La pharmakeia, la contraception et la vie intérieure - France Catholique
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La pharmakeia, la contraception et la vie intérieure

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En matière de contraception, un couple catholique peut facilement succomber à ce qui peut être dénommé la tentation bourgeoise : le christianisme est parfait tant qu’il n’exige rien. Mais si les enseignements de l’Église sont vrais ? S’ils sont une partie de la révélation et de la Bible ?

La lettre de saint Paul aux Galates utilise le mot grec pharmakeia. On le traduit habituellement par sorcellerie et il apparaît dans un catalogue de péchés que Paul condamne comme « œuvres de chair » : immoralité, impureté, licence, idolâtrie, sorcellerie, inimitié, conflits, jalousie, colère (5:19-21). La liste est longue et incite le dévot à la survoler. Pourtant, chaque mot a été mis là à dessein par le Saint-Esprit et cela signifie qu’il faut le décortiquer.

La sorcellerie était un problème vers l’an 54, quand Saint Paul a écrit cette lettre. Dans son inestimable livre Le sexe et les conventions de mariage, John F. Kippley souligne que pharmakeia peut aussi faire référence au contrôle artificiel des naissances.

« Pharmakeia désignait en général la préparation de potions variées dans des buts secrets, et on sait qu’au cours du premier siècle on préparait des potions contraceptives et abortives. La traduction habituelle par sorcellerie pourrait bien ne pas révéler toute l’étendue des pratiques spécifiques condamnées par le Nouveau Testament. Dans chacun des trois passages où ce mot apparaît, c’est dans un contexte de condamnation de l’immoralité sexuelle, deux de ces trois passages condamnent également le meurtre (Gal 5:19-26 ; Apocalypse 9:21, 21:8). Donc il est très possible que ces trois passages du Nouveau Testament condamnent en fait l’usage des produit de la pharmakeia en vue d’un contrôle des naissances. »

Les catholiques, bien sûr, n’ont pas besoin de preuve dans les Écritures pour savoir que la contraception artificielle est un mal. C’est une doctrine intangible du Magistère ordinaire, basée sur la loi naturelle, enseignée depuis l’origine et réaffirmée dans de nombreux documents papaux. Mais ils ont vraiment besoin de savoir pourquoi l’Église enseigne que la contraception est un mal. Les catholiques fervents sont souvent sommés de donner les raisons d’un enseignement si éloigné des vues modernes sur la sexualité.

Une approche est de fouiller dans la double signification du mot pharmakeia – sorcellerie et contrôle artificiel des naissances. Les deux sens du mot dénotent une perversité qui infecte notre culture si profondément qu’on ne s’en rend plus vraiment compte. Je veux dire par là une séparation gnostique entre la chair et l’esprit, ce qui est contraire à la volonté de Dieu qui s’est incarné.

Le gnosticisme était le premier et le plus mortel ennemi de l’Église. Il considère la matière comme diabolique et le corps humain comme un ennemi plutôt qu’un allié potentiel de la vie spirituelle. L’Église a combattu bec et ongles contre cette attitude, affirmant non seulement que la matière est bonne (puisque créée par Dieu) mais que le corps, selon les mots de Tertullien, est le « pivot du salut ». C’est une des raisons pour lesquelles le credo de Nicée n’affirme pas l’immortalité de l’âme – ce qu’il pourrait faire – mais la résurrection des corps.

L’attitude positive de l’Église envers le corps implique une attitude positive envers la sexualité, en dépit de rhétoriques occasionnellement passionnées de figures comme Saint Augustin. La sexualité est estimée par l’Église comme étant un bonum spirituel pour un couple marié, et non, comme le voudraient les gnostiques, une activité charnelle équivoque – ou au mieux neutre.

L’attitude gnostique envers le corps n’a jamais entièrement disparu. Elle a muté au cours des âges. Notre version moderne a commencé avec Descartes, dont le Cogito ergo sum (je pense donc je suis) a radicalement séparé l’individu du corps.

A notre époque, beaucoup de gens pensent comme Descartes : ils imaginent que leur être véritable est quelque part à l’intérieur de leur corps, le proverbial esprit à l’intérieur de la machine, et que ce qu’ils font de leur corps n’a pas réellement d’importance. Le corps est un objet que l’on manipule, il n’a pas de connexion essentielle avec notre noyau spirituel. Cette dévaluation gnostique du corps est tellement enracinée que nous ne la remarquons même pas. Et pourtant il faut nous en débarrasser si nous voulons construire ce que Saint Jean-Paul II appelle la Civilisation de l’Amour.

L’Église offre une lecture radicalement différente de la personne humaine. Dans une large mesure, nous sommes notre corps, et nous sommes ce que nous faisons avec notre corps. Cela signifie que notre bien-être spirituel est intimement lié à nos actes physiques. Et il n’y a pas d’acte physique plus sérieux que l’acte sexuel.

La sexualité ne se réduit pas au fonctionnement d’un appétit biologique. C’est une profonde attache entre deux êtres. C’est un échange de personnes, et pas simplement un échange de plaisir entre deux adultes consentants. Toute la personne, corps et âme, est impliquée. Le Magistère nous rappelle dans des textes comme Humanae Vitae et Familaris Consortio que ce lien est si intimement uni à la création d’une nouvelle vie humaine qu’il n’y a pas moyen de les séparer artificiellement sans nous causer à nous-mêmes un dommage spirituel.

Un couple qui met délibérément un verrou à sa fertilité met en œuvre une forme moderne de sorcellerie en essayant de prendre le contrôle de la nature de façon illicite. Comme le souligne Chesterton, le contrôle artificiel des naissances « [vole] le plaisir découlant d’un processus naturel en contrecarrant de façon violente et anti-naturelle ce processus même. »

La contraception est entièrement différente d’une planification naturelle de la famille, dans laquelle un couple qui a des raisons d’espacer les naissances accepte le don de la sexualité comme il est inscrit dans la personne humaine et traite sa fertilité comme un dépôt sacré plutôt que comme un problème technologique. Cela demande un effort d’imagination pour faire le lien entre une petite dose d’hormones artificielles ou un morceau de plastique et le bien-être spirituel d’un couple – ou alors une culture vraie et complète. Mais si cette forme moderne de sorcellerie viole réellement la vertu de chasteté, alors les implications spirituelles sont profondes.

Joseph Pieper l’exprime ainsi :

« Nous avons perdu la conscience du lien étroit qui unit la connaissance de la vérité à la condition de la pureté. Thomas [d’Aquin] dit que la fille aînée de la lascivité était la cécité de l’esprit… un désir impur, égoïstement corrompu, détruit tout à la fois la résolution de l’esprit et la capacité de la psyché d’écouter, dans une attention silencieuse, le langage de la réalité. »

Le premier pas concret que Jean-Paul II nous encourage à faire (dans Evangelium Vitae) pour contrer la « culture de mort » est d’établir des centres pour promouvoir la régulation naturelle des naissances. Le Magistère a raison : la pharmakeia pose des limites au don de soi dans le mariage et est de ce fait un obstacle entre l’âme et Dieu.


George Sim Johnston est l’auteur de « Darwin avait-il raison ? Les catholiques et la théorie de l’évolution. »


illustration : Le mariage, par Henri Rousseau, en 1905.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/07/pharmakeia-contraception-interior-life/