Laudato Si, l’écologie intégrale - France Catholique
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Laudato Si, l’écologie intégrale

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En date du 24 mai 2015, solennité de la Pentecôte, le pape François a publié l’encyclique Laudato Si, Sur la sauvegarde de la maison commune. Y aurait-il un axe central à cette encyclique ? Nous voudrions présenter ce qui nous paraît être une ligne directrice du texte, même si toute synthèse est réductrice, et ne dispense pas de la lecture complète de ce riche document.

La thèse nous semble donnée dans le titre et les premiers mots, Laudato Si, qui font référence à une prière de saint François : « Louez sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne. » (1) Le pape François a choisi le saint d’Assise dont il parle en ces mots (10) : « C’est un mystique et un pèlerin qui vivait avec simplicité et dans une merveilleuse harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature et avec lui-même. » Le Pape défend une écologie intégrale qui implique que, pour que l’homme soit pleinement lui-même, il doit établir une juste relation à Dieu, à la nature et aux autres. Cette idée revient à de nombreuses reprises (70, 119, 210, 222-226). « L’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. » (66) Au paragraphe 227, après avoir repris (222-226) cette quadruple relation à Dieu, à soi, aux autres et à la nature, il la synthétise concrètement par le rituel de la bénédiction du repas. De fait, prier avant de manger c’est se tourner vers Dieu, avec les autres, devant les biens de la terre. En un sens le pape voudrait que tout homme fasse de sa vie un Benedicite ou un Laudato Si à la suite de saint François.

Précisons. Le Pape pose trois réalités, la nature, l’humanité et Dieu comme des systèmes de relations. « L’écologie étudie les relations entre les organismes vivants et l’environnement où ceux-ci se développent. » (138) Si la nature se comprend comme des êtres en relation, il en va de même pour l’humanité. L’homme n’existe pas seul, mais avec les autres. L’homme est un être social, économique, politique. La personne humaine est un être appelé à la communion et au bien commun. Et ces relations internes à la nature et à l’humanité suivent le modèle divin. Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. « Les personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. » (240) Le pape François reprend implicitement la théologie traditionnelle qui pose que la personne du Père se définit par la relation de paternité. Le Fils est la filiation. Le Saint Esprit est comme la relation réciproque du Père et du Fils.

Mais les relations ne sont pas qu’internes à la nature (entre les individus matériels), internes à l’humanité (entre les personnes humaines) ou interne à Dieu (entre le Père, le Fils et le Saint Esprit)). Ce texte veut montrer que les relations ad intra ne peuvent exister sans les relations ad extra. Une écologie intégrale est celle de l’ultime totalité que constituent les rapports entre Dieu, la nature et l’humanité. Un autre refrain revient dans l’encyclique. « Tout est lié ». Cette expression peut se comprendre pour chacune des totalités que sont le divin, le cosmos et l’humain, avec les relations internes, mais aussi comme relation externe de chacun des trois avec les deux autres. Le lien d’une partie de la totalité avec les autres supposent à la fois l’autonomie des trois parties, posant que nous n’avons pas une confusion des trois, mais aussi une ouverture de chacun aux deux autres. La relation est un soi vers un autre. Certes, il ne faut pas mettre au même niveau, Dieu, la nature et l’humanité, comme si nous avions trois mousquetaires, un pour tous et tous pour un. Seul Dieu est créateur. Et nous avons une dignité spécifique de la personne humaine par rapport aux autres êtres créés. Mais il s’agit bien de voir les relations que chacun entretient avec les deux autres réalités. (Et ces relations ad extra pourraient trouver un écho dans les relations ad intra des deux autres, même si cette idée n’est qu’implicite dans l’encyclique). Dès lors la tentation serait d’isoler chacun vis-à-vis des autres. L’humanité ne doit pas oublier son rapport à la nature et à Dieu. La nature ne peut pas se comprendre sans le Créateur et une juste vision de l’homme, « image de Dieu » (84). Dieu n’est pas seul dans ses nuages, indifférent au monde et aux hommes. Il est Créateur aimant et Sauveur. Et face à la tentation et au péché, le pape François nous invite à la conversion. L’examen de conscience peut être différent pour chacun.

