Défense de la philosophie première - France Catholique
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Défense de la philosophie première

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Il y a peu, William E. Carroll faisait sur ce site les remarques suivantes :

« Il est littéralement impossible de débattre philosophiquement (à propos de substance, hasard, matière, corps, transformation, etc) avec quelqu’un qui refuse d’accepter les principes premiers de philosophie, ou qui réduit tous les principes premiers à des notions de science naturelles. »

Il faisait référence aux penseurs tels que Richard Dawkins qui maintiennent que la rationalité est l’équivalent des apports scientifiques.

Dans cette voie, ce qui est traditionnellement appelé « philosophie première » ne peut pas être une entreprise rationnelle tant que ce qu’elle proclame n’a pas été confirmé par les sciences naturelles. Ce qui, bien sûr, n’est pas possible, puisque la philosophie première suppose les principes premiers de pensée et d’être. Par conséquent, tout principe premier qui dépendrait d’une vérité ou d’une réalité plus fondamentale ne pourrait plus être un principe premier. C’est ce qui a motivé de nombreux philosophes, dont des philosophes chrétiens, à abandonner la philosophie première pour modeler leur construction intellectuelle sur les sciences naturelles.

C’est indéniablement un cheminement séduisant depuis que les sciences naturelles ont été couronnées de tels succès. Mais est-ce réellement une bonne raison d’abandonner la philosophie première ? Après tout, le libre échange a été incroyablement efficace pour générer une prospérité sans précédent dans le monde développé. Cela signifie-t-il qu’il faille l’étendre aux « biens » qui ont de l’importance dans l’épanouissement de la vie de famille ? Si les parents se mettent à considérer leurs enfants comme des produits dont la valeur est déterminée par les lois du libre échange, est-ce plus rationnel que notre croyance instinctive que notre progéniture, en raison de sa condition humaine, a une valeur intrinsèque infinie ?

Mais ceux qui critiquent la philosophie première sont encore plus mal lotis qui les économistes qui veulent s’en tenir aux règles fondamentales du libre marché. Car la philosophie première est absolument incontestable.

Premièrement, quand un critique comme Dawkins distingue les entreprises rationnelles (c’est-à-dire les sciences naturelles) des entreprises non-rationnelles (c’est-à-dire la religion), il fonde son jugement sur l’hypothèse que ce qu’il croit constitue les conditions nécessaires et suffisantes d’une entreprise rationnelle. Mais cette opinion n’est pas plus une notion de sciences naturelles que la déclaration « le hip hop n’est pas de la poésie » n’est une notion de hip hop ou de poésie. C’est un exercice de raisonnement philosophique basé sur des principes premiers de pensée rationnelle. C’est de la philosophie première.

Deuxièmement, les critiques proviennent souvent de jugements normatifs qui découlent d’un raisonnement de philosophie première. Prenez, par exemple, la critique que fait Dawkins de la carrière du paléontologiste Kurt Wise. Dans The God Delusion, Dawkins se désole que même avec un diplôme de l’université de Chicago et un doctorat de philosophie obtenu sous la conduite du renommé paléontologiste Stephen Jay Gould, diplômé d’Harvard, Wise n’ait pas abandonné sa croyance au créationnisme, sa certitude que les premiers chapitres de la Genèse sont à interpréter littéralement et que la Bible enseigne que la terre a moins de 10 000 ans.

Comme je l’ai dit par ailleurs, je partage la perplexité de Dawkins quant à l’entêtement de Wise, et pourtant, il y a quelque chose d’étrange et de délicieusement non-scientifique dans les lamentations de Dawkins. Il écrit :


« Je trouve ça terriblement triste… l’histoire de Kurt Wise est franchement navrante — navrante et lamentable. Le tort qu’il s’est lui même infligé, touchant sa carrière et son bonheur, sans aucune raison, alors qu’il lui était si facile d’y échapper… Je suis ennemi de la religion à cause de ce qu’elle a fait à Kurt Wise. Et si elle peut faire cela à un géologue formé à Harvard, imaginez ce qu’elle peut faire à d’autres moins doués et moins bien armés. »

C’est une étrange lamentation venant de quelqu’un ayant les tendances philosophiques de Dawkins, car il nie que la nature, qui doit probablement inclure Wise, puisse receler aucun but intrinsèque duquel nous pourrions conclure à une obligation morale de ne pas contrarier ce dessein. Dawkins proclame que Darwin nous a montré que toute téléologie naturelle incluant un dessein intrinsèque est une illusion, et il affirme donc que la croyance en une téléologie est « puérile ». (Ce qui en passant, est une vantardise rhétorique de bas étage, car quiconque a étudié le sujet sait que le darwinisme s’oppose à certains modèles d’un dessein préétabli, mais pas à tous, ainsi que l’ont démontré de façon convaincante Ed Feser, Etienne Gilson et mon ancien professeur James Sadowsky S. J.)

En vue d’émettre un jugement, Dawkins devrait connaître quelque chose de la nature de cette sorte de créature qu’est Wise et des devoirs qu’une telle créature a envers l’usage de ses capacités naturelles. Mais tant qu’il ne peut pas découvrir les buts intrinsèques de l’humanité ou nos devoirs à leur égard par les méthodes des sciences naturelles, Dawkins est d’avis — quand il ne se lamente pas sur les choix de vie d’autrui — que ces buts et devoirs sont illusoires et que croire en leur existence est « puéril ». Pourtant, les instructions de Dawkins à l’égard de Wise ont leur source dans ces illusions « puériles ».

La clé pour échapper à cette impasse contre-intuitive serait d’abandonner cette idée fausse que les méthodes des sciences naturelles sont le modèle de la rationalité pour tous les comportements humains. Mais ne me croyez pas sur parole. Observez seulement comment Richard Dawkins ne met pas en pratique ce qu’il prêche.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/in-defense-of-first-philosophy.html

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illustration : Richard Dawkins ne met pas en pratique ce qu’il prêche

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Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et de droit public religieux (NDT : i.e. l’étude des rapports entre les Eglises et les Etats, leurs conflits…) Son dernier livre (en collaboration avec Robert P. George et Susan McWilliams), à paraître prochainement, est : A Second Look at First Things : A Case of Conservative Politics, dédié à Hadley Arkes.