Les images ont fait le tour du monde : devant 90 000 Américains rassemblés dans le State Farm Stadium de Glendale, dans l’Arizona, toutes les grandes figures de l’administration Trump se sont succédé, le 21 septembre, pour faire l’éloge funèbre de Charlie Kirk, influenceur conservateur et chrétien, assassiné quelques jours plus tôt. Directeur du renseignement national, secrétaire d’État, à la Guerre, à la Santé, vice-président et, bien sûr, le président lui-même : tous prononcent des discours politiques à fort accent religieux. « Le plus important, c’est notre foi et notre famille » lance ainsi le secrétaire d’État Marco Rubio, tandis que le vice-président J. D. Vance affirme que Kirk « portait la vérité selon laquelle Jésus-Christ était le Roi des rois et que toute vérité découlait de cette vérité première et fondamentale » ajoutant que l’influenceur avait « couru une bonne course » – une citation directe de saint Paul et sa deuxième épître à Timothée. Avant que Donald Trump ne martèle : « Nous devons ramener la religion en Amérique. […] Nous voulons le retour de Dieu aux États-Unis. »
Léon XIII à la Maison-Blanche
Mélange des genres ? Héritage chrétien assumé ? Une chose est sûre : plus que jamais, les États-Unis sont un laboratoire où s’observent les liens entre foi et politique. « Dieu n’a jamais été très loin de la politique américaine, remarque Blandine Chelini-Pont, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Aix-Marseille. La lutte pour les droits civiques, par exemple, a beaucoup été portée par les protestants américains et Reagan doit en partie son élection à l’implication des évangéliques. Cela étant, la grande nouveauté de notre époque réside en ce que les questions de morale sexuelle et de respect de la vie ont permis une forme de réunion de différents courants dans ce que l’on pourrait appeler une “droite chrétienne” aujourd’hui au pouvoir. » Depuis sa campagne jusqu’à l’exercice de ses fonctions, Donald Trump a ainsi multiplié les appels du pied aux catholiques. Dernier en date : le 29 septembre, lorsque la Maison-Blanche publie un communiqué à l’occasion de la Saint-Michel, se concluant par la prière à l’archange, in extenso, composée par Léon XIII !
Il faut dire que le président américain leur doit beaucoup et, en particulier, aux intellectuels « post-libéraux ». Derrière cette notion encore peu connue en France (voir France Catholique n° 3875) se cachent les universitaires, pour beaucoup catholiques, qui estiment qu’en protégeant et étendant les droits du citoyen avant tout, le politique a délaissé le bien commun et provoqué l’effondrement de la société. Parmi eux, des universitaires reconnus, comme Patrick. J. Deneen, professeur de sciences politiques à l’université Notre-Dame dans l’Indiana, ou Adrian Vermeule, professeur de droit constitutionnel à Harvard. « Dans cette droite chrétienne, les catholiques sont ceux qui réfléchissent, car ils ont une longue mémoire politique et cherchent à théoriser un système » relève encore Blandine Chelini-Pont. La doctrine du Christ-Roi n’est, en tout cas, jamais loin. Dans un tweet publié en 2019, Adrian Vermeule, relevait avec malice : « J’aime beaucoup quand arrive la fête du Christ-Roi, non seulement pour elle-même, mais aussi parce qu’elle met en évidence l’incohérence de l’idée selon laquelle le Christ devrait régner dans nos vies, mais pas dans notre ordre politique. Un roi privatisé n’est pas un roi du tout. »
Équilibre précaire
Pour autant, l’actuelle « expérience » américaine repose sur un équilibre précaire, s’appuyant aussi bien sur des dominionistes – chrétiens mêlant calvinisme ou encore pentecôtisme et cherchant à investir le pouvoir civil –, que des tenants de la « prospérité évangélique » – pour qui l’aisance financière est signe d’élection – que sur des catholiques. J. D. Vance n’a-t-il pas pour soutien financier le milliardaire Peter Thiel, fondateur de PayPal et figure de la Silicon Valley, tout à la fois chrétien revendiqué et financeur d’une start-up permettant de choisir l’embryon à implanter, dans le cadre d’une PMA, à partir de son génome ? L’équilibre est d’autant plus précaire qu’il a pour cadre une vie politique américaine sous tension extrême. En deux séquences, la cérémonie d’hommage à Charlie Kirk avait, là encore, été révélatrice. Dans une prise de parole abondamment reprise et édifiante, on a vu Erika Kirk, la veuve de l’influenceur, pardonner publiquement à l’homme qui a tué son mari. Quelques minutes plus tard, c’était au tour de Donald Trump de louer l’activiste en rappelant que ce dernier « ne haïssait pas ses adversaires [et] voulait le meilleur pour eux ». Mais le président, quittant son prompteur, s’est mis à improviser, goguenard : « C’est là où je n’étais pas d’accord avec Charlie : je hais mes adversaires et je ne leur souhaite pas le meilleur. »
Un modèle pour la France ?