Commençons par l’oubli de la nature, qui est bien l’objet premier du texte. Le chapitre premier expose « ce qui se passe dans notre maison ». Avec « la recherche scientifique disponible aujourd’hui » il faut reconnaître « la crise écologique actuelle.» (15) La pollution est partout. « La culture du déchet » fait de la terre « un immense dépotoir. » (21) « Il existe un consensus scientifique très solide qui indique un réchauffement préoccupant du système climatique. » (23) La question de l’eau est vitale (27-31). La perte de la biodiversité ne peut pas être niée (32-42). La qualité de la vie humaine se détériore (43-47). Cet oubli de la nature s’enracine dans le paradigme technologique et technocratique, présenté au chapitre troisième. La technique tend à être « possession, domination, transformation » (106) de la nature. « Dans la modernité, il y a une grande démesure anthropocentrique » (116). Tous les écologistes peuvent se réjouir particulièrement de ces deux chapitres (I et III). Le pape François en appelle à « une sobriété libératrice », à « limiter certains besoins qui nous abrutissent. » (223) Il s’agit bien de remettre en question l’illusion technophile, « le mythe moderne du progrès matériel sans limite.» (78) Cette technologie toute puissante peut se comprendre comme un orgueil de l’homme qui exclut Dieu de sa vie. « Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement. » (217) De ce point de vue, des chrétiens pourraient apprendre de non-chrétiens la nécessité d’une « conversion écologique ». Une humanité, religieuse ou non, qui négligerait le respect de la nature, passerait à côté de la nécessaire « sauvegarde de la maison commune ».

Dans cette présentation d’une « écologie intégrale » se dessine un deuxième oubli possible. L’écologie environnementale ne peut pas être séparée d’une écologie humaine. Un regard sur la nature doit s’ouvrir à la fois au Dieu créateur et à la dignité propre de la personne humaine. Une nature sans l’homme se retrouverait dans la défense de l’avortement et de l’euthanasie. « Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même » (117) « La défense de la nature n’est pas compatible avec la justification de l’avortement » (120) A mots couverts, François considère que la théorie du genre n’est pas fidèle à une juste anthropologie. « La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est nécessaire pour pouvoir se reconnaitre soi-même dans la rencontre avec celui qui est différent. » La « différence sexuelle » est « oeuvre du créateur. » (155) La différence homme-femme est une altérité fondatrice. Cette relation première nous rend à l’image de Dieu. Il rappelle « l’importance centrale de la famille. » (213) Si l’anthropocentrisme peut oublier la nature, inversement une écologie non intégrale peut oublier la dignité de l’homme. L’homme n’est pas un animal comme un autre. « Bien que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par l’évolution d’autres systèmes ouverts. … La nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action directe de Dieu… » (81)

L’ouverture de la nature à la dignité propre de l’homme, image de Dieu, doit aussi être ouverture à Dieu. « La grandeur et la beauté des créatures font contempler, par analogie, leur Auteur. » (Sagesse 13,5) Le deuxième chapitre sur l’Evangile de la création et le sixième chapitre sur l’éducation et la spiritualité écologique rappelle ce primat de Dieu. Le mot création dit plus que le mot nature. « La création (est) un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour. » (76) «  Nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirons par adorer d’autres pouvoirs du monde. » (75) Le Christ est l’incarnation de la seconde personne de la Trinité, la parole divine créatrice (99), et par sa résurrection « l’aboutissement de la marche de l’univers. » (83) Parce que « le monde a été créé par les trois personnes » (238) divines, « toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire. » (239) « A la fin, nous nous retrouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu. » (243) Nous sommes appelés à « la joie de l’espérance » divine, au-delà de l’espoir ou du découragement humain.

Après l’oubli de la nature, puis l’oubli de Dieu, et de l’homme en lui-même par sa dignité spirituelle, nous avons un troisième oubli possible qui traverse le texte, l’oubli de l’autre. « Une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale … pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. » (49) (138-142) Les pauvres sont les premiers à souffrir de la crise écologique. « Beaucoup de … leaders … sont situés loin (des pauvres) … sans contact avec le problème des exclus. » (48) Il faut travailler contre « l’inégalité planétaire » (48-52), constater « la faiblesse des réactions » (53-59), chercher « la destination commune des biens » (93-95), « le principe du bien commun » (156-158), « la justice entre les générations » (159-162). Le chapitre cinquième propose un « dialogue », des « débats sincères et honnêtes.» (16) « La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. » (189)  Le primat de l’économie est comme le primat technique, une raison « égoïste » (162) qui oublie le pauvre et le petit. « Les finances étouffent l’économie réelle. » (109) Ce soi sans l’autre s’enracine dans le vide de l’homme « post-moderne » (203). « Plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder, à consommer. » (204) Cette raison égoïste et vide est dans l’immédiateté. « L’intensification des rythmes de vie (est) rapidaction » (18) « déséquilibre qui pousse à faire les choses à toute vitesse pour se sentir occupées, dans une hâte constante » (225). Elle oublie que « temps est supérieur à l’espace » (178), la nécessité du repos du dimanche dans « une dimension réceptive et gratuite. » (237)

Au bout du compte, le pape François nous invite à une triple conversion. La paix avec soi-même implique une sobriété, une présence sereine « à chaque réalité, aussi petite soit-elle » (222), une humilité, une adoration de Dieu, une présence à chacun (226). « Louez sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne. » A la suite de saint François, chacun est appelé à se convertir dans sa relation avec Dieu, avec la nature et avec les autres. « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous. » (14)