L’ascendant conservé par Kennedy cinquante ans après sa mort (22 novembre 1963) ne doit pas tant à sa politique plutôt décevante dans l’ensemble ou à sa propre personnalité dont on a découvert ensuite des côtés moins reluisants qu’à la nostalgie d’une certaine posture aristocratique.
John Fitzgerald Kennedy nous est apparu en 1960 comme un « aristocrate », ce qui n’était certes pas nouveau en Amérique mais qui a transformé le genre aristocratique. L’Amérique avait connu des oligarchies patriciennes sur fond d’empires financiers mais aussi une aristocratie protestante hyper exclusive (les WASP, blancs, anglo-saxons, protestants). La famille Kennedy n’appartenait ni aux unes ni à l’autre. Elle innovait totalement ; elle en était même le contraire par son catholicisme irlandais, dénué de tout puritanisme dans cette Nouvelle Angleterre qui en fut le berceau, son côté décontracté, ses amitiés (et amours) hollywoodiennes, mais aussi ses titres de gloire conquis par l’héroïsme sur les champs de bataille de la seconde guerre mondiale, dans une arme noble, la marine (dans l’Océan Pacifique) plutôt que l’infanterie.
L’ambition de John Kennedy – et de son frère Bob – furent de donner à la vie politique américaine un autre souffle (après les années Eisenhower-Nixon), ce qui passait d’abord par un nouveau style, voire la création d’une mode, d’une légende, d’un « mythe ». La « nouvelle liberté » dont il parlait était d’abord dans une manière d’être au monde, légère, souriante, privilégiant ce qui était beau, à commencer par Jackie, son épouse, la jeunesse, le « parti des hommes de quarante ans » (comme l’appelait Charles Péguy), et, pour la première fois depuis longtemps, des bambins jouant dans les couloirs de la Maison Blanche.
Ces gens qui avaient tout pour eux, la richesse, l’intelligence, l’éducation, le brio, la beauté, la générosité, ne se révélèrent finalement pas à la hauteur des tâches quotidiennes par trop triviales (où excella le successeur Lyndon Johnson, considéré par eux comme une sorte de plouc du Texas), mais ils brillèrent dans l’épreuve, en l’occurrence la crise des missiles de Cuba en Octobre 1962.
Kennedy admirait l’aristocratie libérale de l’Angleterre du XVIIIe et du XIXe siècles, celle qui eut raison de Napoléon. Il avait lu Tocqueville, véritable maître à penser en Amérique, négligé en France. Aristocrate qui a pensé la démocratie en aristocrate, qui croyait sincèrement pouvoir être impartial entre les deux systèmes qu’il avait connus, l’aristocratie et la démocratie, il en voyait les avantages et inconvénients respectifs, quitte comme Aristote à vouloir les combiner dans un « mixte » idéal, sans se faire beaucoup d’illusions.
A l’heure de la montée des populismes, une pincée d’aristocratie au sens de distinction, de style, de beauté, d’harmonie, de légèreté, et disons-le tout net, de foi, d’espérance et de charité, ne nous ferait sans doute pas de mal. La politique est aussi un art et requiert des artistes. John Kennedy reste un modèle de « Notre Jeunesse » comme disait Péguy en 1913.