Pourquoi l’AES organise-t-elle ce colloque sur le travail ?
Joseph Thouvenel : Parce qu’il devient urgent de rendre au travail sa dignité. C’est un beau mot « travailleur », mais il a perdu son sens ! Aujourd’hui s’affrontent des conceptions du travail qui concourent à sa dégradation : la vision marxiste, qui assimile le travail à l’exploitation de l’homme par l’homme ; la conception ultralibérale, pour qui le marché du travail doit être régi par l’offre et la demande. Ni l’une ni l’autre ne correspondent à la doctrine sociale de l’Église, ni ne répondent aux aspirations des travailleurs. Pour l’Église, travailler, c’est être co-créateur. Nous participons à la création quand nous travaillons. Ce n’est pas neutre ! Cette définition rend sa dignité au travailleur qui se voit ainsi confier une responsabilité enthousiasmante.
Mais ce travailleur n’est-il pas de plus en plus dépossédé de son travail ?
Vous avez raison : la financiarisation croissante, le creusement des inégalités, la robotisation accélérée, la mondialisation contribuent à brouiller les repères et parfois à déshumaniser le travail. Comment rendre à l’homme sa place dans la création ? C’est à cela que nous réfléchirons lors de ce colloque. Et nous comptons bien faire entendre notre voix car il est important de réaffirmer que le travail participe au bien commun.
En ce sens, le travail ne se résume pas à l’activité professionnelle…
C’est vrai, il y a travail et travail ! Éduquer ses enfants, s’occuper d’une association, c’est aussi un travail – bénévole certes, mais bien un travail, souvent ignoré des entreprises. Or le service du bien commun exige que les parents aient le temps d’éduquer leurs enfants. Il est important que la sphère marchande ne phagocyte pas toutes les activités, et tout aussi important que chacun bénéficie d’un temps de repos et de rencontre ! C’est pourquoi le travail dominical doit être strictement encadré.
Comment poser ces bornes ?
L’entreprise est une communauté de personnes : chacun doit donc y prendre sa part. Sans doute est-ce plus facile au sein des PME où le chef d’entreprise est « à portée d’engueulade », comme le dit si bien le président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises), François Asselin. Beaucoup font des efforts en faveur de l’insertion. Je pense notamment aux Cafés joyeux qui fournissent un emploi à des personnes auparavant exclues du marché du travail. C’est une belle initiative ! Dans les grandes entreprises, les choses se font plus lentement. Comment associer les salariés à la participation à la décision ? Sur ce point, la France est très en retard par rapport à l’Allemagne où les représentants des salariés, et pas seulement des actionnaires, siègent en nombre dans les conseils d’administration.
Beaucoup d’entreprises regrettent qu’il soit difficile de « fidéliser » les jeunes. Comment l’expliquez-vous ?
Ils ont tendance à zapper, c’est vrai. Faut-il s’en étonner ? On leur rabâche que réussir, c’est gagner un maximum d’argent avec un minimum d’énergie : ils ne font qu’appliquer les règles que nous leur avons inculquées ! Mais beaucoup balancent entre une forme de cynisme, dont nous sommes responsables, et une quête de sens. C’est pourquoi il est si important d’affirmer et de restaurer la dignité du travail. C’est déjà ce que disait saint Augustin au Ve siècle : « Chacun doit pouvoir vivre dignement de son labeur »… et en faire vivre sa famille !
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Colloque au Collège des Bernardins, à Paris, samedi 21 janvier. Inscription obligatoire. www.aes-france.org
BIEN COMMUN
L’AES a 100 ans
Fondée en 1922 par Edmond et Suzanne Bruwaert, un couple de chrétiens franco-américain, l’AES a pour but d’étudier les questions sociales dans un esprit conforme à l’enseignement de l’Église. Présidée par Marie-Joëlle Guillaume, elle regroupe des personnalités du monde politique, économique, social et intellectuel dont les travaux sur l’éducation, le travail, la famille… sont diffusés aux responsables de la cité. L’AES vient de publier un ouvrage collectif intitulé L’homme au travail, pourquoi ?1