L'Église est sainte - France Catholique
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L'Église dans l'attente
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L’Église est sainte

L’Église est œuvre divine et réalité humaine. Comment s’articulent ces deux notions que l’actualité vient bousculer ? Entretien avec le Père Augustin Pic, dominicain du couvent de Tours.
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« La Ronde des bienheureux », détail du Jugement dernier, 1431-1435, Fra Angelico, musée national du couvent San Marco, Florence, Italie.

« La Ronde des bienheureux », détail du Jugement dernier, 1431-1435, Fra Angelico, musée national du couvent San Marco, Florence, Italie.

On entend dire ces temps-ci que l’Église est « pécheresse ». Comment continuer alors à la proclamer « sainte » dans le Credo ? Père Augustin Pic : L’expression Église pécheresse, ou péchés de l’Église, est ce qu’on appelle une « commodité de langage ». Sans être tout à fait fausse, cette manière de dire reste dogmatiquement inexacte. En effet, pour préserver la vérité devant ceux qui ont le droit et le devoir de demander compte, il faut faire sienne en profondeur et faire admettre l’heureuse formule du cardinal Journet : « Toujours sans péché, l’Église n’est jamais sans pécheurs. » Car c’est le moyen de bien distinguer l’Église comme réalité humaine et l’Église comme œuvre divine, l’un n’allant jamais sans l’autre puisque c’est une seule et la même. L’une ne va pas sans l’autre, comment cela ? La réponse est à la fois très mystérieuse et très simple. Si l’Église n’était pas sainte, elle ne serait pas œuvre divine. Or elle est œuvre divine, donc elle est sainte. Inversement, si elle n’était pas composée de pécheurs, elle n’aurait rien à voir avec l’humanité concrète, puisque c’est dans notre multitude – pécheresse en acte et par le péché originel – qu’elle se recrute. Or, si elle n’était qu’un rassemblement de pécheurs sans rester œuvre divine, on ne voit pas comment les pécheurs y feraient leur salut, puisque c’est précisément pour faire leur salut que Jésus-Christ les y rassemble. Ainsi, on peut redire en sens inverse : jamais sans pécheurs mais toujours sans péché. Intenable, en un sens, cette tension durera jusqu’à la fin du monde. Si l’Église est sainte, pourquoi Dieu ne transforme-t-il pas tout de suite les pécheurs en saints ? Parce qu’Il nous a créés pour mettre entre Lui et nous la réciprocité de l’amour. Une réciprocité inégale parce que notre amour pour Lui n’égalera jamais le Sien, qui est infini. En d’autres termes, le « oui » premier qu’Il nous dit en nous créant attend le « oui » que nous Lui devons. Or, pour qu’un oui soit véritable, il faut que soit possible un non. Mystère du libre-arbitre, nécessaire en tout amour vrai. En somme Dieu ne nous a faits capables du meilleur, c’est-à-dire d’être unis à Lui, qu’en nous créant capables du pire, c’est-à-dire d’imiter Satan en nous préférant nous-mêmes à tout. De sorte que si notre création est la première perfection que nous recevons de Lui, la perfection ultime ne sera rien d’autre que notre conversion et notre action de grâces, dans le oui de Jésus sans lequel on ne peut rien et avec celui de Marie. Une bonne Tourangelle, bouleversée par la crise actuelle, demandait récemment à l’un de nos Pères : « Mais que fait Dieu ? » Réponse : « Il attend » (sous-entendu notre oui). En deux mots, tout est dit. Quelles sont les preuves tangibles de la sainteté de l’Église ? Ce sont les sacrements, l’Écriture et la Tradition, et aussi – ce qui parlera plus aux incroyants ou mal-croyants – ce qu’on peut appeler les effets temporels du dogme. À savoir tout ce par quoi les affaires humaines demeurent pénétrées d’esprit évangélique – certes de moins en moins… De même que les saintetés, solitaires ou publiques, qui ont surabondé en