« En contemplant la crèche, nous préparons le berceau de Jésus » - France Catholique
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Le journal de la semaine

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« En contemplant la crèche, nous préparons le berceau de Jésus »

Authentique moyen d’évangélisation, la crèche est plus qu’une simple tradition, mais bien une pratique qui enracine. Entretien avec l’abbé Hervé Godin, curé à Vallet (Loire-Atlantique), dont la crèche paroissiale dépasse cette année les 1 000 santons.
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La crèche de Vallet est participative : chaque fidèle qui le souhaite fait un don pour que soit acheté un santon auquel il s’identifiera. © Paroisse Saint-Vincent-des-Vignes

Comme chaque année, des polémiques naissent autour de la crèche. Que cela révèle-t-il de notre société ?

Abbé Hervé Godin : La carence majeure qui touche notre société ultralibérale et liquide est justement celle de l’incarnation, du rapport à la chair, à une histoire, à une culture. Deux logiques s’affrontent : la logique de l’Église, celle de l’incarnation, qui porte du fruit dans un enracinement ; et la logique du monde néolibéral, celle d’un monde globalisé, sans culture, un monde où seuls comptent la technologie, le flux, les individus qui consomment et produisent. D’où le fait que certains hommes politiques visent à détruire l’artisanat, les petits commerces, tout ce qui est de l’ordre d’une histoire qu’ils jugent identitaire. Ils refusent d’assumer un roman national fédérateur, qui inscrit le peuple de France dans une filiation et une durée.

La logique de la crèche est précisément le contraire. Elle naît au XIIIe siècle, avec saint François d’Assise. Dans l’Italie de cette époque se déploie le monde capitaliste, la bourgeoisie commerçante et d’affaires, qui devient peu à peu ce que l’on connaît du libéralisme. Saint François veut réenraciner la vie spirituelle dans le concret du mystère d’un Dieu fait homme qui prend notre condition. Or, c’est le frein à un monde uniformisé et sans racine. Les polémiques autour de la crèche se sont multipliées depuis que règne cette doxa ultralibérale, qui tente d’arracher les individus à leur histoire, de les rendre dociles et interchangeables. Qui, en fin de compte, peut remplacer le peuple de France par un autre peuple, l’essentiel étant d’avoir une population servile de consommateurs.

La crèche enracine donc, et exalte aussi la liberté, par sa beauté et la contemplation qu’elle suscite. Et cette gratuité est insupportable pour notre monde actuel.

Par sa dimension culturelle, la crèche est-elle donc œuvre d’évangélisation ?

Oui. La crèche révèle que l’une des composantes de l’homme est d’appartenir à une histoire, chose que notre modernité, qui voudrait un homme hors-sol, refuse. Or, le mystère de l’Incarnation mis en scène dans la crèche est la venue de Dieu dans l’humanité concrète : Dieu s’est fait homme en assumant un temps, une culture, un peuple précis. Ce qui ne signifie pas que le message de l’Incarnation est prisonnier de l’histoire. Mais, parce qu’il est historique, il est aussi universel.

De plus, ce mystère de l’Incarnation révèle que la vie de l’homme a un sens, que l’homme marche vers son Salut. Comme les personnages de la crèche convergent vers l’Enfant Jésus, l’homme court rencontrer son Sauveur. « Aujourd’hui vous est né un Sauveur ! », proclame-t-on lors de la messe de Minuit. Cet « aujourd’hui » est éternel : l’homme devient « sauvable » depuis le mystère de l’Incarnation. C’est une source d’espérance, de consolation et de joie. C’est aussi contraire à la logique de notre société qui veut nous emprisonner dans le désespoir. Ainsi, la crèche est un antidote extrêmement puissant contre notre monde gris.

Dans ce contexte d’effacement de la culture chrétienne, comment retrouver le vrai sens de la crèche ?
Il faut d’abord en parler, montrer que la crèche n’est pas exclusivement quelque chose de folklorique. Elle est porteuse d’un message qui peut changer le monde. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle devient un objet de subversion. Notre monde contemporain veut nous maintenir dans un état de soumission et de désarroi, nous enfermer dans une immanence, refusant la transcendance. Or, la crèche incarne, par définition, la transcendance, puisque les Cieux s’ouvrent et que le Fils de Dieu s’inscrit dans notre temps et notre histoire. Et cela s’oppose à toutes les logiques tyranniques. Cela révèle que le Sauveur des hommes n’est pas Hérode ou un homme politique, mais Jésus-Christ, Dieu fait homme, remettant à leur place tous ceux qui ont le désir de se faire passer pour des hommes providentiels.

Voilà ce qu’il faut proclamer au monde : la vie de l’homme n’est pas une cause perdue. Elle est tellement riche de potentialités qu’elle a été assumée par Dieu lui-même. Tant que l’on maintient la crèche dans une dimension commerciale ou exclusivement folklorique, on abîme le message qu’elle porte.

Comment prier devant la crèche et la contempler ?

Il faut tout d’abord faire silence et regarder. Regarder les détails. Puis, il faut rêver, se souvenir de l’histoire, rêver devant les scènes de la vie courante représentées dans la crèche, et se demander : où serais-je dans ce décor ? Puis-je m’imaginer être la marchande de poissons ? Le berger ? Le petit âne qui contemple l’Enfant Jésus ? Enfin, il faut espérer, prendre conscience et se redire que ce qui a été fait une fois dans l’histoire l’a été une fois pour toutes, et que ce salut est actuel. Si chaque année je fête Noël, c’est pour me rappeler que Dieu vient dans mon cœur. Les Pères parlent du triple avènement de Jésus : il est venu une fois dans la chair, il reviendra une deuxième fois dans la gloire, mais entre les deux il doit venir dans nos cœurs. En contemplant la crèche, nous préparons un berceau pour l’Enfant Jésus, par nos belles actions.

