En 1984, jeune homme de 19 ans, je rentrais d’une année de discernement sur ma vocation à la vie religieuse. Nous avions été privés – ou plutôt libérés – de la télévision durant cette période. Durant le court congé qui a suivi, je suis allé à Blockbuster et j’ai loué une cassette d’un nouveau film très populaire appelé Terminator.
Il montrait un monde futur où des machines faisaient la guerre aux humains et des machines, que nous appelons maintenant « drones » tuaient. C’était un film de science-fiction. Quarante et un ans plus tard, la fiction est devenue réalité : des drones, parfois de la taille de mouches, sont un des principaux moyens de combat sur bien des champs de bataille, certains sont sophistiqués, d’autres, comme ceux utilisés par l’État Islamique dans la bataille de Mossoul, rudimentaires.
Quatre ans avant la sortie de ce film, le préfet d’alors de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Joseph Ratzinger qui allait devenir le pape Benoît XVI, l’un des plus fins théologiens de ces cent dernières années, tenait un discours lors d’une conférence à Palerme, en Sicile. […]
Parmi d’autres choses débattues par le chien de garde de la doctrine de l’Église, Ratzinger a abordé le sens apparemment ésotérique de la description de la « Bête » dans le Livre de l’Apocalypse, en particulier le nom de la Bête, ou plutôt son nombre : 666.
Ce sujet, normalement relégué aux marges de la religion ou aux élucubrations non publiés de déséquilibrés, dans ce discours peu connu du cardinal Ratzinger, pourrait être l’un des plus importants et prophétiques discours anticipant le monde qui se présentera rapidement au milieu du vingt-et-unième siècle.
Tout comme Terminator, le monde de l’Intelligence Artificielle, en 1980, était pur fantasme et les avertissements sur les dangers de la « machine » semblaient appartenir aux divagations des asiles psychiatriques.
Cependant, puisant dans l’expérience des camps de concentration nazis, Ratzinger disait qu’ils « effaçaient les visages et l’histoire, transformant l’homme en nombre, le réduisant à être un rouage dans une énorme machine ».
Il continuait, avertissant des dangers futurs qu’il présageait :
L’homme devra être interprété par un ordinateur, et cela n’est possible que s’il est transcrit en nombres. La Bête est un nombre et transforme en nombres. Dieu, Lui, a un nom et appelle par un nom. Il est une personne et cherche une personne.
Bien des années plus tôt, le père Romano Guardini, un théologien ayant eu une grande influence sur la pensée de Joseph Ratzinger, avait parlé des dangers soulevés par une époque post-nucléaire, mais qui s’applique tout autant, sinon plus, à l’époque de l’Intelligence Artificielle :
Au centre des entreprises de la culture à venir, se profilera le problème du pouvoir. Sa résolution sera cruciale. Toutes les décisions auxquelles l’époque à venir devra faire face – celles qui déterminent le bien-être ou la misère de l’humanité et celles même déterminant la vie et la mort de l’humanité – seront des décisions centrées sur le problème du pouvoir. Bien qu’il augmente automatiquement au fil du temps, le problème ne sera pas sa croissance mais d’abord la maîtrise et ensuite le bon usage du pouvoir.
Depuis le commencement, au jardin d’Eden, quand l’humanité fut persuadée, par le Père du Mensonge chez lequel, comme le dit le Seigneur, il n’y a aucune vérité, que nous pourrions devenir « comme Dieu », l’homme déchu semble incapable à la fois de prudence et de maîtrise.
Ce n’est pas l’équivalent au vingt-et-unième siècle des destructeurs de machines partisans de Ned Ludd au dix-neuvième, même s’il y aura l’accusation de ceux déterminés à aller de l’avant dans l’avenir « inévitable » de l’Intelligence Artificielle. La Bête, le nombre, non seulement existe mais est d’une intelligence infiniment supérieure à la nôtre. Elle connaît tout de l’usage non maîtrisé et inapproprié du pouvoir.
S’il est une qualité nécessaire en notre époque, peut-être plus qu’en aucune autre, c’est le don du discernement.
Dans le Livre des Proverbes il nous est dit : « Béni l’homme qui a trouvé la sagesse, qui a acquis le discernement ». Étymologiquement, le discernement est plus qu’un bon jugement, il inclut le sens de « passer au tamis » un peu comme le prospecteur tamise beaucoup de boue avant de trouver la paillette d’or. Saint Paul nous encourage, dans la Lettre aux Éphésiens, à « essayer de discerner ce qui plaît à Dieu ».
La clairvoyance extraordinaire et prophétique de Ratzinger sur la signification du nombre de la Bête et sur les possibilités destructrices de la machine fait écho à des paroles plus anciennes d’un autre prophète, G.K. Chesterton. Il a dit que « plus un homme est proche d’un être commandé et classifié, plus il est proche d’un automate, plus il est proche d’un automate et plus il est proche d’une bête ».
Nous pourrions même ajouter : plus il est proche de la Bête.
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Père Benedict Kiely, traduit par Bernadette Cosyn
Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/09/23/ai-nearness-to-the-beast/
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