La modernité décryptée par l'Apocalypse - France Catholique
Edit Template
Pontificat de François - numéro spécial
Edit Template

La modernité décryptée par l’Apocalypse

C’est pour le 21  décembre ! Ainsi parle un calendrier maya qui s’arrête à la date fatidique, celle du solstice d’hiver. Dans une semaine, la fin du monde sera là avec son cortège de choses déplaisantes (tremblements de terre, météorites, explosion nucléaire ou contrôle fiscal). Mais depuis quand les chrétiens doivent-ils croire au calendrier maya et avoir peur de l'Apocalypse ? S.P.
Copier le lien
En 2011 vous aviez publié 1un commentaire de l’Apocalypse de Jean (F.C. n° 3251, 18 mars 2011). Aujourd’hui, vous publiez un essai 2 sur le même thème de « la fin du monde », même si ni l’Apocalypse ni Babel n’évoquent directement la fin du monde… L’Apocalypse, c’est la révélation ; et Babel (ou Babylone), c’est une ville, un pays, un lieu, un espace, « un monde » qui va délibérément à son autodestruction. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire cet essai sur Babel… ? Philippe Plet : C’est la situation du monde contemporain. On a beaucoup médiatisé le calendrier maya… Bien sûr, tous ne croient pas en la prédiction de ce calendrier, mais les temps que nous vivons nous invitent à une réflexion en profondeur sur les « signes des temps ». Notre monde est en mutation, et beaucoup de gens se demandent quelle direction il vaut mieux prendre en cette « fin de monde » que nous connaissons en Occident. En d’autres termes, les enjeux sont-ils seulement profanes ? Ou bien sont-ils également spirituels ? Il est très important de comprendre que la Révélation a quelque chose à nous dire pour les temps qui sont les nôtres. Vous avez choisi comme titre Babel et le culte du bonheur… Or, vouloir être heureux en ce monde ne nous paraît pas, à première vue, particulièrement répréhensible. Dieu ne nous veut pas tristes et malheureux. Alors, en quoi cette recherche du bonheur sur terre peut-elle être absolument « babylonienne », ou « babélienne », en ce que cela a de plus négatif ? La sagesse est une question d’équilibre. Bien sûr l’aspiration au bonheur est une chose louable, au point qu’elle est la première promesse que Dieu fait aux hommes en leur ouvrant la porte du Paradis. Cependant, sur la terre, cette aspiration doit être équilibrée par l’arbitrage de la vérité. Jean nous présente, à travers la figure de Babylone, l’image d’une société, ou d’un monde, qui a fait de la quête du bonheur terrestre une véritable religion. La vérité doit être le critère ultime de l’action, comme c’est le cas dans le christianisme ; et lorsqu’on lui substitue la recherche du plaisir et du bonheur, on engendre une nouvelle religion qui est celle de Babylone : un monde par excellence relativiste du point de vue philosophique et moral. La culture occidentale est diffusée avec une efficacité extraordinaire. Or, il semble que cette efficacité repose sur une ignorance de ses fondements et de ses fins. Dans votre ouvrage vous mettez en lumière les idéaux et les valeurs de la modernité, pour montrer ce qu’ils portent en eux de négatif… L’efficacité de la diffusion de la culture occidentale contemporaine tient au fait qu’elle propose un universalisme fondé sur le relativisme absolu de toutes les valeurs. Lorsque la modernité est présentée comme étant « universelle », la conséquence immédiate, c’est de considérer toutes les autres cultures comme « secondaires », c’est-à-dire en fin de compte « folkloriques ». La modernité, fondée sur le culte du bonheur, recèle un immense pouvoir de dissolution de toutes les valeurs morales et métaphysiques. Son relativisme intrinsèque la place au-delà des cultures et de toute morale. Mais quelle est en fin de compte la nature profonde d’une telle universalité, sinon une vacuité radicale, un vide de toute détermination, de toute valeur ? La transcendance de la modernité, c’est le néant ! Une telle culture aveugle les hommes quant à leur discernement entre le bien et le mal. Aussi peuvent-ils s’étonner « de bonne foi » de l’émergence d’un monde inflexible comme la mort, tandis qu’ils croyaient participer à l’édification du paradis terrestre ! La mondialisation n’est pas neutre du point de vue religieux et philosophique ? La mondialisation se présente sous le visage rassurant de la liberté et de la spontanéité. L’économie, qui en est la dynamique, incarne sous les traits du libéralisme cette double bienveillance. Cependant, à y regarder de plus près, les choses ne sont pas si simples. La mondialisation n’est pas un phénomène strictement économique ou technique. La mondialisation est un processus véritablement idéologique. Pour le comprendre, il faut revenir aux sources de la modernité. Hegel (1770-1831) est incontestablement l’un des grands maîtres de notre modernité. Par sa pensée philosophique, il a façonné le visage politique et sociologique du monde contemporain. Son influence réside dans le fait d’avoir prétendu émettre les lois du progrès de l’Histoire. Pour Hegel, l’Histoire est la manifestation de l’Absolu (ou l’Esprit absolu) qui vit, meurt, et renaît sans cesse, à travers les figures des grandes civilisations qui se succèdent dans la conduite du monde. On interprète aujourd’hui le libéralisme comme étant la forme la plus avancée d’organisation du monde, au point qu’on peut même envisager d’unifier le monde en un seul ensemble. Tel est le rêve que caressent les idéologues contemporains. Cependant, la conception négative