C’est peut-être la réflexion que s’est faite en son for intérieur Jean-Louis Borloo quand il est monté, le 4 mai dernier, à la tribune de l’Assemblée nationale pour présenter aux députés le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2.
Tout avait pourtant bien commencé après le succès de la démarche du Grenelle qui avait réuni en 2007 les cinq collèges (Etat, élus, syndicats, entreprises, association) appelés à faire des propositions pour améliorer la prise en compte de l’environnement et qui a abouti, dans le courant 2009 et à la quasi-unanimité des parlementaires, au vote de la loi de programmation du Grenelle dite Grenelle 1. Tout allait bien encore le 8 octobre quand le Sénat a adopté en première lecture, avec une confortable majorité, le texte du Grenelle 2.
Mais patatras, sur le chemin menant du Sénat à l’Assemblée nationale, sont venues s’intercaler les élections régionales avec le résultat et les conséquences que l’on sait. Un Président de la République, qui avait déjà émis des doutes devant les agriculteurs qui n’en demandait pas tant sur la place réservée à l’environnement, décidait de suspendre le projet de taxe carbone, pourtant prudemment rebaptisé contribution énergie-climat, au point de « désespérer » sa secrétaire d’Etat à l’écologie pour qui le vert est devenue la couleur de la volée de bois que ses états d’âme lui ont attirés.
Pourtant, le projet de loi a toujours fière allure avec des ambitions affichées que le ministre s’est attaché à décrire comme autant de révolutions et de ruptures avec les pratiques et les habitudes du passé. Qu’on en juge : favoriser un urbanisme économe en ressources foncières et énergétiques, mieux articulé avec les politiques d’habitat, de développement commercial et de transport tout en améliorant la qualité de vie des habitants, faire évoluer les infrastructures et les offres de transport, réduire les consommations et le contenu en carbone de la production, préserver la biodiversité, lutter contre les nuisances lumineuses et sonores, gérer durablement les déchets, enfin mettre en œuvre une nouvelle gouvernance écologique.
Mais voilà, le cœur n’y est plus. Les députés de la majorité ergotent et ceux de l’opposition menacent de ne pas voter le texte en séance plénière. On assiste même à des attitudes parfaitement contradictoires et à contre-emploi. Les écologistes défilent main dans la main avec les industriels pour demander plus de place à l’énergie éolienne, tandis que la droite veut imposer des contraintes pour limiter le nombre d’éoliennes afin de préserver le patrimoine paysager de la France et la tranquillité sonore des riverains. Et de constater ainsi, une fois de plus, que le développement durable et la protection de l’environnement ne font pas forcément bon ménage et que les esprits en sont, de ce fait, perturbés.
Le rapport de force à l’Assemblée nationale ne laisse pas de doute quant à l’issue du vote et, finalement, tout le monde sera content du texte qui sera ainsi adopté et qui constituera, à coup sûr, une réelle avancée. Pour autant, cette loi Grenelle 2 conservera un goût d’amertume. Pour le ministre, qui ne trouvera peut être pas le tremplin qu’il escomptait afin de satisfaire ses ambitions politiques, les parlementaires qui, une fois de plus, ne se seront pas grandis en se faisant plutôt les défenseurs de tel ou tel groupe de pression que les garants de l’intérêt national, les militants des ONG qui auront pourtant été punis par où ils ont pêché, soit par excès de confiance, soit par rigidité doctrinale, les membres des collèges du Grenelle qui auront eu l’impression de se faire voler leur victoire à quelques encablures du poteau d’arrivée et bien sûr la masse des citoyens désemparés par l’incompréhension et dont le sens civique en sera encore un peu plus érodé.
On le savait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On sait aussi maintenant que la paradis écologique en est truffé de mauvaises.
Fabrice de CHANCEUIL