C’est la saison de l’espérance. Certainement pas si vous écoutez les informations quotidiennes, mais si vous êtes allés à la messe et avez bien écouté les lectures. Tous les jours, nous avons été inondés de lectures pleines d’espérance des prophètes – surtout Jérémie, Isaïe ou Zacharie. On en a eu un tas sur « le loup invité par l’agneau » et ce genre de choses, sur des promesses de « succulentes nourritures et vins de qualité »; le sourd entendra et l’aveugle verra; Dieu effacera les larmes de tous les visages.
Avec ces prophéties, on a entendu parler de hautes montagnes aplanies comblant les vallées, de la steppe exultant de joie et pleine de fleurs épanouies, de déserts transformés en marais et de terrains secs couverts de sources; et beaucoup au sujet de gens qui chantent et crient de joie, heureux. C’est ce genre de lectures que nous entendons chaque année à cette époque. C’est l’Avent, et l’Eglise pense que c’est le bon moment de nous remettre en mémoire que nous devons être un peuple « fixant son regard devant lui » vers quelque chose – quelque chose de magnifique.
Cependant, un de mes collègues me faisait récemment remarquer que toutes ces exclamations pleines d’espérance étaient proférées par des hommes qui avaient de bonnes raisons de considérer qu’ils vivaient des temps désespérés, dont la situation historique était, pour le dire avec modération, franchement négative. Jérémie, Isaïe et Zacharie ont tous vu venir, ou ont vécu la profonde défaite de la Judée aux mains de ses ennemis et l’exil de son peuple dans un pays lointain.
Ils ont tous vu un avenir d’esclavage et de misère pour un peuple croyant que rien ne pourrait le vaincre, puisqu’il était « le peuple choisi par Dieu » et auquel Il a promis « la Terre Promise ». Et pourtant les voilà au bord de l’abîme, sentant la terre commençant à se dérober sous leurs pieds. Une chute longue et brutale. Mais, malgré tout, ils chantaient les louanges de Dieu, qui promettait un avenir lumineux. Avaient-ils perdu la raison ? Maintenant, nous ne le pensons pas; mais, à l’époque, on aurait bien parié que oui.
Quel est le fondement de notre espérance ? Selon Saint Thomas d’Aquin, c’est le pouvoir infini de Dieu qui est la raison de croire formellement à l’espérance. Nous pouvons espérer parce que nous croyons que « pour Dieu tout est possible ». Dans son merveilleux livre « Living the Truth in Love », ainsi que dans ses cours à l’Université Catholique Internationale, le Fr. Benedict Ashley observe que « la miséricorde et les promesses de Dieu ne seraient pas les fondements de l’espérance si Dieu n’avait pas la capacité de tenir ses promesses ».
Ashley suggère que le désespoir peut être défini comme « l’acceptation délibérée de l’idée que même Dieu ne peut pas nous sauver du désastre ». Accepter cette idée, c’est capituler devant ce qu’un de mes amis appelle « l’illusion de l’impuissance de Dieu ». Vous avez probablement connu le pouvoir de cette illusion, des voix intérieures insistant pour vous dire: Dieu n’est pas présent dans ma souffrance. Il ne peut pas rectifier ce qui est tordu, pas rendre « bien » ce qui est « mal ». Il ne peut pas réparer ce qui est cassé. Les forces du mal dans le monde et en nous-mêmes ne peuvent pas être vaincues.
L’espérance chrétienne est l’espoir que vous avez quand il n’y a plus d’espoir. Dans East Coker, T.S. Eliot commande à son âme de
…rester calme, et d’attendre sans espoir
Car l’espoir ce ne serait pas espérer la bonne chose
Attendre sans amour, car ce ne serait pas aimer ce qui doit l’être
Alors, il y a la foi
Mais c’est dans l’attente soumise que tu trouveras l’espoir, l’amour et la foi.
Attends sans réfléchir, car tu n’y es pas prêt:
Ainsi l’obscurité deviendra lumière, et l’immobilité se transformera en danse.
Quand le moment présent est sombre et l’avenir encore plus, comme c’était le cas pour les prophètes dont nous entendons les messages d’espérance en ce temps de l’Avent, c’est spécialement là que nous sommes appelés à marcher guidés par la foi, et non seulement par l’oeil. La foi: substance des choses que nous espérons, l’évidence de celles qui sont invisibles.
« Ce serait cependant une grave erreur », nous prévient sagement le Fr. Ashley, « de juger que toute personne qui paraît désespérée aurait commis un grave péché de désespérance. Un cas de pathologie mentale très commun est celui de la déprime, qui peut avoir de nombreuses causes, génétiques, hormonales, ou être le résultat de chocs très durs comme la mort d’êtres aimés ou de douloureuses épreuves de guerre… Quand une personne souffre de pathologie mentale, est effondrée à la suite de décès tragiques, ou est marquée par la dureté de la vie ou le poids insupportable de la maladie, comme c’était le cas de Job, ses tentations de désespérance sont des épreuves spirituelles et non des péchés. Il suffit de lire les psaumes pour voir comment ceux qui aiment vraiment Dieu et mettent leur espoir en Lui, Lui adressent leurs complaintes, et trouvent qu’il est bien difficile d’espérer ».
Par ces mises à l’épreuve, nous sommes purifiés de tout. Il nous reste l’essentiel: la confiance dans le pouvoir infini du Dieu tout puissant : « Ayez toujours confiance dans le Seigneur », lisons-nous dans Isaïe 26:4, « car le Seigneur est un roc éternel ». Ici, le mot « confiance » est le mot grec traduisant « espérance », selon le livre des Septantes. C’est un solide rocher; il ne peut être vaincu. En cela, nous trouvons les raisons d’espérer pour aller de l’avant, même au milieu de grandes épreuves et tribulations, et en des époques de profonde obscurité.
Ne sais-tu pas, n’as-tu pas entendu ?
Le SEIGNEUR est le Dieu de toujours,
Il crée les extrémités de la terre.
Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas…
Il donne de l’énergie au faible;
Il amplifie l’endurance de qui est sans forces.
Bien que des jeunes hommes s’évanouissent et se fatiguent
Et des jeunes trébuchent et tombent
Ceux qui espèrent dans le SEIGNEUR retrempent leur énergie,
Ils vont prendre leur essor comme avec des ailes d’aigles,
Ils s’élancent et ne se fatiguent pas,
Marchent et ne s’évanouissent pas
(Is 40:28-31)
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/12/23/hope-in-a-time-of-darkness-and-despair/
Photo : Fr. Benoît Ashley. OP.
Randall Smith est professeur de théologie à l’Université Saint Thomas, de Houston, Texas.