Fr. Neuhaus
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En 1990, notre ami le P. Richard John Neuhaus (ndt : rédacteur en chef de « First Things », décédé en 2009) a publié un ouvrage sous le titre « L’Instant catholique : le paradoxe de l’Eglise dans le monde post-moderne ». Sa thèse centrale – surprenante chez quelqu’un qui était encore à l’époque un pasteur luthérien – était que, du fait de l’apostasie du protestantisme traditionnel, de la pauvreté intellectuelle de l’évangélisme, et de la pure inadéquation du sécularisme, la renaissance catholique avec Jean-Paul II :
1) était l’unique vecteur le plus important de la foi et de la morale chrétiennes dans le monde ;
2) devait assumer « son juste rôle dans la transformation de la culture américaine de liberté ordonnée par une philosophie politique inspirée par la religion. »
Le premier point est, bien entendu, de loin le plus important puisque le second dépend de bases religieuses solides. Certes, les principes catholiques sociaux, tels que la solidarité, la subsidiarité, le bien commun, et la riche vision catholique de la personne humaine, sont de taille à sauver de l’auto-destruction un ordre politique vacillant. Neuhaus prétendait d’ailleurs qu’un non-croyant ne pouvait pas être réellement un bon citoyen dans la mesure où il était incapable de justifier d’une manière parfaitement cohérente l’origine de nos libertés et la raison pour laquelle les gouvernements étaient tenus de les respecter.
Toutes considérations mises à part, il était dans le vrai, y compris dans son appréciation que l’instant appartenait au Catholicisme. Ce n’était pas un temps sans nuages. Même dans la Pologne récemment libérée du début des années 90, la vision de JP II de la dignité humaine enracinée dans la création à l’image de Dieu et la véritable nature de la liberté, rencontrait des résistances. Les principes qui avaient bien fonctionné contre une émanation des Lumières telle que le communisme avaient du mal à percer le brouillard de la culture post-moderne.
En dépit du gouvernement de l’Eglise par l’un des géants moraux du vingtième siècle, puis avec Benoît XVI, l’un des saints hommes les plus brillants à accéder au pontificat, nous nous trouvons à ce que l’on peut honnêtement appeler « l’instant anti-catholique ». Le profond besoin de catholicité continue d’être présent, mais nous avons peut-être atteint le plus bas niveau d’influence et de respect pour l’Eglise de ces dernières décennies. Il convient de distinguer plusieurs aspects :
Comme toute grande institution humaine, la Catholicisme n’est pas à l’abri de gaffes spectaculaires : le défaut d’examen d’un évêque de la fraternité S. Pie X et de ses liens avec l’antisémitisme ; les échecs dans le traitement des abus sexuels du clergé ; une maladresse quasi sénile dans l’exposé de sa propre foi.
La crise des abus sexuels est certes douloureuse, mais elle n’est pas la première raison de cet instant anti-catholique qui tire toujours son origine la plus profonde de la simple incroyance. Les sociétés développées, à notre époque, ont adopté une foi par défaut : la liberté consiste dans l’autonomie radicale ; le bonheur provient du libre choix hors de toute direction.
Tous les efforts du Catholicisme n’ont guère entamé cette conviction. Le temps de l’Eglise est « géologique » (Paul Johnson). L’Eglise ne fonctionne pas au gré des modes. Par ailleurs, les croyants ont souvent plus d’enfants que les non-croyants. Peut-être la solution – pas si lointaine – sera-t-elle démographique .
Beaucoup de catholiques et d’autres Chrétiens qualifient volontiers d’anti-chrétiennes les vues contraires à la foi et à la morale chrétienne. Voire. En fait nombre de nos contemporains ont souvent reçu depuis trop longtemps peu ou prou d’éducation dans les écoles publiques. Ils ont appris les Croisades, l’Inquisition, l’affaire Galilée – et rien d’autre de la véritable histoire chrétienne. Ils ne sont pas coupables même s’ils nous dérangent néanmoins.
Il y a certes des personnages plus inquiétants. Là encore il faut distinguer. Les anti-chrétiens militants – les Richard Dawkins-Christopher Hitchens-Sam Harris et consorts – se battent sur le terrain des idées. Dès qu’ils débattent en raison, ils se heurtent à un terrain familier aux catholiques puisque toute raison est en définitive fondée sur le « Logos ». La discussion peut prendre du temps et être quelque peu fastidieuse, mais si chacun cherche la vérité il a des chances de trouver La Vérité.
Par exemple, il est dit que la science n’a trouvé aucune preuve de Dieu. Vrai. Mais il est absurde de penser que Dieu soit un objet comme les autres de la Création. En tout cas, le Dieu des chrétiens ne l’est pas. Il est le Dieu transcendant, source et garant de l’univers, de la liberté et de la dignité humaines, comme aucun objet ne peut l’être. Un Dieu qui ferait partie de l’univers, c’est Vénus, Mars ou Apollon – qui ont toujours des fidèles inconscients.
Il n’est pas si important que chaque chrétien ait recours à de tels arguments. Il importe plus que l’ensemble des Chrétiens sachent que ces arguments ont été fournis par des personnes de toute confiance et sont disponibles. La plupart des Chrétiens manquent de cette assurance parce qu’ils n’ont pas été soumis à ce type de questions dans leurs églises ou leurs écoles.
Les véritables anti-catholiques, ceux qui non seulement s’opposent à la foi chrétienne mais veulent la détruire, sont moins nombreux qu’on ne pense. Ils cherchent par des moyens juridiques (faute des moyens politiques qui leur font défaut) à faire reconnaître la présence de Dieu dans la sphère publique comme non-américaine ; par voie de conséquence, à placer des institutions telles que les écoles, les hôpitaux et les églises catholiques à l’extérieur d’un cordon sanitaire juridique.
Désolé pour les Pères Fondateurs (ndt : de la Constitution américaine). En Europe, désolé pour les démocrates-chrétiens – les Maritain, Adenauer, Robert Schuman, Alcide de Gasperi – moteurs de la construction de l’Union européenne.
Que faire ?
Premièrement, les chrétiens ne doivent céder – sur rien. Nous vivons un moment culturellement particulier ; notre bagage est encore substantiel (pour le moment), mais nous sommes dans un Moyen-Age (ndt : au sens d’âge des ténèbres) culturel. Avec des téléphones mobiles. Cela ne devrait donc peut-être pas durer si longtemps.
Deuxièmement, la longue marche peut s’accommoder de succès politiques majeurs. Les progrès viendront discrètement du sein des familles, des écoles, des églises et des associations. Le précédent de l’effondrement de l’Union soviétique nous enseigne que de grandes grâces, subites, peuvent nous surprendre.
Enfin, comme le P. Neuhaus le disait souvent, les chrétiens ne doivent pas être des optimistes mais remplis d’espérance au plein sens théologique. Toutes choses ont leurs limites, notamment celles de César – Même les Chrétiens ont eu tendance à l’oublier.
L’instant catholique, en vérité tout instant de l’Histoire dont Dieu est le Seigneur, signifie que nous devons toujours être prêts à faire face à tout ce qui nous arrive, depuis notre vie de famille jusqu’à l’échelon national et international. Un défi certes long et difficile à relever mais celui auquel nous sommes aujourd’hui appelés.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-anti-catholic-moment.html