Interrogeons-nous sur un phénomène marquant de cette ample mobilisation de la Manif pour Tous : la place importante qu’y occupent les jeunes générations.
Pour bon nombre de ces jeunes, en raison de leur âge ou de leurs références culturelles, c’est la première fois qu’ils expérimentent l’engagement « politique », au sens où il est question de se préoccuper de choix qui marqueront le « vivre ensemble » dans la cité.
Quel est leur profil? De nombreux observateurs indiquent que l’on retrouvait dans ces rassemblements protestataires l’atmosphère rencontrée dans les rues, ou les transports en commun, lors des JMJ. Le JMJiste1 a glissé dans le champ politique…
Quelles sont les conditions susceptibles de faire que ces premières expériences de réflexion et d’action (voir, juger, agir) constituent le point de départ d’une maturation politique, pouvant ouvrir sur d’autres engagements dans les années à venir autour d’autres enjeux ?
PASSER DE L’AFFECT AU RATIONNEL
Il faudra que les motivations de cet engagement soient réappropriés, sortent de la sphère affective (épouser les choix de ses parents ou de ses amis, des personnalités dominantes de son réseau) pour passer dans le champ rationnel. Pour le dire autrement, il s’agit de passer d’un engagement parfois un peu superficiel à un engagement libre et murement pesé.
Cela suppose de sérieuses assises philosophiques, sociologiques et historiques. Nous sommes clairement renvoyés dans le domaine de la formation.
La pensée aura besoin de se structurer, de s’affermir. Peut-être dans de petits cercles de réflexion permettant de tenter d’aller au fond des choses. On ne pourra se dérober à un vrai travail anthropologique nous obligeant à mettre au clair la vision de l’homme qui sous-tend de tels engagements. Les concepts de « loi naturelle », de « crise de civilisation » ou encore « d’écologie humaine », ne peuvent constituer seulement des sortes incantations et auront besoin d’être problématisés avec tous les courants marquant les cultures contemporaines. On ne pourra pas faire l’économie d’un véritable travail intellectuel, exigeant, dans lequel le plus grand nombre possible de ces jeunes devront s’engager. Travail d’écoute et de compréhension du Magistère de leur Église et travail de « traduction » de ce qui a été reçu pour tenter de le partager, non pas avec des arguments d’autorité (appuyés sur l’Ecriture te la Tradition), mais des arguments de raison accessibles à tous.
S’ENGAGER DANS LE DIALOGUE ET LA RENCONTRE
Nos convictions ne sont pas encore solides quand elles n’ont pas été éprouvées dan le dialogue. Eprouver sa pensée dans la rencontre quasi exclusive avec des gens qui partagent nos opinions risque de conduire à un enfermement très réducteur. On risque de se trouver dans cet auto-référencement2 contre lequel le Pape François nous met en garde. La parole court le risque devenir parfaitement inaudible par ceux et celles auxquels elle entend s’adresser. Il est essentiel d’aller vers l’autre et d’essayer de comprendre son argumentation. Et ceci sans se forger un blindage fait de « cause toujours », qui ferait de cette démarche d’ouverture un acte de diplomatie polie, mais pas encore une écoute véritable. Le préalable de tout dialogue véritable est : « je suis prêt à revoir mon jugement à ton écoute».
Suis-je capable de prendre du temps avec des personnes ayant une autre conception que la mienne de la vie en société, et de me rendre compte ainsi que, bien souvent, elles me ressemblent, mais sont le fruit d’une autre histoire, d’une autre sensibilité, d’autres expériences de vie ? Cela serait alors susceptible de changer au moins la « tonalité » de mon engagement. Quel est le pourcentage de ces jeunes manifestants ayant vraiment pris le temps de la rencontre et du dialogue avec des personnes homosexuelles et leur famille ?
Un nombre important de catholiques pratiquants (30 % selon certaines enquêtes) est favorable au mariage homosexuel. Les jeunes présents sur les lieux de mobilisation ont-ils pris le temps de dialoguer avec ces catholiques défendant une autre position que la leur ?
Ces rencontres et échanges sont indispensables pour favoriser la maturation des engagements et la cohérence des prises de parole, des slogans choisis et des actions menées.
REFUS DE LA VIOLENCE
C’est au moment des tout premiers engagements qu’il convient d’être très attentifs aux moyens mis en œuvre pour agir. Cela conditionnera probablement tous les engagements suivront. Il n’y a qu’une catégorie de moyens qui soit respectueux de « tout l’homme et de tous les hommes »3, et ils nous sont indiqués par la le chemin de la non-violence.
