Le débat, organisé par l’UMP le 5 avril sur la laïcité, se réduit chaque jour, un peu plus, à une peau de chagrin, tant par sa durée que par le nombre de personnalités qui devraient y participer. A contrario, les commentaires qu’il suscite ne cessent d’enfler. Les cultes eux mêmes se dérobent pour de bonnes et de moins bonnes raisons : bonne raison quand il est dit qu’un tel débat ne doit pas relever de l’initiative d’un seul parti politique, raison plus surprenante quand on entend le président de la Conférence des évêques de France s’inquiéter de la remise en cause du « pacte républicain ».
C’est oublier que le ralliement de l’Eglise à la République, en 1892, fut et reste une acceptation du système constitutionnel en place et non une adhésion aux valeurs véhiculées par ses laudateurs. Si, lors de son premier voyage en France en 1979, le Pape Jean-Paul II a indiqué que le triptyque de la devise républicaine « Liberté Egalité Fraternité » était fondamentalement chrétien, c’était pour mieux affirmer le fait que la chrétienté a tellement façonné la France que la République elle-même en a intégré les principes. Pourtant, les républicains ont refusé, lors du débat sur la Constitution européenne, en 1995, de reconnaître les racines chrétiennes de notre continent, de peur que cela ne fasse écho dans notre pays et ne remette en cause la première des valeurs jugées républicaines, la laïcité. De fait, si la laïcité est aujourd’hui brandie, de l’extrême droite à l’extrême gauche, pour faire barrage à l’islamisme, il ne faut pas oublier qu’elle a été instituée, au départ, à l’encontre du catholicisme et dans un contexte visant à faire violence à l’identité chrétienne de la France. Les chrétiens ne sont pourtant pas opposés à la laïcité. C’est le Christ lui-même qui en est à l’origine quand il a affirmé : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Et tout récemment encore, le Pape Benoît XVI a déclaré : « Les religions ne peuvent avoir peur d’une juste laïcité, qui permet à chacun et chacune de vivre ce qu’il croit en conformité avec sa conscience ».
Mais il existe, dans notre pays, une confusion qui empêche d’avoir une approche raisonnée de la question. Autant, il est acceptable et même souhaitable que l’Etat soit laïque, autant il n’est pas possible que la nation soit laïque. Que la République ne reconnaisse ni ne subventionne aucun culte comme le dit la loi de 1905 est une bonne chose car une religion d’Etat devient vite une religion de compromission avec l’Etat mais vouloir faire croire que l’âme française est laïque est un non sens aussi faux que dangereux. Faux, parce que notre pays est tout entier irrigué de cette foi chrétienne qui transpire des pierres de nos plus grandes cathédrales jusqu’aux plus modeste calvaires de nos carrefours et que chacune de nos journées s’inscrit dans le calendrier grégorien, même si l’Ascension et la Pentecôte évoquent plus à nos contemporains des ponts que des arches vers le ciel. Dangereux, parce que l’amnésie générale, provoquée par une telle vision, rend nos compatriotes étrangers à leur propre histoire, les privant ainsi de tout repère : un sondage récent affirme que les Français se définiraient majoritairement comme laïques, ce qui revient à dire qu’ils ne se reconnaîtraient dans aucune civilisation !
On comprend mieux, dans ces conditions, la peur suscitée par la montée de l’islam. Un peuple qui se reconnaîtrait chrétien ne s’inquiéterait pas de la construction de mosquées car il ne craindrait pas d’être submergé par une autre religion. Mais que peut un peuple laïc contre une foi conquérante : les musulmans respectent beaucoup plus qu’on ne le pense les autres croyants mais méprisent effectivement ceux qui ne se reconnaissent en rien et qui deviennent alors autant de proies à convertir. Il est temps de nous ressaisir d’autant que nous sommes les seuls à croire ou feindre de croire ce que nous ne sommes pas. Pourquoi tant s’offusquer devant l’emploi du mot « croisade » si nous ne savions pas que les autres peuples nous regardent comme chrétiens, non pas forcément comme pratiquants, mais comme parties prenantes d’une civilisation qui est notre identité. Quand nous disons de la Turquie qu’elle est laïque, nous prenons acte du fait que son Etat l’est, mais qui oserait affirmer que la nation turque l’est également alors que nous savons pertinemment qu’elle est profondément musulmane, ce que les chrétiens du Patriarcat de l’Eglise mère d’Orient vivent à leurs dépens. Il serait pourtant si facile de dire que la France est une nation chrétienne, ouverte à toutes les confessions, dont le libre exercice des cultes est garanti par un Etat laïc.
Le mensonge est simpliste mais la vérité est simple.
Fabrice de CHANCEUIL
Pour aller plus loin :
- 3101-Sarkozy, l'Eglise, la laïcité
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- Bulletin Acip n° 1187 du lundi 21 avril 2008
- Une autre histoire de la laïcité (Jean-François Chemain)
- BULLETIN DE L'ACIP ©