Foi et suicide - France Catholique
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La France à Rome
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Foi et suicide

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Je viens de terminer de corriger le manuscrit de mon prochain livre, qui raconte l’histoire de la tradition intellectuelle catholique au vingtième siècle, et qui paraîtra en automne (bientôt plus de détails à ce sujet)). Une des choses qui m’ont frappé, en revoyant son grand nombre de pages – beaucoup plus de pages que je n’en ai jamais écrites dans un seul livre auparavant – après avoir pris un peu de recul par rapport au texte, c’est combien les grands noms du catholicisme récent sont souvent venus à l’Eglise parce que pour eux, c’était le catholicisme ou le suicide.

Ce qui nous donne une leçon. Peut-être plusieurs. En tous cas une grande leçon.

Par exemple, Jacques et Raïssa Maritain étaient des étudiants en sciences à la Sorbonne au début du vingtième siècle. Ils trouvaient que les sciences étaient une discipline intéressante et valable, Mais très vite, ils ont réalisé que si le monde n’était que ce que la science en disait à l’époque, -un changement continuel des configurations de la matière et de l’énergie – alors, la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Ils ont alors conclu un pacte de suicide ensemble, qui devrait s’accomplir s’ils ne trouvaient pas une raison de vivre. Grâce à Dieu, ils en ont trouvé une, sinon le monde aurait été privé d’un des philosophes thomistes les plus créatifs dans la personne de Jacques, et d’une femme écrivain et poète spirituelle de grande valeur en la personne de Raïssa.

Environ vingt ans plus tard, Evelyn Vaugh a quitté Oxford sans diplôme et a dû s’embaucher comme instituteur dans une école privée pour pouvoir joindre les deux bouts.(On trouve dans son premier roman Le déclin et la chute, une version à mourir de rire de ce que cela a pu représenter.) L’enseignement n’a pas marché et un autre travail avec CK Scott Moncrieff, un catholique converti qui traduisait Marcel Proust en anglais, n’a pas marché non plus. Il semble que Vaugh ait décidé d’en finir avec la vie en nageant dans la mer, mais il en fut empêché par un essaim de méduses urticantes. Il est retourné à terre – et s’est mis à décocher ses propres piqûres bien placées sur autrui. Mais il s’est également tourné vers l’Eglise, grâce aux conversations qu’il a pu avoir avec Frère Martin d’Arcy, S.J., bien connu pour les conversions qu’il faisait à l’église de Farm Street à Londres.

Frère d’Arcy était si connu en son temps que dans les premières pages de son roman « Les filles aux petits moyens », Muriel Spark (une autre convertie) présente un personnage qui – éberlué par la vie moderne, comme l’étaient beaucoup de gens au vingtième siècle et le sont encore aujourd’hui – confesse que les choses en sont arrivées à un tel point critique qu’il ne « pourrait jamais se décider entre le suicide et une mesure aussi énergique que celle bien connue du frère d’Arcy. »

Muriel Spark était une protégée de Graham Green, figure encore plus complexe qui a écrit des romans très profonds sur le péché et le salut. (si ce n’est déjà fait, jetez un coup d’œil sur « la puissance et la gloire », « la fin d’une liaison », « le fond du problème », « La saison des pluies »). Mais Greene en avait tellement marre de la vie ordinaire qu’il jouait à la roulette russe, étant jeune, et a risqué sa vie dans des bouges variés plus tard. Même sa conversion au catholicisme, du moins dans sa grande période, a pu tout juste le garder du bon côté de ce qu’il appelait « le bord dangereux des choses ».

On pourrait facilement continuer sur ce sujet, mais l’affaire est claire. Tout un tas de personnes très intelligentes et très cultivées, il n’y a pas si longtemps, croyaient que leurs décisions à propos de la Foi, étaient des décisions de vie ou de mort. Littéralement . Comme s’ils se disaient « je vais me faire sauter la cervelle ou sauter du pont ou prendre du poison, s’il n’y a rien de plus dans cette vie – ou en tous cas dans ma vie. Et il ne fallait pas leur raconter des histoires. Ils voulaient quelque chose de vrai, et étaient prêts à relever les vrais défis.

J’imagine que cela arrive encore souvent de nos jours, bien qu’il me semble qu’on n’en entende moins parler. Ce dont nous entendons parles, par contre, – en général seulement dans de petites publications catholiques – c’est de gens qui se sont tournés vers l’Eglise parce qu’ils ont découvert que seule l’Eglise défend des positions morales telles que l’indissolubilité du mariage ou le caractère sacré de la vie dans le sein de la mère, ou la vérité des Ecritures.
Il n’y a bien sûr rien de mal et au contraire beaucoup de bien à reconnaître que l’Eglise est une institution véridique. Et à une époque comme la nôtre où « Qu’est-ce que la vérité » est une question rhétorique, non seulement pour les politiciens cyniques, mais pour une grande partie de la population, des vérités spécifiques peuvent elles-mêmes être une sorte de moyen de transmettre de plus grandes révélations.

Mais nous ne vivons pas uniquement de théologie morale – en fait, nous sommes souvent pris par des passions et des problèmes qui dépassent largement la vie quotidienne ordinaire. Il se peut que nous soyons en train de perdre ces plus grandes dimensions de la Foi parce que nous avons perdu les plus grandes dimensions du manque de Foi.

C’est surprenant car la culture laïque est inondée d’histoires de personnes perdues dans les drogues, l’alcool, les problèmes de sexe, l’errance. On nous dit que certains « trouvent Jésus » ou, dans une démarche en douze étapes, se tournent vers « une puissance supérieure » . Ces remèdes, bien qu’ils soient partiels, sont au moins quelque chose. Les tempêtes qui frappent les vies des gens sont comme les grands vents qui arrachent les feuilles des arbres. Ce qui reste est plus pur, plus vivant, moins plombés par les impasses. Et potentiellement plus ouvert à une plus grande vérité.

Toutefois, ce que j’essaye de suggérer, c’est qu’il doit y avoir derrière tout cela quelque chose de plus, que Jean Paul II appelait  l’usage raisonnable d’un «  accès vraiment métaphysique » – comme l’ont découvert les Maritain et quelques autres que j’ai cités – ou alors, le christianisme n’est qu’une démarche en douze étapes ou une thérapie ou une philanthropie. En d’autres termes, il y a une question ultime derrière toutes les avant dernières. Et il faut répondre à cette question pour éviter que les réponses intermédiaires et partielles ne deviennent , comme nous en préviennent les grands auteurs spirituels, un autre moyen de refuser le Chemin, la Vérité et la Vie.

Traduction de « Faith and suicide » http://www.thecatholicthing.org/2015/03/19/faith-and-suicide/

Photos : Raïssa et Jacques Maritain, à l’époque de leurs conversions (1906)