Le titre ci-dessus vient du poème de T.S.Eliot « Burnt Norton ». Il m’est venu à l’esprit l’autre jour quand j’ai entendu la lecture de l’évangile de Jean dans lequel Jésus dit à ses disciples pendant la dernière cène :
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand Il viendra , l’Esprit de vérité, Il vous enseignera toute vérité.
J’ai trouvé cette lecture particulièrement poignante parce que nous arrivions à la fin du semestre – le moment où, quelque soit la quantité de choses que j’avais réussi à couvrir ce semestre, il était temps de laisser partir mes élèves. Cela me déprime toujours, à la fois parce que je sais qu’ils me manqueront et parce que j’ai toujours l’impression que je n’en ai pas fait assez. Si seulement je leur avais enseigné ceci, ou si j’avais passé plus de temps sur cela.
Au moment où vous pensez que peut-être, juste peut-être, quelques-uns d’entre eux commencent en fait à comprendre, il est temps qu’ils partent. C’est l’heure. Vous avez eu votre chance. C’est fini. Cela ne semble pas juste vraiment.
Certains semestres mon anxiété était telle que le dernier jour de classe, je faisais une conférence que je décris comme de « faire entrer un éléphant dans une boîte ». J’essaie de prendre le matériel de plusieurs semaines et de faire tout entrer dans une seule conférence magnifique. C’est un acte désespéré qui déclare : « Voici à peu près deux douzaines de choses que je veux que vous sachiez afin de ne pas me sentir trop coupable de ne pas vous avoir enseigné assez, et je vais tout faire entrer dans les trente minutes qui suivent en parlant très vite et en écrivant au tableau à un rythme effréné. »
En fait, c’est assez stupide. On ne peut pas faire entrer plus d’une certaine quantité de choses dans la tête des gens dans un court espace de temps. Alors je devrais simplement admettre devant les étudiants que, comme Jésus le disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. »
Le Christ, cela va sans dire, était beaucoup plus sage que moi. Au lieu d’essayer de faire de la dernière cène une décharge d’informations désespérée, au lieu d’essayer de leur enseigner tout le Catéchisme de l’Eglise Catholique en trois heures , Il leur dit qu’il y avait encore beaucoup de choses à savoir mais qu’ils n’étaient pas prêts, que le Saint Esprit viendrait et les guiderait.
Et puis, il y a cette question : Que feriez-vous avec vos amis les plus proches si vous n’aviez que quelques heures à vivre ? Leur rempliriez-vous la tête de plus d’informations ? Même Socrate n’a pas fait cela. Il a passé ses dernières heures dans le genre de conversation qu’il avait utilisé pendant toute sa vie. Mais ses amis comprirent que c’était un signe de son amour pour eux. Il ne s’est pas contenté de faire une conférence. Il a utilisé le dialogue socratique habituel. Deux de ses élèves ont même contesté jusqu’à la fin ses arguments au sujet de la vie après la mort. Cela peut sembler un peu dur, mais je ne peux pas imaginer qu’un maître dévoué puisse souhaiter rien de mieux.
Alors, nous pourrions demander : comment voudriez-vous que vos meilleurs amis se souviennent de vos derniers moments ? Même si vous étiez en train de les enseigner, que voudriez-vous qu’ils gardent comme derniers souvenirs ? Ceux d’un homme amoureux de sa vocation ? De quelqu’un qui aime ceux avec lesquels il parle? Ou d’un homme désirant désespérément donner quelques dernières instructions avant que le bourreau n’arrive ?
Il n’y avait simplement aucun moyen que Jésus dise à ses apôtres tout ce qu’ils avaient besoin de savoir – tout ce que nous avons besoin de savoir. C’est pourquoi il est si important, alors que nous nous approchons de la Fête de la Pentecôte que nous nous rendions compte combien le Saint Esprit a été nécessaire et continue de l’être dans la vie de l’Eglise.
Nous pouvons trouver les fondements de tout ce qui viendrait plus tard déjà présents dans les Ecritures et dans l’enseignement des premiers apôtres. Mais nous n’aurions pu d’aucune manière trier dans tout cet enseignement pouvant prêter à confusion pour préciser que le Fils de l’Homme est « Un » avec le Père, que dans la Trinité il y a « trois personnes en un seul Etre », ou que, dans le Christ, il y a « deux natures en une seule personne» sans que l’Esprit Saint ne nous guide.
Et comment au nom du ciel l’Eglise aurait-elle pu survivre spirituellement au fil des ans au milieu de toutes les persécutions, sans parler de sa propre corruption, sans la continuelle protection du Saint Esprit ?
Comme je voudrais pouvoir envoyer un petit « moi spirituel » pour rappeler à mes étudiants les choses que je leur ai enseignées quand ils en ont le plus besoin. Mais je ne le peux pas. Tout ce que les parents et enseignants peuvent faire est d’espérer qu’ils emporteront la sagesse et l’amour que nous avons essayé de partager dans le monde avec eux.
Ce que Jésus peut faire est effectivement d’envoyer sa sagesse et son amour– la sagesse et l’amour qu’il partage avec le Père – dans le monde avec nous ; l’amour qui est aussi une personne, le Saint Esprit. Dieu est vraiment intelligent de cette manière parfois.
Et pourtant, nous sommes une société qui veut tout savoir et le savoir immédiatement. Essayez de faire cela et cela vous fera éclater le cerveau et vous brisera le cœur. Les relations se développent au fil du temps et la sagesse ne peut être acquise qu’au fil du temps. L’humanité ne peut pas supporter beaucoup de réalité. Dieu doit la diviser, en petites doses. Sinon elle nous écraserait.
Il est difficile parfois de comprendre ce que l’Esprit est en train de faire, où Il nous mène et ce qu’Il essaie de nous enseigner. Si nous pouvions tout comprendre, je suppose qu’Il nous aurait déjà tout dit. En attendant, nous devons seulement être patients, aussi ennuyeux que cela soit. Nous marchons par la foi, non par la vue, confiants que l’Esprit nous guidera même à travers l’obscurité.
15 mai 2016
Tableau : La Pentecôte par El Greco, 1600 (Musée du Prado, Madrid)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/05/15/humankind-cannot-bear-very-much-reality/