M. Henri Loyrette, président-directeur sortant du musée du Louvre, a adressé le 11 avril une lettre officielle de quatre pages à l’un des plus grands quotidiens allemands, « Die Zeit », de Hambourg, pour répondre aux « propos ouvertement francophobes » que celui-ci avait adressés le 4 avril à l’exposition « de l’Allemagne, 1800-1939, de Friedrich à Beckmann » qui vient de s’ouvrir à Paris. Friedrich n’est pas le roi-philosophe de la Prusse mais le peintre Caspar David Friedrich ; Beckmann n’est pas le célèbre joueur de football mais Max Beckmann auteur en 1938, en exil, de « l’enfer des oiseaux », toile que « le Monde » a comparé à Guernica.
En fait d’enfer, c’est plutôt celui des responsables de l’exposition qui étaient animés des meilleures intentions envers l’Allemagne en s’inscrivant dans la postérité de Mme de Staël. La lettre ouverte du conservateur du Musée illustre le « jardin des malentendus » comme l’avaient jadis appelé les auteurs d’un ouvrage consacré au « commerce franco-allemand des idées ». La partie française jure ses grands dieux qu’elle n’a jamais voulu faire du nazisme l’aboutissement naturel de l’Histoire de l’unité allemande et spécialement de l’école romantique comme l’en accusent les critiques de « Die Zeit » et d’autres. La preuve en est que « l’exposition part de Goethe et de l’universalisme des Lumières et non pas un romantisme sombre ».
Il se trouve qu’il existe à Paris un Centre allemand d’histoire de l’art dirigé par un allemand qui avait proposé de s’en tenir là, à Goethe et à Weimar. Le directeur du Louvre tenait, lui, à donner à ce projet « une toute autre ampleur », du fait, dit-il, de « la méconnaissance presque complète du public français sur cette période de la peinture allemande » et parce que l’exposition était « programmée pour se tenir en cette année de commémoration de l’amitié retrouvée entre l’Allemagne et la France ». Le problème est bien là : qu’on ait voulu donner une portée politique à un événement culturel. Or les problèmes relationnels du couple franco-allemand au plan politique et économique ne sauraient être résolus ni même atténués par la célébration d’une amitié culturelle ou une simple connaissance ou compréhension meilleure de l’autre. A l’inverse, il était à redouter que la détérioration du climat politique entre les deux gouvernements ne pèse sur l’événement culturel, ce que ceux des médias allemands qui ne nous sont pas favorables (il en est d’autres heureusement) ont bien analysé.
Les équipes du Louvre ont, semble-t-il, travaillé sans les Allemands. Elles ont déployé la plus cartésienne des approches sur un sujet complexe et particulièrement risqué. Elles ont fait œuvre de pédagogie à l’adresse d’un public français, renvoyant les Allemands à leur ambivalence. La controverse, voire la polémique, renvoie à la crise profonde que traverse l’Europe où France et Allemagne semblent à nouveau condamnées à s’éloigner et à s’opposer. Les structures mises en place par le traité de 1963 résistent, mais elles luttent contre le courant dominant. Il n’est pas étonnant que les premières à craquer soient les plus vulnérables, au plan culturel. Le traité fut un succès politique mais quoi qu’on en dise, la réconciliation culturelle un échec. Echange de jeunes, apprentissage des langues respectives, projets artistiques en commun, n’ont pas donné le résultat escompté. La tentative magistrale du Louvre n’est qu’un ultime avatar de ces relations avec, conclut M. Loyrette dans sa lettre, « ce voisin si proche et si étrange(r) ». Quelle audace dans ce dernier mot à la mesure de la « peine » éprouvée par ces meilleurs amis et connaisseurs français de l’Allemagne.
Du 28 mars – 24 juin 2013 – Hall Napoléon
http://www.louvre.fr/expositions/de-l-allemagne-1800-1939-de-friedrich-beckmann
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Tanmeai Tischbein, Goethe dans la campagne romaine, 1787, huile sur toile. Francfort, Städelsches Kunstinstitut und Städtisches Galerie © U. Edelmann – Städel Museum – ARTOTHEK