Ce serait une bonne nouvelle que ces générations -dont la culture est baignée dans les séries américaines qui n’indiquent, le plus souvent, que la violence comme mode d’action face à d’autres violences- choisissent des méthodes d’action non-violentes. La violence peut être physique, mais peut se traduire aussi par les cris ou les insultes. Elle passe par le dénigrement des personnes confondu avec le rejet de certaines de leurs idées. Haine, non respect et violence ne doivent pas faire partie de la « boite à outils » de ces jeunes.
Sans attention portée à cette question des moyens d’action, qui doivent se trouver en harmonie avec la fin recherchée (la charité), les mouvements les plus extrémistes viendront faire leur marché parmi ces jeunes et se développeront sur un terreau du sentiment de frustration (de ne pas avoir été entendu et respecté), et d’une radicalité mal orientée et mal comprise.
A Rome, lors de la prière de l’Angélus, le 2 janvier 2011, le pape Benoît XVI tout en condamnant le « geste lâche » qui avait frappé la communauté chrétienne copte d’Alexandrie en Egypte, la veille, a encouragé les chrétiens à « persévérer dans la foi et dans le témoignage de non-violence qui vient de l’Evangile. »
AU-DELA DES PARTIS ET DES CLANS
La mobilisation contre un projet ne vaut pas pour adhésion à un parti, même si certains groupes ou partis, rejoignant un mouvement dont ils ne sont pas à l’origine, voudraient tenter de capitaliser pour leur sur le terreau d’un fort mécontentement. Les manifestations contre ce projet de loi ne disent pas non plus que ces jeunes penchent résolument du côté droit de l’hémicycle de nos assemblées
La frontière des consciences ne coïncide pas avec les limites étroites et enfermantes d’un parti ou d’une orientation politique. Des esprits libres ont manifesté cela en prenant des distances avec le discours dominant de leur groupe de référence. L’opposition à un projet de loi ne peut se transformer en une opposition systématique à toute proposition d’un gouvernement donné : quand l’engagement devient partisan il perd beaucoup en consistance et en crédibilité. Les chrétiens peuvent appartenir à un parti ou à un autre, se retrouver plus volontiers dans tel ou tel courant de pensée, mais en dernière analyse ce qui importe c’est qu’ils soient au Christ4. En fin de compte il convient de suivre sa conscience, son intelligence éclairée par la foi, et non un esprit de clan.
Si ces principes ne sont pas retenus comme valides, c’est alors le désir d’en « découdre » avec ses opposants habituels qui tient alors lieu de pensée. Le ressort de l’engagement redevient à nouveau plus affectif que rationnel.
LES ENGAGEMENTS À VENIR ?
Notre temps doit relever des défis si considérables. Il ne lui sera pas possible de le faire sans s’appuyer sur un véritable travail de la pensée. Certains jeunes ayant perçu, à l’occasion de ces mouvements sociaux, un véritable déficit en ce domaine, s’engageront-ils dans un très sérieux travail intellectuel susceptible de donner des fondations à de nouveaux projets politiques ? Quelques vocations de ce genre auront-elles fleuri sur le Champ de Mars ou la Place du Trocadéro ?
Verront-nous dans les mois qui viennent ces jeunes s’engager sur d’autres dossiers ayant trait aussi au respect de la dignité des personnes ? Il pourra être question des personnes en fin de vie, mais aussi des migrants (qui ont si difficilement accès à un regroupement familial), des sans domicile, des familles de Roms ou de Voyageurs, des personnes âgées et des personnes handicapées. La liste pourrait être très longue.
. Qu’il serait beau que cette puissance de mobilisation puisse montrer qu’elle est capable aussi de se saisir d’autres causes !
Verrons-nous émerger un christianisme sociétal (nous disions jusqu’alors « social ») ? Une nouvelle génération, que Jean Paul II appelait de ses vœux, quittera-t-elle le scepticisme et l’absentéisme au regard de la chose publique, pour choisir de s’y engager 5 ?
Ce pourrait être la bonne nouvelle de la mobilisation de ces derniers mois. Mais tout reste encore à faire …
Pour aller plus loin :
- Jean-Paul Hyvernat
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- Le Brésil de 2012 dans l’attente des JMJ de 2013
- POUR UNE STRATEGIE NATIONALE DE DEVELOPPEMENT DURABLE 2009-2012
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Néologisme faisant référence à ceux et celles qui se rassemblent pour les Journées Mondiales de la Jeunesse – JMJ.
Selon une habitude de langage analogue on a parfois parlé des JOCiste en faisant référence aux jeunes de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). - L’intervention du card. Bergoglio avant le conclave. Cf. : http://www.zenit.org/fr/articles/l-intervention-du-card-bergoglio-avant-le-conclave
- Pape Paul VI – Populorum Progressio n°42
« C’est un humanisme plénier qu’il faut promouvoir. Qu’est-ce à dire, sinon le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes ? » - 1 Cor 1,11
- Jean-Paul II. Christi Fideles Laïci n°42.