L’âne à son tourniquet - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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L’âne à son tourniquet

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Avant-hier, j’avais comme pris la résolution de ne plus écrire sur l’avortement : en somme, je ne supportais plus ce trop plein d’ignominies comme déversé chaque jour dans le puits sans fond de ma cervelle. Il a suffit que me tombe sous les yeux une Tribune du Monde pour que soit repoussée à plus tard l’exécution de mon retrait.

Pas facile d’écouter ou de lire sans colère des récits tels que celui que je viens de découvrir, textes froidement balancés par la presse française, mais il convient d’essayer de comprendre l’obstination dans l’aveuglement des barbares qui siègent sur le socle du Pouvoir en notre France en train d’être conduite à sa perte (mais non par tous). Géraldine Dalban-Moreynas, présidente d’une société de Relations-presse (ce serait pourtant simple d’écrire Relations avec la Presse, ou Relations de Presse…) rend ainsi compte d’un « banal avortement médicamenteux » !…

La banalité se juge ou s’apprécie comment ? Supprimer une vie ne sera jamais pour moi un « acte banal » puisque toute personne, dès son apparition au plus secret du ventre maternel, est unique, absolument unique : il suffit d’ailleurs d’avoir la patience, durant neuf mois, de l’attendre pour vérifier le propos…

Une jeune femme est en présence de l’infirmière – eh oui, il faut naturellement une infirmière même pour accomplir cet « acte banal » – qui va lui permettre d’éliminer le fœtus qu’elle porte. Son ‘’compagnon’’ – joli mot-valise, qui signifie l’innocence et le bon droit dudit bonhomme, quoiqu’il ne soit en fait que le ‘’concubin’’, peut-être provisoire, de celle que l’infirmière appellera ‘’mademoiselle’’ – refuse violemment qu’elle garde ce bébé dont il est l’engendreur. Difficile de lui donner le titre de père, quoique, jusqu’à ce que l’élimination ait eu lieu, il restera ce père qui a tant d’amour pour cette ‘’demoiselle’’ qu’il va assister, sans broncher comme sans mots et sans remords, à ce qu’elle va ‘’vivre’’ !

Avorter, même avec des pilules, ne serait donc pas un acte banal ? Qu’il soit d’une tristesse affreuse, sans doute, mais ordinaire ou banale non, malgré les deux cent et quelques milliers qui se traitent en France dans ce qui ne mérite pas d’autre dénomination qu’’’avortoir’’.

Accroche ta ceinture, cher lecteur, car cette lecture est rude à faire passer, mais moins cependant que le « faire passer » délivré à l’enfant.

Voici l’essentiel du récit !

« Elle pleure. Il ne la regarde toujours pas. Il n’a qu’une peur : qu’elle fasse machine arrière, qu’elle garde cet enfant dont il ne veut pas, qui viendrait broyer sa vie de famille bien installée.

» L’infirmière lui tend le formulaire qui atteste qu’elle est consentante. Elle signe. Un coup de tampon avec la date. Le 6 mai 2005, ce papier prouve qu’elle a voulu avorter. Lui n’a rien à signer. Pourtant, c’est lui qui a décidé de le ‘’dégager’’, ce bébé, pas tellement elle, mais bon, c’est comme ça, juste une signature et un coup de tampon. Elle pleure toujours. Il ne la regarde toujours pas. Elle s’assoit. La sage-femme lui explique la marche à suivre. Elle va avaler ces trois cachets : ‘’Ça va décoller le fœtus de l’utérus. Dans 48 heures, il faudra revenir pour prendre trois autres cachets, pour expulser le fœtus’’.

» Les premières douleurs. Sournoises, lentes, qui montent, qui envahissent son ventre, son corps, sa tête. Des contractions. Lancinantes, violentes.

» ‘’Vous croyez quoi, mademoiselle, que ça allait passer comme ça ? Et ben non, c’est que c’est pas rien quand même, hein ? Vous êtes en train d’avorter, alors forcément ça fait mal…’’

» Elle se lève, se plie en deux, est traversée d’une contraction plus violente que les autres, fonce aux toilettes, n’a pas le temps de saisir la bassine en plastique, sent son corps s’ouvrir, quelque chose tomber, regarde au fond des chiottes : au milieu du sang, il y a un amas gluant.

» Elle n’aurait jamais cru qu’il serait déjà si grand. Elle se met à hurler. »

Comment aurait-elle pu se douter qu’il serait « si grand », cet « amas gluant », son enfant ? Avec déjà cette ressemblance qui fait si fort penser à un bébé ? Il aurait fallu pour cela qu’elle reçoive une véritable instruction sur ce qu’est la conception, puis la gestation sur les neuf mois qu’elle dure, et pendant laquelle le petit d’homme passe par diverses apparences qui marquent l’évolution du futur ‘’bébé’’ ? Non, on ne lui a enseigné, dans les écoles qu’elle a fréquentées, obligatoires jusqu’à seize ans, rien d’autre que de se laisser aller à ses pulsions, à ses envies, à son instinct : donc à dire oui au garçon entreprenant qu’elle a commencé par trouver avenant, beau, peut-être « l’homme de sa vie » comme avait dit, en 2012, le candidat Président à propos de celle qu’il vient de renvoyer – non pas répudier, mot qui supposerait qu’il l’avait mariée à la mairie – « la femme de ma vie ». Combien ‘’sa’’ vie à la vue courte apparemment !

