C’est un petit amendement – un « détail » a cru pouvoir dire le Premier ministre – pour un gros capharnaüm, un de ces débats fiévreux comme seule la France peut les aimer. En proposant de vérifier par des tests génétiques la réalité des liens biologiques unissant les demandeurs de visa à ceux qui les font venir dans le cadre du regroupement familial, le député UMP Thierry Mariani a durement secoué la majorité présidentielle et la solidarité gouvernementale. Les tenants des tests ADN au service de «l’immigration choisie» ont beau préciser que onze pays européens ont mis en place ce type de dispositif, le «pays des droits de l’homme» n’entend pas s’y conformer sans sourciller.
En plus de la levée de bouclier de l’intelligentsia de gauche et des autorités religieuses, on peut suspecter certains règlements de compte. Même le «sévère» Charles Pasqua proteste. Quant à Dominique de Villepin, il est cosignataire de l’appel lancé par Charlie Hebdo au côté de tous les ténors socialistes, de François Bayrou, et de nombreuses personnalités syndicales et médiatiques dont le footballeur Lilian Turam. «Sont père ou mère les personnes qui apportent amour, soin et éducation à ceux et celles qu’ils reconnaissent comme étant leurs enfants » affirme tout de go la pétition qui conteste une définition «génétique» de la famille et fait appel aux «consensus précieux de la loi bioéthique».
L’amendement parlementaire, lorsqu’on en creuse un peu les conséquences, pourrait faire avancer la France d’un pas de plus vers ce «meilleur des mondes» qui menace inexorablement. Estimant à 8 % les enfants nés d’adultère, certains affirment que ce genre de tests briserait bien des familles en révélant des secrets que leurs propres membres ignorent. Oui mais, rétorquent ceux qui défendent le député Mariani, certains pays ont un état civil si déplorable que 80 % des papiers d’identité y sont frauduleux… Lors des regroupements, 30 % des parentés avancées seraient fausses. Pour limiter les révélations dramatiques, une solution de compromis doit être votée : seulement la filiation maternelle sera vérifiée ; la démarche en sera volontaire et gratuite, permettant simplement d’éviter les longs processus de vérification. Charles Pasqua se dit rassuré mais pas la plupart adversaires de l’amendement initial.
En dehors de tout débat idéologique, on peut s’interroger sur la fiabilité des prélèvements et des tests réalisés dans les pays pauvres où, d’ailleurs, l’argent ainsi dépensé serait mieux utilisé à sauver des vies…
Certaines indignations, comme celle du professeur René Frydman, «père» du premier bébé-éprouvette français sont toutefois à décrypter. Promoteur du diagnostic préimplantatoire, il se contredit en contestant ces tests ADN destinés à écarter les immigrants indésirables. Car le DPI est aussi un test génétique, et il est conçu pour éliminer les êtres humains jugés défectueux. En affirmant «la génétique ne fonde pas un lien familial», le pionnier de la filiation artificielle délibérée, a donc une toute autre motivation que l’Église catholique : elle prône le respect de l’intimité familiale, mais aussi un accueil de l’étranger sans condition de ressources que la logique gouvernementale suspecte d’angélisme.
Certes, les tests ADN dénouent des énigmes judiciaires insolubles. Pour déterminer laquelle de deux vieilles dames usurpait l’identité de l’autre et touchait sa pension, on a demandé récemment à un frère perdu de vue de fournir sa salive pour un test ADN. Le Monde rapporte la satisfaction de la bénéficiaire : « Il aurait fallu déterrer Maman » !
Derrière le débat sur l’usage des technologies modernes se profilent de grandes peurs légitimes. Lorsqu’on évoque le racisme et le nazisme, plane le souvenir de la traque des juifs sur des critères généalogiques, voire morphologiques, mais aussi de nouvelles menaces. On songe au risque d’un usage totalitaire des caméras de surveillance qui permettent pourtant de confondre nombre de criminels, des bracelets électroniques suivant à la trace un détenu en liberté conditionnelle ou des informations personnelles captées par les fournisseurs d’accès internet. L’intimité se dissout dans la transparence. Un logiciel de photos aériennes comme Google earth permettra-t-il dans quelques années de savoir en temps réel qui est où ? Il serait déjà utilisé par certains services publics pour traquer les contrevenants aux règles d’urbanisme. Il est peut-être impossible de résister à la technologie lorsqu’elle tend à donner accès à la vérité. Mais pour que le progrès technologique n’entraîne pas la régression humaine, l’urgence est au supplément d’âme.