qu’Hegel a de l’homme individuel devrait nous faire réfléchir. Son double éloge de la guerre (comme moteur du progrès) et de l’absolutisme (l’homme serviteur de l’État) me paraît peu humaniste. René Girard a beaucoup parlé de la « violence mimétique ». Vous l’invoquez dans votre livre pour dire que l’hédonisme 3 est tout aussi mimétique, et donc tout aussi dangereux que l’est la violence. En quoi cette unification du monde par les valeurs hédonistes, dénoncée dans l’Apocalypse, est-elle si dangereuse ? Pour René Girard, le mimétisme est envisagé dans sa relation spécifique avec la violence. Ainsi, une culture mimétique conduit au déchaînement de la violence sans frein. C’est vrai, mais ce n’est encore là qu’un aspect du mimétisme. Il n’est pas nécessaire à la transe mimétique qu’elle se réalise dans et par la violence. Les plaisirs terrestres sont tout autant capables de susciter une rivalité certes plus pacifique dans sa manifestation, mais conduisant les membres d’une société à la même perte des différences. Lorsque, comme dans la modernité, l’hédonisme devient un trait culturel, alors le mimétisme peut devenir un état mental permanent. Le mimétisme vide l’homme de son âme, et il en fait un homme de masse, un homme « standard ». Le mimétisme détruit la conscience morale universelle, le bien et le mal dans leur vérité intangible, pour ne laisser subsister qu’un ersatz subjectif : on me fait du bien ou on me fait du mal. Le type d’homme qu’engendre le mimétisme diffusé par le système libéral, c’est « le consommateur » : l’homme qui ne vit plus qu’en référence aux convoitises (les attractions) aveugles. Cette perte de la conscience morale s’accompagne, en parallèle, d’un développement proportionnel de l’individualisme. L’unité de Babylone engendre paradoxalement la division ou décomposition individualiste, qui fait que chacun devient étranger à tous ; c’est le monde du tous contre tous ! Le mimétisme est par nature destructeur, puisqu’il fait coexister deux réalités inconciliables : la perte des différences, qui engendre le mélange, le mimétisme et même la confusion ; et l’individualisme, qui au contraire sépare irréductiblement les êtres. Mimétisme plus individualisme : un cocktail explosif préparé par notre monde ! Notre monde connaît de nombreux « fléaux » (naturels, économiques et financiers, sociologiques, etc.). Le texte de l’Apocalypse parle des « Sept fléaux »… Quel parallèle faites-vous entre ces deux genres de « fléaux » ? Sous quel angle, faut-il les considérer ? Les fléaux, qu’ils soient provoqués par la nature ou par l’homme, accompagnent toute l’histoire de l’humanité. L’Apocalypse utilise le fléau naturel comme une métaphore pour nous parler d’un fléau d’ordre spirituel. C’est une manière d’affirmer que la fin du monde dépend seulement de la liberté humaine, des choix spirituels que feront les hommes. La science, pourtant, pourrait constituer une espérance : mise au service du libéralisme, ne pourrait-elle contribuer à résoudre les problèmes à la fois matériels et religieux qui font obstacle à l’édification d’un « paradis terrestre » ? Si la science était capable de guérir les maladies de l’âme, et de lui donner les réponses dont elle a besoin, alors elle serait sans doute en mesure de résoudre les problèmes qui s’opposent à l’édification d’un monde parfait. Mais la science n’a de pouvoir que sur la matière… Les adeptes de « l’homme augmenté », c’est-à-dire de l’homme complété et parfait par la technologie, semblent croire qu’on peut vivre « sans âme » ici-bas, et même qu’on pourrait y vivre presque éternellement. Leur position n’est vraiment pas réaliste ! Benoît XVI, le 11 octobre, a inauguré l’Année de la foi… Le synode des évêques à Rome s’est achevé le 28 octobre : il avait pour thème la nouvelle évangélisation. Comment suivre l’Agneau dans le monde d’aujourd’hui, un monde à la fois si pluriel et si standardisé ? Que doit faire l’Église pour remplir son rôle ? Tandis que l’Apocalypse utilise l’image guerrière pour nous parler du combat spirituel, et que le Christ y figure en quelque sorte comme un chef militaire s’opposant à l’immense armée du Dragon, il est étonnant de voir que le Christ ne demande pas à ses partisans d’aller assiéger Babylone, ni d’affronter l’armée coalisée contre eux. Ce qu’il demande aux « élus », c’est de garder la foi et de la faire briller dans un monde qui tente constamment de l’étouffer dans son immanence. Votre ouvrage s’achève bien, si l’on peut dire… Et lorsqu’on lit votre livre, on entre dans l’espérance. Parlez-nous de votre vision de la fin du monde. Dans l’Apocalypse, Jean nous décrit la fin proprement dite du monde sous la forme d’une extase. Si l’on veut se représenter matériellement ce passage du monde du devenir à celui de l’immuable, on peut dire que les hommes de ces derniers temps verront soudainement les murs de leurs maisons, le paysage qui les entoure, et le ciel tout entier, devenir évanescents et peu à peu transparents, perdant leurs formes et leurs couleurs, pour finalement disparaître tout à fait. Ils se retrouveront en un instant devant le trône de Dieu dans l’éternité ! Il ne dépend que de nous de permettre à Dieu d’unifier le monde ! Le ferons-nous ?

Documents joints

  1. « Les grandes énigmes de l’Apocalypse », éd. Salvator, 2011, 326 pages, 22,31 e.
  2. Babel et le culte du bonheur », éd. Salvator, 2012, 232 pages, 20 e.
  3. Hédonisme : En philosophie, doctrine morale qui fait du plaisir le principe ou le but de la vie.