La séduction d'un changement de culture - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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La séduction d’un changement de culture

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C’est arrivé comme un cri du cœur, ou un cri de désespoir moral, de la part d’une amie très chère qui a énormément contribué à la défense du mariage en Californie. Tous les efforts, tous les trésors dépensés, ont été balayés par un unique juge fédéral, et par une Cour Suprême qui ne voudrait pas désavouer ce jugement.

Un par un maintenant, les juges fédéraux se sont emparé du sujet et annulent les lois sur le mariage dans les États de l’union, ces lois qui restreignent le mariage à un homme et une femme. Nos amis se sont tordu les mains, espérant que la Cour Suprême pourrait enrayer ce mouvement dans les tribunaux inférieurs. Mais certains d’entre nous mettent l’accent sur le fait qu’il est nécessaire d’impliquer le Congrès dans cette affaire — qu’il y a des mesures qui peuvent toujours être prises pour mettre en échec cet élan des tribunaux.

Mais mon amie se désespère maintenant de ce que nos politiques et notre culture ont été entièrement inversées. Et qui pourrait lui reprocher son désespoir ? Mais dans les profondeurs de sa déception, elle s’est senti conduite à percevoir que le raisonnement moral de la loi naturelle « ne va pas gagner le débat dans notre culture. Notre culture n’a pas été changé par des arguments raisonnables. Nous devons combattre d’une autre manière. » Elle a vu la campagne menée contre les soutiens à la cause du mariage : non pas un échange d’arguments, mais des flots de calomnie et d’intimidation, une absence de raisonnement logique, et pourtant une efficacité quant au résultat.

Mon amie n’était sûrement pas impliquée dans une contre-campagne de terreur politique. Elle était désespérée du manque de rigueur morale de nos politiques. Mais aussi cela a été trop tentant pour les gens de parler de « changer la culture » comme s’il pouvait y avoir une voie de changement moral qui puisse être détaché de la vie de la polis, de l’engagement politique. Ca devient une excuse bien trop facile pour les politiciens qui affectent de croire que changer la culture dans ces domaines est du ressort de quelqu’un d’autre.

Comme je l’ai écrit à mon amie, j’ai saisi le contre-exemple dans cette scène : je me rendais en mars dernier à la Cour Suprême pour entendre le débat oral dans l’affaire Hobby Lobby et devant la cour il y avait un rassemblement de jeunes femmes d’âge estudiantin. Elles portaient des pancartes proclamant que la contraception était leur droit personnel le plus strict et que ce n’était pas du ressort de leur employeur.

Il semble qu’il leur échappait que les employeurs partageraient entièrement ce sentiment. Eux non plus ne souhaitent pas que la contraception soit leur affaire, leur responsabilité. La question était alors : comment est-on passé de la liberté d’acheter des contraceptifs sans entrave légale, comment est-on passé de l’affaire Griswold (en 1965) au stade actuel, où des jeunes femmes semblent réellement croire qu’on porte atteinte à leurs droits si un employeur ne peut être contraint de leur acheter des contraceptifs ?

Ce qui s’étalait dans les rues ce jour-là, devant la Cour, c’était le témoignage du changement le plus radical qui ait pris place dans notre « culture ». Comment quelqu’un pourrait-il réellement douter que la Cour Suprême elle-même a joué un rôle prépondérant dans la mise en place de cette sensibilité morale en enseignant du plus haut degré d’autorité que la contraception et l’avortement ont une complète légitimité ?

Ce qui est curieusement négligé dans tous les camps, chez les conservateurs comme chez les libéraux, c’est la compréhension classique de la connexion entre la « logique morale » et la « logique légale ». Un jugement moral se garde de déclarations suivant l’inclination personnelle et déclare les choses bonnes ou mauvaises pour les autres comme pour nous-mêmes. La loi balaie tout choix personnel pour imposer une règle revendiquée comme légitime et juste pour tous.

Quand la question a surgi par le passé de savoir comment le régime politique s’engageait dans l’éducation morale, il a été répondu qu’il le faisait par l’intermédiaire des lois. Quand la Loi sur les Droits Civils a été adoptée en 1964, la liberté de faire une discrimination en fonction de la race dans certaines entreprises a été exclue du domaine de choix personnel. Cela a été considéré comme immoral; cela a été interdit, sur un ton moral, à tous et à chacun se trouvant sous l’emprise des lois.

Avant que la loi ne soit adoptée, il y avait des majorités rivales au Nord et au Sud, soutenant ou combattant le projet de loi. Mais trois ans plus tard, il y avait de chaque côté une forte majorité pour soutenir la loi. La culture du Sud avait-elle changé de façon si considérable dans cet espace de temps ? Ou cela avait-il à voir avec le fait que des leçons morales différentes étaient enseignées depuis les hautes sphères de l’Etat, à travers les lois ?

De la même manière, comment justifier le soutien croissant aux mesures pro-vie, si ce n’est en raison de la promulgation régulières de telles mesures, qui relancent le sujet ?

Sur la question du mariage, les voix de l’opposition se réveilleraient plus rapidement si quelque chose était « mis sur la table » par nos politiques – quelque chose qui sortirait ce problème du règne des seuls juges et le réintègrerait dans le domaine où les gens ordinaires peuvent de nouveau argumenter, voter et penser — comme si cela importait, comme si cela dépendait de nouveau de leur jugement.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-seduction-of-changing-the-culture.html


Hadley Arkes est professeur de jurisprudence à Amherst College.