des habitudes, des manifestations – tout comme l’amour humain a besoin de preuves.

Prôner une religion purement intérieure, silencieuse, muette, sans expression publique, c’est réclamer quelque chose d’impossible et de contre-nature. C’est, en réalité, inconsciemment ou délibérément, promettre la religion à l’effacement, à la disparition. « Ceux qui condamnent les hommages corporels à Dieu, écrit saint Thomas, ne se souviennent pas de leur condition d’homme, puisqu’ils ne jugent pas ces manifestations sensibles nécessaires à la connaissance intérieure. L’expérience prouve pourtant que les activités corporelles stimulent l’âme dans la connaissance et l’amour. Il est donc évident qu’il est sage de se servir également des choses sensibles pour élever notre âme à Dieu. » (Somme contre les gentils III, §117.) Les adversaires les plus intelligents du catholicisme l’ont toujours très bien compris. Diderot par exemple : « Les absurdes rigoristes en religion ne connaissent pas l’effet des cérémonies extérieures. […] Supprimez tous les symboles sensibles, et le reste se réduira bientôt à un galimatias métaphysique, qui prendra autant de formes et de tournures bizarres qu’il y aura de têtes. » La religion sans culte, c’est comme l’âme sans le corps. Ici-bas, ça ne marche pas.