L'Église face au monde - France Catholique
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L’Église face au monde

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Saint Ambroise de Milan (339-397).

Saint Ambroise de Milan (339-397).

© Pascal Deloche/ Godong

Un des principaux soucis qui présida à l’élaboration du concile Vatican II fut l’insertion de l’Église dans le monde de son temps. C’est ce qui conduisit à la rédaction de la constitution pastorale Gaudium et spes : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ. »

Réalités et idéal

Mais un tel souci n’a rien d’inédit dans l’histoire de l’Église. Sans doute fallait-il dans les années 1960 qu’intervienne une mise au point, un aggiornamento, afin de mieux mettre en évidence les questions posées par les mutations d’un monde très différent de celui du précédent concile (1870).

Un tel aggiornamento ne pouvait s’écrire en termes purement sociologiques, car émanant d’une institution « dans le monde sans être du monde ». Comment le message évangélique qui vise d’abord à la conversion des cœurs peut-il entrer en connivence avec les mœurs, les institutions, les relations sociales et économiques d’une époque donnée ?

Pour peu qu’on observe l’histoire du christianisme, on est frappé par la façon dont les interprètes de ce message se trouvent en tension avec des réalités qui ne correspondent pas forcément à l’idéal supérieur auquel ils se réfèrent. Ce n’est pas une raison pour fuir ces réalités. Il convient plutôt de les affronter directement, sans être sûr d’en résoudre toutes les difficultés.

C’est l’intérêt de l’essai de Jean-Marie Salamito sur les Pères de l’Église et l’économie de mettre en abyme cette insertion d’un discours chrétien dans les réalités temporelles, comme celle du travail humain. Ainsi, il n’est pas exact d’affirmer que le christianisme aurait réhabilité la valeur du travail à l’encontre d’une civilisation gréco-romaine qui le méprisait.

Ce qui préoccupait un saint Ambroise de Milan, c’était de défendre la dignité des travailleurs à gage contre le dédain de l’aristocratie foncière. C’était, du même coup, en appeler à « une conception globale de l’existence humaine ». Non, le bonheur ne consistait dans l’accomplissement philosophique de soi-même, ne serait-ce que dans un système autarcique, mais en un appel qui surpasse, celui même de Dieu. Comme le veut saint Augustin, disciple d’Ambroise.

Ce qui retient le plus l’attention dans l’étude de Jean-Marie Salamito, c’est son chapitre passionnant intitulé : «Pourquoi les chrétiens n’ont-ils pas aboli l’esclavage ? » De fait, si l’on étudie de près les textes du Nouveau Testament et tous ceux qui suivront dans les premiers siècles chrétiens, on n’y découvre « aucune interdiction théorique de l’esclavage ni aucun écho d’un abandon général de celui-ci dans la pratique ».

La question de l’esclavage

Cela ne signifie pas que le regard d’un saint Paul en particulier n’ait pas affecté fondamentalement la représentation que l’esclave avait de lui-même et celle du maître à son égard : « Aux yeux de Paul, la relation de chaque nouveau chrétien avec le Seigneur Christ l’emporte de loin sur le rang que ce même chrétien occupe dans la société au moment de sa conversion. Cette primauté du religieux (ou du spirituel) vaut pour les individus libres comme pour les esclaves » (voir p. 38).

Faute d’être récusé, vu l’énormité du fait social-économique, l’esclavagisme ne se trouve jamais justifié. Bien au contraire, sous l’éclairage chrétien, l’esclave se trouve doué d’une liberté intérieure en contradiction avec sa condition dans la société romaine. C’est saint Grégoire de Nysse qui, le premier, en tirera la conclusion. Soumettre à l’esclavage, c’est transgresser et combattre l’ordre divin lui-même ! 

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Jean-Marie-Salamito, Travailleuses, travailleurs ! Les Pères de l’Église
et l’économie
, Salvator Philanthropos, 176 p., 18 €.

Olivier Grenouilleau, Christianisme et esclavage, NRF-Gallimard, 544 p., 28,50 €.