tous lieux et en tout temps et qui jamais ne manqueront. Pensons, par exemple, au beau communiqué du journal L’Humanité à la mort de saint Pie X en août 1914 : « On doit dire qu’il fut un grand pape. Sa politique fut très simple ; elle consistait à restaurer les valeurs de la foi avec une fermeté apostolique (…). De quelque façon qu’on le juge, il faut dire que Pie X a été un grand pape.» En quantité, certes, il y a plus de pécheurs que de saints mais dans la balance, c’est du côté de ces derniers, du côté de la qualité, donc, que le plateau penche. Quels sont les moyens de sanctification que propose l’Église ? La liturgie, l’Écriture, les sacrements, la Tradition, le Magistère, l’exemple des saints, comme aussi de tant de chrétiens en travail de sanctification – travail difficile et encore incertain mais tout de même… Ajoutons l’intercession de ceux – l’Église triomphante – qui nous ont précédés au Ciel, surtout celle de la bienheureuse Vierge. Première des sauvés, en effet, et sous un mode unique – par préservation originelle et parfaite du péché, alors que nous, c’est par arrachement, jour après jour –, n’est-elle pas le modèle de la sainteté, son icône, pour l’Église militante ? N’est-elle pas, après Son Fils et en Lui, l’intercession par excellence ? Mais arrêtons-nous sur un point capital pour comprendre l’actualité de l’Église et la vivre selon Dieu. L’Église est par nature à la fois signe et moyen du salut. Le signe aura beau s’obscurcir en raison des pécheurs et des péchés, le moyen, lui, restera à l’œuvre ici-bas, en sa puissance qui est celle même du Saint-Esprit. Jamais par conséquent l’obscurcissement du signe ne sera total car il deviendrait impossible en ce cas d’accéder au moyen de salut et d’en bénéficier. Le Christ, en effet, a promis que les portes de l’Enfer ne prévaudront pas. Aspirer à la sainteté peut paraître décourageant, tant la marche est haute. Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs ? Je les invite à voir tout d’abord par quel côté ils vont bien, ou vont le moins mal. Car, autant dans le péché que dans l’obéissance, nous sommes rarement tout d’une pièce. Il y a toujours, ou presque, un peu d’ordre quelque part en nous, si réduit qu’il soit : certains ne prient guère mais sont au service d’autrui ; d’autres divaguent ou somnolent à la messe mais y restent fidèles ; d’autres ferment leur porte ou passent leur chemin quand on a besoin d’eux, mais vivent dans le recueillement ; d’autres s’embourbent dans la luxure mais pardonnent volontiers les offenses, etc. Ce peu en chacun – ce trop peu – est donc déjà beaucoup, et c’est de là qu’il faut repartir pour corriger le reste. Comment ?   Par des résolutions petites ou grandes, même si on n’en tient jamais qu’une sur cinq. Et en s’aidant du sacrement de Pénitence, voire d’une direction spirituelle. Le tout avec un fil rouge de formation chrétienne, en fréquentant les Écritures et nos grands auteurs, sans oublier internet — conférences, sermons et autres, comme on l’a vu pendant les confinements. De quoi nourrir la prière, la réflexion, le discernement, et un juste regard sur le monde impossible où nous vivons, comme sur l’Église peuplée de pécheurs et sur notre propre cœur chargé de péchés. Le merveilleux appel d’en haut résonne aujourd’hui autant qu’hier : « Soyez saints, car je suis saint ! » (cf. Lv 11, 44, repris dans 1 P 1, 16). Mais l’urgence d’une conversion personnelle ne dispensera pas l’Église comme institution de réformer ce qui doit l’être, contre les délinquances et les crimes, et pour rendre justice aux victimes. Réforme excluant toutefois – n’en déplaise aux nombreux profiteurs de la situation – toute atteinte à sa divine constitution. 
—  dieu_eglise_crise.jpgDieu dans l’Église en crise. Réflexions sur un grand mystère, Augustin Pic, éd. du Cerf, 2020, 286 pages, 20 €.