Un de mes vieux amis a le don de professer des vérités aux moments les plus inopportuns. Selon moi et au moins un philosophe, ce sont les meilleurs moments. Le défunt Georges Grant disait qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour discuter de la question de l’avortement qu’un aimable cocktail d’intellectuels autour d’un verre de xérès.
C’est le même qui avait émis l’opinion que « après tout les femmes ne donnent pas naissance à des chats », qui lui valut d’être ignoré poliment mais héroïquement pendant de nombreuses années. Mes compatriotes canadiens ont le don de ne pas entendre ce qu’ils ne veulent pas entendre, préjugé largement partagé par les journalistes animateurs d’émissions d’entretiens radiophoniques.
Les auditeurs de Grant ont néanmoins en silence enregistré ses propos, ce qui lui valut :
1) d’être isolé intellectuellement,
2) de terminer sa carrière dans l’enseignement dans un endroit reculé, et
3) d’être néanmoins célèbre pour quelques opinions politiques conventionnellement de gauche sur des sujets qu’il connaissait et qui l’indifféraient.
Un journaliste sans doute le plus intelligent, le plus perspicace, le mieux informé et le plus honnête de sa génération, mon ami John Robson, souffre de même de notre handicap auditif national. Lors d’une discussion médiatique où l’on se lamentait de manière conformiste du faible taux de participation aux élections encore en diminution, il avait émis l’idée que peut-être il y a encore trop de gens qui votent.
Ne serait-il pas bénéfique en effet pour la collectivité que plus de gens qui n’ont aucune idée de ce pour quoi ils votent ni pourquoi, simplement s’abstenaient ? J’irais sur ce point bien au-delà de Robson mais je n’ai pas l’occasion même d’en discuter.
A l’inverse de mes compatriotes, les Américains ne sont pas sourds. J’ai bien conscience d’écrire pour un forum de discussion américain. Les populistes ici n’ont pas nécessairement tout faux. Les gens du « Tea Party » 1 ne sont pas des « Tories » (conservateurs britanniques) élitistes ? Les mots « Nous, le peuple » sont écrits en caractères si imposants en tête de notre texte fondateur 2, que personne n’a jamais pu les oublier.
Etranger, je ne ferai aucun commentaire sur les élections de ce mardi, même si leur impact sur nous Canadiens sera à peu près aussi décisif que sur les Américains ne serait-ce qu’en raison de la taille des Etats-Unis et de l’intimité de nos relations.
Professant les convictions catholiques les plus orthodoxes sur la vie humaine, j’exprime un préjugé parfaitement clair : il me paraît inconcevable que des fidèles catholiques d’intelligence moyenne, et même au-dessous de la moyenne, ne parviennent pas à distinguer les différences entre les positions de chaque parti sur les questions les plus importantes qui concernent la vie humaine. Ceux qui y échoueraient, je tendrais à les prendre pour des infidèles ou des pervers.
J’en suis venu à considérer ainsi les élections : non comme une lutte entre politiciens dont le travail n’est pas différent de celui des VRP. Les uns sont plus doués que d’autres, très peu se comportent en hommes d’Etat, ou peuvent se risquer à passer pour tels dans le cadre des règles du jeu de toute démocratie représentative. Les uns réussissent mieux que d’autres sur ce marché ouvert pour carburant rampant. Je préfère apprécier les résultats pour porter un jugement sur ce « peuple » dont on parle, une élection fournissant une carte statistiquement assez précise du degré de finesse du peuple en général, classe par classe et région par région.
Entre bonnet blanc et blanc bonnet, quel choix ? On peut aussi voter blanc…
Le suffrage universel est une invention contemporaine. Aujourd’hui évident, au fondement de tout ordre constitutionnel, il était totalement inconnu et inconcevable en des temps pas si reculés – sauf chez quelques peuplades barbares à la périphérie de la civilisation. Le suffrage féminin par exemple ne fut introduit pour la première fois qu’en 1893 et n’a atteint la Suisse qu’en 1971. Le droit de vote jusqu’à la première guerre mondiale était considéré comme un privilège ; il devint un droit très vite après celle-ci.
Les pays protestants avaient sur ce point pris de l’avance sur les pays catholiques. Ainsi en alla-t-il des Etats-Unis pays alors protestant s’il en était. Mais les Catholiques ne furent jamais lents à rejoindre l’esprit protestant tout comme ils l’avaient fait à l’issue de la guerre de Trente ans pour l’idée de souveraineté nationale. C’était un bienfait pour les dirigeants. Combien est faible aujourd’hui notre entendement de l’universalisation de l’absolutisme politique ! En proclamant « L’Etat, c’est moi », le Roi-Soleil, patron et protecteur de tout ce qu’il avait en France, ne faisait qu’appliquer au domaine catholique le principe protestant. La dictature absolue avait été réalisée à l’origine par Henri VIII en Angleterre et Gustave 1er en Suède et ce qui s’en suivit. Toute source d’autorité indépendante de l’Etat – que ce soit l’Eglise et ses conseils, la féodalité et l’aristocratie, les paroisses et les municipalités, les ordres législatifs et judiciaires – fut abolie et réunie en un ordre unique provenant d’une seule source.
Le principe est le même qui s‘applique à Paris, Londres, Stockholm, et finalement Washington. Il n’est pas étonnant que ceux qui sont Catholiques jusqu’à l’os éprouvent de la peine à faire allégeance.
Via les idées des Lumières sur le Contrat Social, découlant naturellement de la théorie de l’Etat de Hobbes comme le protecteur de tous, le principe a été retourné et est devenu selon le mot de Proudhon : « l’Etat c’est nous ». Mais le principe de l’absolutisme politique est demeuré intact. C’est d’un mot le principe de la « souveraineté » – de suprématie, de domination – qui implique nécessairement la politisation de chaque aspect de la vie humaine.
Il serait bon que tout catholique, et tout chrétien en général, se remémore, quotidiennement, la solution alternative et nécessairement subversive que représente le Christ-roi. Il était entendu que Lui représentait la « souveraineté » dans la Chrétienté pré-nationale. Aujourd’hui que les Chrétiens vivent partout sous l’autorité absolue d’un Etat de nature essentiellement fasciste, prions d’être délivrés de ses commandements.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-sovereignty.html
Illustration Hobbes a-t-il gagné ?
Pour aller plus loin :
- Macron et le Pape avec Bernanos et Saint Martin
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Affaire S H contre Autriche: une victoire majeure pour la famille et la souveraineté des Etats devant la Cour européenne des droits de l’homme.
- Cinq paradoxes de la révolution sexuelle, 1ère partie
- Dette et souveraineté