Qui ne s’interroge sur « la volonté du Père » qui doit être notre volonté quotidienne : « Faire ta volonté », dit Jésus en rejoignant dans la prière l’Aimé de toute éternité.
Et voici que je découvre pour la ixième fois que je ne sais toujours pas si, au travers de tout ce que j’entreprends ou réalise, au travers de toutes mes apparentes réussites, aussi et peut-être surtout de tous mes échecs, si nombreux que je me refuse à m’en dresser une fois de plus la liste, j’accomplis vraiment « la volonté du Père ». À quels signes (ou signe ?) devrais-je me fier ? Je ne sais.
Peut-être, et parfois on me le reproche, que je ne cherche que ma propre satisfaction, une sorte de contentement personnel que je prends trop volontiers pour « Sa » volonté tant elle me plaît ? Je pense ici d’abord à ce travail fait pour « servir » le Christ en servant son Image déposée sur le Linceul de Turin ; ensuite à cette montagne d’écrits que je dresse depuis soixante ans et dont fait partie cette mille six cent quatorzième page de mon journal sur laquelle je dépose ces doutes, qui sont parfois de tourmentantes questions.
Ce matin, je suis tombé sur un écrit du jésuite Jean-Joseph Surin, mort en 1665 et qui fut l’une des lumières mystiques du XVIIe siècle français1. Il médite sur qui est « le véritable serviteur ». Mes doutes anciens et la plupart du temps étouffés sous la cendre de l’oubli, se réveillent en sursaut à la lecture de cet aphorisme qu’il tire de l’Imitation de Jésus Christ et qui sert au bon jésuite d’introduction à son propos : « Tout ce qui est bon n’est pas saint : et tout ce qui peut-être parfait n’est pas pour autant agréable à Dieu ».
Ce serait suffisant pour expliquer mon trouble : mais je cite quelques lignes de la suite : « … le véritable service de Dieu est de faire le bien qu’Il veut, tout ainsi que le bon serviteur n’est pas celui qui fait des choses bonnes, mais celui qui fait celles que son maître veut ».
Mais que veut le Père justement, et que désire-t-Il pour et de moi ? Je ne sais.
Il m’est arrivé de rencontrer à Troyes des personnes bienveillantes et engagées dans la réflexion spirituelle alors que j’étais jeté dans des difficultés matérielles considérables. Elles ont tenté de me persuader d’abandonner mes Cahiers Bleus, lesquels, pensaient-elles, m’éloignaient de ma vie de famille, premier de mes devoirs, moi qui ambitionnais de tout mener de front. Je ne les ai pas écoutées : est-ce que ce fut à tort ou à raison ? Je ne sais toujours pas, tant d’années plus tard.
La seule volonté du Père dont je sois assuré c’est la volonté qu’Il exprime au jour de la Transfiguration de son Fils, le Verbe éternel incarné : « Il est mon Fils, écoutez-le ! » Rien de plus mais rien de moins : l’écouter revient ici à Le suivre, accordant à ce qu’Il dit et commande une valeur suprême. Le suivre dans ses enseignements : « Quant à vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi car vous n’avez qu’un seul enseignant et vous êtes tous frères. […] Ne vous faite pas non plus appeler maîtres, car vous n’avez qu’un seul Maître » (Matthieu XXIII, 8 et 10), citation sortie de l’évangile de ce jour ; Le suivre dans ce qu’il fait quand Il marche en vue de monter sur la croix de notre salut : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne chaque jour sa croix et Me suive… » (Luc, IX, 23).
J’ai cherché sur le champ un texte en vue d’être rassuré, car je commençais à me dire : « Arrête-toi, laisse tout tomber, abandonne tes actions en cours comme tes projets puisque tu ne peux ni dire oui ni dire non et pas plus bien entendu ’’peut-être’’. La page qui s’est alors ouverte comportait un texte de Gaudium et Spes, dont je cite cette phrase : « […] Le Christ nous avertit aussi que cette charité (‘’voie de l’amour’’, expression qui explicite peu avant ce mot de charité) doit, non seulement s’exercer dans des actions d’éclat, mais et avant tout dans le quotidien de la vie ». Je n’étais pas plus avancé : je n’accomplis pas d’actions d’éclat et dans la vie quotidienne je me découvre plutôt médiocre et assez nul au point de vue de l’efficacité.
Reste un autre enseignement du Christ : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître ; je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. […] Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » (Luc, XV, 15 et 17). Sans oublier cette phrase décisive et qui oblige – de cœur, d’esprit, d’âme et de corps – au témoignage quotidien : « Je vous le dis, celui qui Me reconnaitra devant les hommes, le Fils de l’Homme à son tour se déclarera pour lui devant les anges de Dieu ; mais celui qui me reniera devant les Hommes sera renié à la face des anges de Dieu » (Luc, XII, 8)…
J’en conclus que chacun doit agir en fonction de celui qu’il est, de ce qu’il sait faire, de ce qu’il ressent au plus profond de lui sans se trouver en opposition avec l’enseignement du Christ ni avec ce qu’il fait. L’on peut douter de soi, on ne le peut pas du Christ : cela seul doit servir de règle ou guide. En toutes nos actions le témoignage requis ne saurait être absent. Le reçoit qui veut, le rejette qui veut. Chacun des amis du Christ doit suivre ce qui est la volonté la plus affirmée du Père – reconnaître son Unique en L’écoutant, c’est-à-dire en se gardant de Lui désobéir – sans s’intéresser aux succès qu’il remporte ou aux échecs qu’il essuie.
Quant aux moyens il faut laisser l’Esprit Saint guider chacun à sa façon, même si l’on s’avance à travers la forêt des hésitations, des doutes, des aveuglements, des questions apparemment sans réponse. La confiance fermement orientée vers le Père et le Fils, non vers soi-même, ce qui serait la plus effrayante façon de fermer la porte à l’Esprit commun du Père et du Fils…
Dominique Daguet
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
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- Un pavé pour détruire le Linceul
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