À quelques mois d’importantes élections professionnelles qui définiront les syndicats représentatifs dans l’administration, nous avons rencontré Denis Lefebvre, président de la fédération CFTC des fonctionnaires et agents de l’État, pour l’interroger sur l’évolution de la fonction publique en cette période de crise, ainsi que sur les enjeux actuels pour la CFTC.
Les réformes de la Révision générale des politiques publiques et de la Modernisation de l’action publique s’inscrivent dans une logique de coupes budgétaires. Comment cela se passe-t-il dans les services ?
La RGPP engagée par le précédent gouvernement à partir de 2007 est une réforme comptable, c’est-à-dire qu’on ne remplace pas un départ sur deux ou sur trois à la retraite. Cela a donc fait des dégâts puisqu’on a réduit des effectifs sans voir les missions qu’il y avait derrière chacun des postes supprimés.
Avec l’alternance, la gauche avec la MAP (Modernisation de l’Action Publique), a prétendu éviter ce piège mais, à l’arrivée, on ne voit pas vraiment de différence. Les fonctionnaires sont très inquiets parce qu’en réalité ils voient bien — c’est notamment la question des fameux 50 milliards qu’il faudrait économiser — qu’on nous demande encore des efforts alors que les services sont déjà saignés à blanc. Je pense par exemple aux remarques de la Cour des comptes à propos du contrôle des animaux pour l’alimentation qui n’est plus fait. Cela s’explique parce qu’on a réduit les effectifs des contrôleurs, mais aussi des douaniers, des inspecteurs du travail et cela a forcément des conséquences sur le terrain.
Il faudrait une étude approfondie des réels besoins de l’État et ajuster les effectifs en conséquence. Mais cela demande du temps, or les gouvernements agissent dans l’urgence. Et cela demanderait également une diminution moins rapide des effectifs. Parce qu’il n’y a sûrement pas autant de poches de sureffectifs que certains veulent bien le dire. Peut-on dire qu’il y a trop de policiers ? Trop de militaires ? Et les ministères classiques du type « Agriculture », « Équipement » ont déjà été sabrés. Et cela continue. J’évoquais les militaires, mais je pourrais également parler du personnel civil du ministère de la Défense qui est passé de 150 000 à 60 000 en dix-quinze ans. C’est considérable.
Cela ne risque-t-il pas de créer des antagonismes et de faire disparaître l’idée de service public chez les agents ?
Non, je ne crois pas. Les agents sont très attachés au service public. Le service public c’est la vocation de l’administration. Et ça n’est pas perdu. On pourrait par contre se poser la question si tout passait au secteur privé. On peut se demander si la notion de service public ne se dilue pas dans des entreprises publiques de plus en plus privatisées. Mais dans l’administration, le fonctionnaire sait encore bien qu’il est au service du citoyen.
On a le sentiment que les emplois d’exécution (catégories B et C) sont sacrifiés au détriment des cadres dont les effectifs se maintiennent et s’accroissent au contraire. Pourtant, l’État n’a-t-il pas besoin de commis, de contrôleurs, d’agents qui rendent directement les services aux publics ?
Ce qui s’est passé, c’est l’externalisation. Toutes les tâches d’exécution ont été transférées au secteur privé. Ainsi, il n’y a pratiquement plus de menuisiers par exemple. J’ai connu le temps où c’était les menuisiers qui fabriquaient les meubles au ministère de la Défense… Cette sous-traitance massive a réduit au minimum les catégories C qui aujourd’hui restent massivement des adjoints administratifs, des personnels qui font de la rédaction ou du secrétariat. Il faut ajouter que les effectifs sont déséquilibrés car il y a plus de 800 000 enseignants, donc assimilés cadres, qui appartiennent à la catégorie A.
Comment être un syndicat chrétien quand on est dans un État qui semble avoir pour religion la laïcité et l’évacuation systématique du sacré dans la sphère privée ?
C’est vrai. La laïcité n’interdit pas d’avoir une religion mais elle interdit pratiquement d’en manifester l’appartenance, par le port d’une croix, d’une kippa et je ne parle pas du voile. On incite les fonctionnaires à rester particulièrement discrets. Ce qui n’empêche pas de mettre son comportement en accord avec sa foi. Et d’ailleurs, il faut dire qu’il existe toujours des réseaux d’aumôneries. Mais la CFTC reste un syndicat laïque et pas un syndicat confessionnel. Nous avons d’ailleurs des adhérents d’autres confessions. Nous nous inspirons de la morale sociale chrétienne et nous restons attachés à ces valeurs chrétiennes même si elles peuvent nous poser problème dans certains milieux laïcistes.
Mais, au contraire, la situation dans laquelle nous sommes, de matérialisme, avec la perte de valeurs qui nous semblent essentielles, cette crise devrait remettre en lumière ces valeurs que nous défendons. À nous de les faire passer et d’expliquer en quoi elles sont essentielles pour surmonter cette crise. Même s’il faut bien avouer, qu’en effet, c’est probablement plus dur que dans le privé, dans des milieux qui ne sont pas toujours très ouverts.
À la fin de l’année auront lieu les élections professionnelles dans la fonction publique. Quels en sont les enjeux pour la CFTC ?
Dans l’administration, pour être un syndicat représentatif, il faut obtenir un siège dans une instance représentative d’un ministère : le comité technique ministériel. Ce qui représente 6 ou 7 % des voix, un peu moins que dans le privé ou il faut atteindre les 10 %. Mais cela reste difficile à atteindre pour nous. Nous faisons donc des alliances. Exclusivement avec des syndicats dits « réformistes », comme l’UNSA et la CGC. Quand on fait alliance avec eux, on ne vend pas son âme, si je peux me permettre l’expression. Mais les règles de représentativité nous obligent à passer ce type d’alliances qui ne sont pas opposées et même plutôt nécessaires pour continuer à défendre nos valeurs chrétiennes. n