Ce qui me retient, c’est ce hurlement qu’elle pousse. « Elle se met à hurler », écrit l’écrivain : et je pense que cet écrivain ne comprend pas le cri qu’elle a cependant noté en elle plus encore que dans ses mots : et surtout, surtout elle ne veut pas le comprendre et pour cela elle a ses raisons qu’il ne m’appartient pas d’imaginer.

Et toi, lecteur, tout comme moi, tu entends au-delà de ce hurlement, si terrible que j’hésite à poursuivre cette écoute déchirante. Car je le devine et peut-être que je le sais, ce cri qui ressemble à celui d’une bête, il est immémorial et ‘’à jamais’’. Je veux dire que cette femme l’écoutera sans l’entendre toute sa vie en elle-même, mais non seulement en elle mais toute l’humanité sera prise dans ce cri, marquée par ce hurlement comme d’un fer rouge. (Des cris, des hurlements, la terre en a entendu par milliards, et ils tournent en bruit de fond inaudible mais tragique autour de nous : chacun de ceux qui s’y ajoutent fait entendre un note nouvelle et à jamais, suraiguë, intolérable.)

Cette ‘’demoiselle’’ qui a crié dans les toilettes de l’avortoir – j’ai honte à la place de l’écrivain pour l’emploi qu’elle fait du mot ‘’chiottes’’ – elle n’est pas seule : des milliers et des milliers d’autres femmes, qui en somme ne sont qu’une seule femme ont crié du même cri qui n’est que l’extériorisation d’une souffrance d’origine, car ici l’engendreur est aussi celui qui tient entre ses mains la vie et la mort. Et ils sont des millions et des millions, sans doute des milliards depuis les commencements de l’humanité, à avoir tenu la corde et le couteau.

J’ai vu, il ya quelque mois, une vache qu’on retenait loin de son veau afin de pouvoir le lui enlever sans avoir à craindre ses cornes : cette bête avait une expression hagarde. Ici, la femme n’a que ce ‘’hurlement’’ pour faire saisir l’horreur qui l’a saisie. Peut-être juste un instant ? On dit qu’elle a signé, seule, et qu’elle ne regrette rien : et si « elle ne regrette rien », alors on peut continuer à envoyer à ces abattoirs d’autres millions de jeunes femmes subir l’élimination de ce qui a été conçu en elles jusqu’à ce qu’elles aussi se mettent à ‘’hurler’’ du même hurlement d’épouvante.

On se contente facilement de l’apparence ! On s’exclut, sans même se poser de questions, de toute culpabilité : d’ailleurs, c’est la France, n’est-ce pas, qui a voté des lois qui permettent de telles situations abominables, et tous les Français sont pris en bloc dans le même piège et eux aussi devraient, s’ils étaient lucides et pris de compassion, hurler avec ces femmes jusqu’à la fin des temps !

Mais les lois justifient tout, légitiment tout : c’est ce que tout le monde pense et dit.

Il faut plonger jusqu’au cœur de cette jeune femme : elle a vu ‘’qui’’ déjà ‘’était’’ celui qu’elle a rejeté comme un excrément. Aussi ignorante qu’elle ait été de par la faute de notre République, elle a saisi en une seconde, une seule seconde ce qu’on lui a caché depuis son enfance, depuis sa puberté, depuis qu’elle est devenue femme, lui faisant croire, par des boniments de merde, ce que d’un seul mouvement des yeux elle a reconnu comme un effroyable mensonge : le « bout de viande » était un enfant !

Elle le sait, pas nécessairement avec des mots, elle le sait de par son corps, elle le sait de pas sa gorge qui hurle !

Difficile d’aller au bout de ce que signifie ce hurlement : les victimes s’expriment dans l’invisible. Seul Dieu peut aller à ‘’ce bout’’, ce ‘’recroquevillement’’ de l’être qui désormais, devant tous, fera semblant… Jusqu’au jour où elle n’en pourra plus et s’effondrera. Afin de quoi ? Ici on entre dans le mystère de chacun. 1

  1. Les difficultés des couples qui sont allés jusqu’à cette extrémité ont été étudiées par les statisticiens : notamment quand il s’agissait d’un avortement subi, violentant la liberté des femmes, acte exigé par l’homme dit ‘’le père’’. Ce qu’ils décrivent est loin d’être le paradis qu’annoncent les dames du ‘’planningue’’ prétendu familial.