«Qu’est-ce que la bonne mort ? » se demandent beaucoup de gens… Je trouve cela difficile de parler de « bonne mort » car la mort n’a rien de bon ! Je dirais plutôt que la « mort idéale » c’est, comme saint Joseph, de mourir avec Jésus et Marie. Et puis, sans doute, de mourir en paix, avec Dieu, avec soi-même et avec les autres. Je pense que c’est une mort sereine, signe d’une vie accomplie, vécue jusqu’au bout, une mort dans l’abandon, à laquelle on ait pu se préparer. Il me semble que c’est la vie qui nous enseigne le mieux… la mort, chaque jour, par des petites morts, des deuils, des changements, des maladies, des abandons… Tout cela nous prépare à notre mort car elle fait déjà partie de la vie. Et saint Joseph est un très bon compagnon de route : lui, mieux que personne, nous apprend à accueillir la vie comme elle vient, dans la confiance et l’abandon à Dieu.
Un esprit de famille jusqu’au bout
Chez les Petites Sœurs des Pauvres, pour accompagner les personnes en fin de vie, nous les entourons d’amour, du moment où elles arrivent jusqu’à la fin de leur vie, dans un vrai esprit de famille. Cela permet vraiment des morts paisibles : on a pu en parler, ce n’est pas tabou, les gens se sentent entourés et aimés. Ils me demandent souvent : « Ma Petite Sœur, est-ce que vous serez là au dernier moment… même la nuit ? » Ici, ils se sentent membres d’une grande famille qui ne les abandonnera pas au dernier moment… Nos maisons s’appellent d’ailleurs « Ma maison » : ils sont chez eux. Nous les accompagnons également dans un climat de prière. C’est fondamental dans les moments de combat, de lassitude, de quête de sens…
Notre accompagnement s’appuie sur des années d’expérience communautaire. Toute la maison est impliquée dans l’accompagnement d’un mourant. Lingères, cuisinières, résidents, bénévoles, religieuses, etc. : tout le monde sait quand une personne est en fin de vie. Sa chambre devient le centre de la maison et tout le monde peut passer lui dire un mot, épauler la famille… La cuisine lui prépare des plats qu’elle aime ; on lui donne du linge particulièrement bien repassé ; on se relaie jour et nuit auprès d’elle… Souvent d’ailleurs, après un décès, les gens nous demandent si on les accompagnera de la même manière : cela les sécurise. Notre accompagnement se construit également dans la durée. Il commence dès que la personne entre chez nous : on apprend à la connaître, avec ses goûts, ses habitudes, sa famille, ce qui a tissé sa vie… Tout cela nous aide à bien l’accompagner au moment de sa mort, et à lui permettre de vivre ce moment en paix.
Nous accueillons beaucoup de personnes non croyantes. On ne sait pas ce qui se passe à la fin mais, elles sont tellement entourées d’amour, qu’elles font le passage dans l’amour : elles sont prêtes à rencontrer l’Amour… Au point que, parfois, elles demandent à voir un prêtre.
Le temps de la grâce n’est pas le même pour tout le monde : il faut être dociles à l’Esprit Saint dans l’accompagnement… Lorsqu’une âme s’ouvre, on est au seuil du mystère, il faut un immense respect, une grande écoute, beaucoup de silence et d’amour pour sentir ce que la personne désire… Mais, à un moment, on sent qu’elle est prête à partir… Il y a quelque chose de prophétique dans notre vie de consacrées. Une délicatesse, une intuition liées à notre cœur de femmes, de mères : l’Esprit nous travaille là-dessus pour savoir comment accompagner une personne au mieux, faire jaillir la vie, là où est la mort. On apprend par petits pas : « Retire tes sandales car ce lieu que tu foules est sacré », dit Dieu à Moïse devant le buisson ardent, dans le livre de l’Exode.
