La contradiction - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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La contradiction

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En philosophie classiques, les êtres humains sont appelés « animaux rationnels ». Pourquoi cela ? Ils sont certainement des animaux, et dotés en plus d’une large gamme de facultés qui permettent la pensée. Les capacités cognitives de l’homme incluent tout ce qui fonctionne convenablement en lui. Curieusement, nous nous trouvons exister avec un corps, des facultés sensorielles et un cerveau. Nous ne nous sommes pas donné ces choses à nous-mêmes. Nous nous sommes réveillé un matin et elles étaient déjà là. Un des buts majeurs de l’existence est de comprendre pourquoi nous existons, ou mieux encore, pourquoi nous vivons pour connaître.

De toute évidence, depuis leur apparition, les hommes ont tous eu plus ou moins les mêmes facultés. L’avantage, si c’est est un, d’arriver plus tard dans le temps, c’est d’avoir des souvenirs. Nous pouvons nous rappeler et construire sur ce que d’autres ont résolu avant nous. Le vieux dessin animé qui montrait un homme des cavernes perplexe poussant une brouette équipée d’une roue carrée au lieu d’être ronde l’illustre parfaitement. Il a fallu que quelqu’un invente la roue. Mais ceci fait, il n’était plus nécessaire ni excitant de la réinventer, quoique nous aurions pu, s’il l’avait fallu.

C’est une chose unique d’avoir reçu un cerveau et, ce qui va avec, des mains – ces remarquables instruments qui nous rendent capables de relier nos pensées à des choses extérieures sur lesquelles nous les appliquons. Nous découvrons que nous pouvons modifier les choses qui nous entourent. Les outils nous permettent de faire beaucoup de choses qui nous seraient impossible sans cette faculté de changer les choses autour de nous afin de parvenir au but que nous désirons. Nous n’avons pas tout-à-fait tort de penser que peut-être il était prévu qu’il en soit ainsi.

Nous nous demandons de temps en temps : « pourquoi un cerveau ? » Il semble que nous l’ayons, que cela nous plaise ou non. Nous pourrions donc bien y jeter un œil. On appelle cela l’introspection ; il n’y a pas d’autre moyen de faire. Nul doute que l’esprit a laissé perplexe plus d’un philosophe au cours des âges.

Dans un premier temps, la chose la plus caractéristique de nos esprits est cette tendance constante à vouloir savoir ce qu’une chose est ou n’est pas. Les gamins rendent fous leurs parents avec de telles questions. Quand une mère chinoise dit à son enfant que cette chose est une chaise, le mot chinois n’est pas le même que le mot letton qu’une mère lettonne emploie pour dire la même chose. Mais la réponse, que ce soit en mandarin ou en letton, désigne la même chose, un objet sur lequel s’asseoir. Par la suite, nous apprenons que s’asseoir n’est pas la même chose que se tenir debout ou se coucher. Nous distinguons les mots et ce qu’ils signifient.

Nos esprits nous permettent de connaître les choses autres que nous-mêmes et nos besoins immédiats. En vérité, ils nous permettent de connaître tout ce qui se présente, pour peu que l’on s’en donne la peine. Nous voulons, tels Socrate, connaître ce qui n’est pas nous-mêmes. Nous découvrons rapidement qu’il y a une chose que nous ne pouvons pas faire. Nous ne pouvons pas dire que Joe est John. Nous sommes obligés de dire que Joe n’est pas John. Nous pouvons dire que Joe est un Anglais. De même que John. Nous ne pouvons pas dire qu’un Anglais est un Letton. Donc les abstractions également, à un certain niveau, diffèrent entre elles comme le font les objets physiques. Nous affirmons les distinctions.

L’esprit a un « principe » englobant qui permet à tout humain qui le possède de penser correctement. C’est le principe de contradiction. Il statue qu’une chose ne peut à la fois être et ne pas être au même moment et dans les mêmes circonstances. Si deux choses étaient absolument identiques en tout, y compris leur existence, alors elles seraient le même objet et la question de leur différence ne se poserait même pas.

Comment sais-je que ce principe est vrai ? Pas parce qu’on me l’a enseigné. C’est parce que je ne peux pas penser que ce n’est pas vrai sans dans le même temps affirmer que c’est vrai. Avec ce principe, je peux commencer à distinguer et séparer les choses. Je peux commencer à mettre de l’ordre parmi les choses. Cette chose-ci n’est pas cette chose-là. Cette chose ressemble à telle autre mais elle est également différente.

Nous ne voulons pas nous abuser nous-mêmes à propos de ce qui nous entoure. Platon disait que la pire chose pouvant nous arriver, c’était d’avoir de bon gré en notre âme un mensonge concernant ce qui est. Un mensonge, c’est quand nous savons une chose mais que nous l’affirmons autre que ce qu’elle est. Quand nous nous contredisons nous-mêmes, quand nous disons d’une chose qui est qu’elle n’est pas, nous affichons devant nous-mêmes – et devant les autres, qui ont également un cerveau – qu’il y a un dysfonctionnement dans notre esprit.

Les contradictions ne vont pas nous laisser tranquilles. Au plus haut niveau, nous ne sommes pas, et nous le savons, ce que nous devrions être si nous les maintenions. C’est la bénédiction du principe de contradiction. Il ne nous laissera pas tranquilles. C’est probablement pourquoi il existe.


James V. Schall, qui a été durant trente-cinq ans professeur à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.

Illustration : « Le penseur » de Rodin,1902 [musée Rodin, Paris]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/14/on-contradiction/