Malcolm Muggeridge, alors encore agnostique mais déjà en chemin vers la Foi et l’Eglise, a écrit cela à propos de l’homme politique Jésus, une idée en vogue à son époque et aussi de nos jours dans quelques recoins avant-gardistes :
« Il est curieux de songer que cette idée de Vous (Jésus) présenter comme un progressiste avoué et un combattant de la liberté est maintenant approuvée dans des cercles cléricaux et même ecclésiastiques. J’ai établi que Vous avez résolument refusé de Vous attacher à des causes terrestres, comme le nationalisme juif, et que Vous Vous êtes abstenu de dénoncer les injustices et les inégalités de Votre époque, telles que l’esclavage, ce qui, de nos jours équivaut à blasphémer. Il semblerait que rien ne vous préserve de rejoindre Lord Soper et Lord MacLeod sur les bancs travaillistes de la Chambre des Lords. »
Dans The Wild Orchid (L’orchidée sauvage), le héros de Sigrid Undset, Paul Selmer, lui aussi encore agnostique, est contrarié et dégoûté par l’insistance de son beau-frère à proclamer que Luther n’est pas allé assez loin et que les dogmes éculés du Credo, tels que Jésus est le Fils unique engendré par le Père, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, devraient disparaître de nos jours. Quelle serait l’utilité d’un tel Christ, pense-t-il, à part enrober les notions de morale courante et les affaires d’État d’un vernis religieux ? Lui aussi, tout comme Muggeridge et Undset elle-même, aspire à la communion.
Récemment, un laïc musulman nommé Aslan – rien à voir avec le célèbre lion – a écrit un livre nommé Zealot (Zélote) proclamant que le « vrai » Jésus était un Mohammed raté, un insurgé politique. Les médias, qui se sont réjouis d’entendre cette nouvelle, n’ont même pas remarqué que cette déclaration était une vieille absurdité ressassée.
Nous attendons le prochain érudit spécialiste de Shakespeare, qui ne sera pas spécialiste de Shakespeare pour deux sous, pour nous faire découvrir que les pièces de Shakespeare ont été écrites par quelqu’un d’autre, voire même (dans le cas d’Earl d’Oxford) par quelqu’un si passionné par son travail qu’il a même écrit plusieurs pièces après ses propres funérailles.
Voilà le genre de tentatives menées pour transformer Jésus en marionnette, le faire danser sur nos mélodies et chanter ce que nous voulons entendre et sommes en mesure de comprendre. Le plus risible dans tout ça est l’idée que qui que ce soit aurait pu confondre un tel personnage avec le Fils de Dieu. Ca signifierait que, contre toute évidence, Jésus aurait été quelqu’un comme le sénateur Robert LaFollette. Mais alors je ne peux vraiment pas imaginer quoi que ce soit pour expliquer l’Eglise.
A ma connaissance, personne dans le Wisconsin n’a jamais proclamé avoir vu le sénateur griller du poisson sur les berges du Lac Supérieur ou enjoignant ses disciples de nourrir les libéraux républicains. Je pourrais affirmer, contre toute évidence que Jésus était quelqu’un du genre de Catilina, de Jack Cade ou de John Brown, mais des militants politiques abandonneront plus vite un chef à terre — crucifié ! — que des rats ne quittent un navire en train de sombrer. Il est tristement amusant de voir comme il reste peu de staliniens en Union Soviétique depuis que leur oncle bien-aimé a reçu sa récompense éternelle.
Mais le plus pitoyable, dans ce travestissement de Jésus en modèle politique, est que, comme Muggeridge l’a vu avec justesse, Jésus a toujours remis à leur place subalterne toutes les politiques terrestres. Quand les pharisiens Lui tendent un piège, lui demandant s’il faut payer l’impôt à César, Jésus refuse la question sous cet angle.
Il ne se laisse pas tenter par l’une des idôlatries principales de l’homme, le culte de l’Etat — voyez, par exemple, Ses paroles étonnantes à Ponce Pilate : « tu n’aurais pas de pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » (Jn. 19:11)
Il ne se laisse pas tenter non plus par l’espérance juive, qui voudrait inscrire la foi en Dieu dans un état théocratique — voyez Ses paroles sur Jérusalem, la cité sainte, qu’il adresse aux apôtres admiratifs : « vous voyez ces grands bâtiments ? il n’en restera pas pierre sur pierre. » (Mc. 13:2)
Il ne prend pas non plus le chemin de l’anarchisme facile, qui refuse toute légitimité aux royaumes terrestres. « Rendez à Cesar ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Lc. 20:25)
Nous ne comprendrons rien à Jésus tant que nous mettrons l’accent sur les questions que nous Lui posons au lieu de Le laisser poser les questions qu’Il désire nous poser. Il est à la fois trop grand et trop petit pour nos catégories.
Etudions l’incident qui se produit sur le chemin de Capharnaüm, après que Jésus ait indiqué à ses disciples qu’Il devait se rendre à Jérusalem pour y être crucifié. Les disciples commencent à débattre de qui sera le plus puissant parmi eux quand Jésus viendra inaugurer son Royaume. Qui sera vice-président ? Qui sera Garde des Sceaux ? Qui sera Chancelier de l’Echiquier ? Qui sera secrétaire d’État, président de la Cour suprême, calife de Cordoue, procurateur d’Egypte, Grand Oeil de l’Empereur, shériff, employé de mairie ou employé de fourrière ?
Alors Jésus s’assied, rassemble Ses disciples autour de Lui, et avec une infinie patience et le triste et léger sourire que vous pouvez imaginer, leur dit : « Si un homme veut être le premier, il doit être le dernier et le serviteur de tous. » (Mc. 9:35)
Il fait alors quelque chose qui à mon sens est plus bouleversant que lorsque le démon Lui offre les royaumes de la terre et qu’Il l’envoie paître. Il prend un petit enfant et l’installe au milieu d’eux « et après l’avoir pris dans Ses bras, Il leur dit : quiconque reçoit un de ces enfants en Mon Nom Me reçoit, et quiconque me reçoit, ne Me reçoit pas Moi, mais Celui qui M’a envoyé. » (Mc. 36:37)
Et voilà pour le culte du pouvoir.
Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il enseigne à Providence College.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/jesus-the-politician.html
illustration : la tentation du Christ, par Vassili Sourikov (1872)