C’est pareil pour nous : « Retire tes sandales quand tu approches une personne en fin de vie, car c’est une vie humaine, une histoire sacrée. » C’est toute l’humilité de sainte Jeanne Jugan, notre fondatrice, qui nous disait toujours de ne pas oublier que le pauvre, c’est le Seigneur. Donc, c’est Jésus qu’on accompagne dans ces personnes…
Accepter notre impuissance
Nous sommes à contre-courant de la société car tout ne s’élucide pas par la technique en fin de vie. Il faut accepter qu’on est impuissant et toujours au pied de la croix avec Marie. Et plus on accepte de vivre sa vie jusqu’à la fin, de manière naturelle, dans l’impuissance, plus on est libre, parce qu’on remet sa vie aux mains d’un autre, en reconnaissant que notre vie ne nous appartient pas.
Parfois on veut hâter la mort parce qu’on ne supporte pas le temps que ça prend de mourir. Au contraire ! Il ne faut rien faire, juste rester là, prier… Une fois qu’on a fait tout ce qu’on pouvait humainement, à travers cette impuissance acceptée, il y a alors une paix qui s’installe pour le mourant et pour celui qui l’accompagne, pour la famille.
Le moment du combat…
Le moment du passage, c’est le moment le plus important. Les Petites Sœurs sont comme des passeurs : on nous a confié une âme, et nous l’aidons à « passer », nous la transmettons à Dieu… Il y a beaucoup d’enjeux à ce moment-là et souvent du combat : l’agonie, c’est le temps de la prière (« Étant tombé en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance », Lc 22,43). Jeanne Jugan nous disait de frapper à la porte du Ciel pour les âmes.
Ainsi, comme Moïse, avec les deux bras élevés, permet à Josué de gagner la bataille en bas dans la vallée, nous aussi, quand nous intercédons pour les âmes, nous avons un fort pouvoir d’intercession. De même aussi que, dans l’Évangile, les amis du paralytique qui le descendent par le toit afin qu’il voie Jésus, permettent qu’il soit guéri : c’est leur foi qui sauve cet homme. C’est grand ! C’est notre vocation de Petites Sœurs : on porte nos personnes âgées devant Jésus. En particulier à la fin de leur vie, lorsqu’elles ne peuvent plus rien pour elles-mêmes, qu’elles ne peuvent plus prier. Thérèse de Lisieux disait : « Ô comme il faut prier pour les agonisants, si l’on savait… »
Il n’y a que Jésus qui peut prier « avec plus d’insistance » au moment de son agonie : nous, nous avons besoin de l’aide des autres. C’est pour cela que la tradition de notre congrégation, c’est de veiller auprès du mourant : c’est une veille d’amour auprès du Christ. Notre rôle est grave : nous sommes comme une armée qui se bat par la prière pour accompagner une âme vers le Père. Nous avons un rôle de maternité spirituelle dans ce passage : on enfante les âmes par notre prière et notre présence, en essuyant le front, en tenant la main, en chantant un chant que la personne aime, en étant là, en anticipant ce qu’elle veut parce qu’on la connaît bien…
Saint Joseph apporte une sécurité
Au moment de la mort, il y a du combat, parce qu’il y a un enjeu autour d’une âme en fin de vie. On sent que le démon essaie de récupérer cette âme… Quand on prie Marie et Joseph, le combat s’apaise. On décèle aussi le combat parfois dans les tensions au sein de la famille du mourant, ou même de la communauté, qui empêchent la préparation paisible de la mort. À ce moment-là, je prie saint Joseph – un ou plusieurs « Je vous salue Joseph » : il est très efficace.
Au moment de la mort, il est une présence bienveillante, discrète, humble, qui apporte une sécurité et une force dans le combat, pour les mourants et ceux qui accompagnent. Mais pour les personnes âgées, c’est vrai que c’est plus naturel d’invoquer Marie, notre mère, à ce moment-là. Comme d’habitude, saint Joseph passe au second plan ! Marie, à la fin, apaise les âmes… Je dis souvent aux gens qui ont peur : « Ce n’est pas la mort qui vient vous chercher, c’est Marie, votre mère ! » Il n’y a qu’elle qui peut nous aider à accompagner toutes ces personnes au pied de la croix. La mort n’a pas de sens, mais Marie continue à croire, à espérer alors que son Fils meurt sur la croix…