De quelle manière se révèle le message de l’Incarnation ?

Lorsqu’on lit l’histoire de la Nativité, on peut se demander comment les bergers et les mages ont pu confesser dans cet enfant Dieu fait homme. Bien sûr, il y a eu le message des anges. Mais comment, dans ce mystère d’une pauvre famille tapie dans une étable, peut-on constater la visite de Dieu dans l’histoire ? Cela n’est possible qu’avec les yeux de la foi. La crèche permet d’adopter sur le monde un regard surnaturel. C’est le contre-pied de toute une philosophie contemporaine qui refuse le réalisme de l’histoire et qui refuse que le réel puisse avoir une profondeur, une dimension mystérieuse, puisse révéler quelque chose de plus grand que ce qui apparaît.

Comment la crèche peut-elle aussi nous introduire dans la contemplation du mystère de la Rédemption ?
Durant la semaine de Noël, la couleur des vêtements liturgiques alterne entre le blanc et le rouge : le blanc le jour de Noël, le rouge à la Saint-Étienne, le blanc à la Saint-Jean, le rouge aux Saints-Innocents. Cette alternance nous montre que le prix de l’Incarnation est le mystère de la Croix. Représenter la Croix tout près de la crèche révèle que, si Dieu a remporté la victoire sur le mal, ce fut au prix de son sang. Il a assumé ce que nous étions jusqu’au bout, y compris notre mortalité. C’est le plus beau message d’espérance que l’on peut transmettre à nos contemporains : le mystère de la Croix n’est pas morbide mais montre que Dieu prend au sérieux sa création, au point qu’il choisit de s’abaisser jusque dans la mort.

Sans pour autant éclipser la joie de Noël…

La joie de Noël n’est pas une joie béate, dans un environnement paisible et sans ombre. Mais la Croix est le prix de l’Incarnation. Elle manifeste que l’amour de Dieu pour nous est immense, et qu’il n’a pas fait mine de nous aimer. C’est extraordinaire de se dire que nous avons tellement de valeur que Dieu s’est donné pour nous et qu’il a livré son Fils.

Comment se manifeste la toute-puissance de l’Enfant-Dieu dans la crèche ?

Par le mystère de l’Incarnation lui-même. Il est beaucoup plus spectaculaire au Dieu tout-puissant de se faire tout petit que de se manifester dans la gloire. L’humilité de l’Enfant Jésus est donc la plus belle démonstration de cette puissance. Et cela sera confirmé par la déchéance de la Croix.

Quel enseignement offre le mystère de la crèche pour la société occidentale en désarroi ? Où trouver l’espérance ?

La crèche est une invention occidentale. Saint François est par excellence le saint européen. Il était italien, mais son père le nomma François, en hommage à la France. Le mystère de la crèche est donc profondément lié à notre histoire, aux racines de notre culture. Revenir à la crèche, c’est revenir à ce qui a fait la culture chrétienne de la France et le lieu de notre espérance. C’est aussi redonner aux Français la capacité de s’émerveiller, de contempler et d’espérer.

Comment avez-vous conçu la crèche monumentale de votre paroisse ?

Le principe de cette crèche participative est simple : chaque fidèle qui le souhaite fait un don à la paroisse pour que soit acheté un santon, auquel il s’identifiera. Pour ma part, j’ai acheté le curé, bien entendu ! Une équipe s’est constituée pour réaliser le décor : 1 010 santons, 43 mètres carrés de plateau, 2 tonnes de sable, un décor en hauteur, avec l’église, l’école, la mairie, le couvent, les maisons, un camp scout… Cette crèche représente notre vie. C’est d’ailleurs le principe de la crèche provençale, qui met en scène la vie quotidienne.

Grâce à l’harmonie du décor, nous donnons à voir un monde unifié, organisé autour des activités humaines, économiques, culturelles, familiales, politiques. Le mystère de l’Incarnation que nous célébrons à Noël est la venue de Dieu dans notre histoire : Dieu assume ce qui forge notre vie quotidienne, et la rend belle, en l’harmonisant et en l’ajustant. Lorsque nous sommes devant la crèche, nous réalisons qu’il ne s’agit pas uniquement d’un événement du passé, comme la naissance d’un souverain qui serait restée cantonnée à l’événement en lui-même. Mais c’est un kairos, l’entrée de l’éternité dans le temps chronologique. Toutes les époques sont concernées par le mystère de l’Incarnation. C’est ce que l’on médite devant la crèche : Dieu vient nous visiter, et transformer le monde pour le rendre plus beau.

D’où l’importance de fabriquer la crèche avec soin.

Exactement. La beauté est un chemin d’accès à Dieu. Comme pasteur, je tiens, avec cette crèche participative, à créer un projet fédérateur et collectif, qui suscite une joie simple et populaire, qui émerveille. Car la crèche suscite l’émerveillement, par sa beauté. Elle nous parle de notre vie, et dans la meilleure version possible. Ne nous laissons pas voler la joie de Noël !