Au-delà des divisions réelles ou supposées de ce courant américain, des catholiques s’interrogent : peut-il être un modèle crédible pour la France ? « Les post-libéraux élaborent un modèle compatible avec des sociétés de tradition catholique dans la mesure où ils fixent le bien commun comme horizon politique, en faisant appel au “bon sens” populaire, estime l’essayiste québécois Étienne-Alexandre Beauregard, auteur d’Anti-civilisation (Presses de la Cité). Or, ce bien commun renvoie à ce que l’on pourrait appeler la tradition sociale catholique : une égalité des personnes fondée sur la dignité de chacun, le souci des plus vulnérables et la participation à la vie des institutions. »
Reste que réfléchir publiquement à l’articulation entre religion et politique dans une République française qui, depuis la loi de séparation des Églises et de l’État, en 1905, « ne reconnaît […] aucun culte », suscite une tension qui n’existe pas outre-Atlantique. En témoignent, par exemple, les vives réactions au discours de 2018 d’Emmanuel Macron aux Bernardins, lorsque le président de la République avait appelé à réparer « le lien entre l’Église et l’État », ou à celui de Nicolas Sarkozy au Latran, en 2007, qui avait affirmé que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes ». Une sympathie qui est loin d’être une constante à l’Élysée : en 2004, Jacques Chirac avait obtenu l’abandon de l’inscription des racines chrétiennes dans le projet de Constitution européenne.
Ailleurs en Europe, les gouvernements ont pourtant moins de pudeur. Irlande, Grèce, Royaume-Uni, Allemagne ou encore Pologne citent Dieu dans leur Constitution. En 2012, la Hongrie portait une réforme constitutionnelle reconnaissant « le rôle du christianisme dans la préservation de la nation », signée par les députés « conscients de [leur] responsabilité devant Dieu et les hommes ».
La messe est-elle dite ?
Éric Zemmour a, d’une certaine façon, relancé le débat. Dans La messe n’est pas dite (Fayard), le dirigeant de Reconquête, souligne le lien entre la France et la religion catholique : « Le christianisme doit s’assumer comme une identité. [Car alors] spiritualité et identité, foi et culture, tout sera retrouvé ensemble. » Au-delà des discussions que ne manquera pas de susciter cette posture identitaire, l’irruption de cette question souligne-t-elle un changement d’époque ? Quoi qu’il en soit, le temps long de l’Église, lui, ne varie pas : il y a 100 ans, Pie XI signait son encyclique Quas primas, qui instaurait la fête du Christ-Roi. Si, à l’échelle nationale, la question de la foi en politique reste toujours aussi complexe, c’est sans doute à l’échelle associative, culturelle ou scolaire que se trouvent des acteurs qui, aujourd’hui, font vivre cette spiritualité. Car, selon Pie XI, l’enjeu est de taille : obtenir « les bienfaits de la concorde et de la paix ».





