Un journal publie, sans la moindre vergogne ni la moindre trace d’esprit, une manchette : « Le nouveau pape met son humilité en devanture ».
On ne peut que regretter l’époque où des journalistes, orfèvres pesant et nuançant les mots, auraient évité la gaffe, ou auraient rappelé les paroles de Jésus sur l’aumône d’une main que l’autre main doit ignorer.
Cependant, il faut d’une certaine façon que notre humilité soit visible. Ou alors, je n’ai pas bien saisi la question. Le problème n’est pas tant de montrer l’humilité que de rendre visible par elle l’amour de Dieu. Ainsi parle Jésus — peu après avoir annoncé que ceux qui aspirent le plus au royaume des cieux seront insultés, persécutés, diffamés:
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut se cacher, qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.» (Mt, 5:14-16).
Nous devons faire l’aumône en secret, même à notre propre insu, ainsi notre Père qui voit dans les replis de notre cœur nous donnera Sa récompense. Nous devons laisser luire notre lumière, afin que les hommes voient nos bonnes œuvres et rendent grâce à notre Père des cieux.
J’ai idée que, si Saint Paul avait donné un de ces commandements dans son épitre aux Romains, et l’autre dans son épitre aux Éphésiens, bien des érudits, ajustant leurs bésicles sur le nez, se seraient précipités sur les notes de bas de page, puis nous auraient fait savoir que, selon les toutes dernières recherches, ces deux épitres ne peuvent avoir été écrites par le même homme. C’est ainsi que les gens se cantonnent dans une orgueilleuse étroitesse d’esprit, refusant le paradoxe de ces deux grandes vérités.
Voyant les pharisiens faire leurs prières sur les carrefours et montrant leurs visages pas apprêtés afin qu’on remarque leur jeûne, Jésus condamne leur hypocrisie et déclare que de tels individus ont déjà reçu leur récompense. Ils se sont érigés en leurs propres idoles, pour eux comme pour les autres; car l’ « eidolon » n’est rien d’autre qu’un objet à contempler, un vain spectacle, comme un chanteur pleurnichant sa chansonnette devant des milliers de fans, ou un politicien épanoui face à la foule. Ils perçoivent précisément ce qu’ils sont venus chercher. La boucle est bouclée. Il n’y a rien à ajouter. « Miroir, miroir, . . .» dit le pharisien en s’affichant, ou la star, ou le politicien, ou n’importe lequel d’entre nous quand on se prend pour cette idole la plus trompeuse, soi-même. « lequel est le plus saint?» — ou le plus talentueux, le plus subtil, le plus astucieux, le plus fort, le meilleur. « C’est moi, dit l’idole!»
Mais nous devons faire briller notre lampe devant les hommes, tout comme on doit allumer la lampe et la mettre sur le lampadaire, pour éclairer tout le monde dans la maison. Selon cette métaphore, qui est un condensé de parabole, Jésus nous invite à une forme courageuse d’humilité. Personne n’allume une lampe pour que les gens la regardent. On voit les objets éclairés par la lampe. Être la lumière du monde ne signifie pas attirer l’attention du monde, mais être l’instrument grâce auquel on peut voir l’amour et la gloire du Père.
C’est d’autant plus nécessaire que, pour notre propre santé spirituelle, nous devrions être aveugles à notre propre lumière, d’abord parce qu’elle vient de Dieu et non de nous-mêmes, et ensuite pour voir la lumière de Dieu illuminant les bonnes œuvres des autres. Jésus dit que notre main gauche doit ignorer ce que fait notre main droite. Il ne dit pas que notre main gauche ne doive pas savoir ce que fait la main droite de quelqu’un d’autre; mais nous devrions plutôt voir Dieu à la lumière de ces actes, et Lui rendre grâce. Cette action de grâce, cette « doxa », c’est notre participation à la générosité de Dieu. Nous devenons plus semblables à Lui en nous perdant dans Sa lumière.
Notre accomplissement est donc dans l’obscurité. Nous devons être les ambassadeurs invisibles de Dieu, Le rendant visible par la lumière répandue par nos bonnes actions. C’est une tâche difficile et dangereuse. « Il faut que lui grandisse, et que moi je décroisse.» dit Jean-Baptiste (Jn, 3:30); paroles à conserver comme la devise de tout chrétien agissant dans le monde. Ainsi devons-nous être le vitrail vivant, comme le dit le poète Herbert, au travers duquel brille l’histoire unique, l’histoire de l’amour de Dieu pour les hommes pécheurs et de la rédemption par laquelle Il nous affranchit de l’esclavage.
Nous devons montrer cet amour au monde, chaque chrétien à sa manière unique, tout comme chaque saint a reçu l’illumination colorée des grâces particulières accordées par Dieu; ici à Saint François, là à Saint Dominique. Mais ce qu’on voit, c’est l’histoire illustrée par le vitrail, pas le verre teinté; et ce que le monde devrait voir, c’est le Christ, et non pas les fragiles personnages que nous sommes.
Les destins d’éternité sont sur les plateaux de la balance: le nôtre, et ceux des gens que nous rencontrons dans le courant de la vie, des plus intimes aux plus fugaces. Mais nous avons reçu cette bénédiction. Le monde hors de l’Église est si tristounet, lugubre, que la plus petite lueur de foi, d’espérance, d’amour que nous pouvons répandre, aussi floue et entachée de soucis personnels soit-elle, apparaîtra aussi brillante qu’un nouveau soleil au firmament. Pourvu qu’il en soit ainsi.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-light-of-the-world.html
NDT: texte français des citations bibliques tiré de la Bible de Jérusalem.
Gravure : Le pharisien et le publicain – Julius Schnorr von Carosfeld (1794 – 1872).