La polygamie et l'avenir de la liberté religieuse - France Catholique
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La polygamie et l’avenir de la liberté religieuse

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Le juriste Ed Whelan a récemment proposé une analyse typiquement astucieuse du cas de bigamie dans l’Utah, Brown v. Buhman, dans lequel une cour fédérale de l’Utah a condamné l’interdiction d’Etat de la « cohabitation ». La raison ? Elle violerait les droits accordés par le Premier Amendement aux polygames religieusement motivés, qui vivent ensemble des mariages « pluriels » même si un seul d’entre eux est reconnu par l’Etat.

Selon Whelan, la décision est mal rédigée, toute décision utilisant Orientalism d’Edward Say comme cadre d’interprétation devrait être suspecte dès le départ et sa longueur prodigieuse ne plaide pas en sa faveur. Whelan soutient que l’opinion de la Cour comme quoi l’Utah impose la loi anti-bigamie d’une façon discriminatoire envers les polygamistes par religion n’est pas fondée, et que quand même elle le serait, cela ne justifierait pas la suppression de la loi dans son intégralité. L’affaire est loin d’être réglée : l’Attorney Général d’Utah a annoncé son intention de faire appel.

Le mérite réel du jugement – savoir si la loi d’Utah est ou non anticonstitutionnelle – est moins intéressante que ses implications dans la liberté religieuse.

Comparons par exemple le cas Brown avec ceux découlant du mandat contraceptif du HHS. Le mandat HHS est une étape dangereuse dans la sécularisation de notre politique culturelle et son échec sera d’une importance durable dans notre héritage constitutionnel. Mais les cas comme celui de Brown sont bien plus délicats et vont au coeur de la façon dont les Etats-Unis se considèrent eux-mêmes.

La liberté religieuse – dans le sens où chacun a le droit de chercher le divin et ne peut pas être privé de ce droit par l’Etat – est un principe central du christianisme, qui a inspiré les peuples au cours des siècles, depuis le premier martyr chrétien, Saint Etienne, jusqu’aux plus récents, tel le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer.

Dans la tradition catholique, cependant, certaines choses sont claires, parmi elles, que la polygamie est contraire à la définition du mariage que donne l’Eglise. Dans cette optique, il importe peu que la polygamie soit ou non d’inspiration religieuse. Néanmoins, dans les limites de la tradition constitutionnelle américaine – et en accord avec la définition que donne l’Eglise de la personne humaine et de la liberté de conscience – il devrait être possible de défendre la pratique religieuse de la polygamie contre l’interdiction d’Etat, tout comme les opposants au mandat HHS (dont je suis) combattent l’empiètement de l’Etat.

Agir ainsi ne nécessite pas de soutenir que la polygamie est cohérente avec l’enseignement de l’Eglise, seulement que l’Etat ne peut pas imposer une vision séculière de la vie familiale qui empiète sur les dispositions religieuses des mariages. Cette approche combine une bonne loi constitutionnelle et des principes fédéralistes avec une sorte de tolérance typiquement américaine pour les façons de chercher Dieu que les sécularistes voudraient éliminer.

Mais ce n’est pas aussi simple. Ces arguments présupposent des références communes dans la tradition occidentale : c’est ainsi que nous sommes capables de discuter de concepts tel que le « fédéralisme » et la « liberté religieuse ». Cette tradition est tout-à-fait spécifique du christianisme, tout comme sa compréhension de la famille et de la société politique.

C’est un fantasme des séparatistes du dix-neuvième siècle que de croire que l’ordre constitutionnel américain n’est pas enraciné dans la compréhension chrétienne de la politique, des lois et des institutions telles que la famille. Malgré les efforts ingénieux de penseurs tels que John Rawls et Ronald Dworkin, une défense du constitutionnalisme purement abstraite et libérale a eu peu d’écho.

C’est pourquoi les affaires comme l’affaire Brown sont un défi. Les sécularistes vont sauter dessus pour favoriser des organisations familiales non-traditionnelles, qu’elles soient religieuses ou non, d’ailleurs la pression des médias a déjà commencé. Les sécularistes aiment les organisations familales non-traditionnelles, non pas qu’ils se soucient de liberté religieuse, mais parce qu’agir ainsi attaque la structure familiale traditionnelle. La tradition américaine de bon sens concernant le pluralisme et son ordre constitutionnel sera minée.

Les gens soucieux de liberté religieuse doivent-ils soutenir les Brown par solidarité parce que la prochaine fois que l’Etat se manifestera (il le fera, soyons en sûrs) ce sera contre eux ? Ou doivent-ils mettre une barrière aux pratiques qui n’entrent pas dans la principale tradition chrétienne ?

C’était la démarche prise quand l’Utah désirait rejoindre l’Union au dix-neuvième siècle, après de nombreuses luttes et violences. En défendant la liberté religieuse quel que soit le prix, n’y a-t-il pas un risque que nous la perdions, parce que c’est la tradition qui protège la liberté religieuse et qu’elle serait ébranlée ? Il est urgent de s’en inquiéter, car ces affaires vont se multiplier à mesure que les changements démographiques et religieux s’intensifient.

En prévision, nous pourrions d’abord nous tourner vers la tradition. Aux Etats-Unis, la compréhension traditionnelle du mariage, de la foi, de la famille tombe sous la juridiction de ce que le juriste Bruce Frohnen a appelé « un christianisme largement biblique mais non évangélique ». Dans les limites de cette tradition, par exemple, la Cour Suprême n’accorderait probablement pas la liberté de culte à ceux qui pratiquent les sacrifices humains (quand bien même les victimes seraient de quelque façon consentantes) : l’histoire d’Abraham et d’Isaac montre, dans notre tradition, l’injustice du sacrifice humain. La vision séculariste voudrait simplement remplacer notre tradition vécue par l’affirmation d’un « droit » individuel, une bonne recette pour le désordre social.

Ou nous pourrions nous tourner vers la recherche en sciences sociales. Il pourrait y avoir des documents à consulter pour savoir si certaines structures familiales sont plus aptes que d’autres à favoriser l’épanouissement humain. Bien sûr, cela pourrait être contesté, pourrait varier selon les circonstances, l’époque, le lieu, les communautés, mais cela fournirait une base de discussion. Quoi qu’il en soit, étant donné la nature idéologique d’une bonne part de la science sociale (ainsi qu’Helen Rittelmeyer l’a récemment mis en évidence dans un essai pour First Things), justifier quelque position que ce soit se révèlera une vraie course d’obstacles.

S’appuyer sur ces ressources n’entraînerait pas nécessairement la destruction de notre héritage chrétien collectif mais permettrait au pluralisme de prospérer là où c’est possible. Ce qui est en train d’arriver semble être un nouveau consensus dans lequel la civilisation chrétienne commune est remplacée par un mélange de consumérisme et de sentimentalisme larmoyant lagement teinté de sécularisme prônant les droits individuels et l’hostilité à la Foi et à la tradition.

Ce qui n’est bon ni pour la liberté religieuse ni pour notre héritage constitutionnel, que l’arrêt Brown soit ou non confirmé.


Gerald J. Russello est rédacteur de University Bookman.

Photo : Les Brown…

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