Natacha est parti lundi de Tours afin d’accomplir une sorte d’exploit authentique : relier en six jours la ville de Tours à celle de Nantes par le chemin des vélos. J’écris exploit parce que je pense que les quelques 330 kilomètres qu’elle va parcourir, en compagnie de sa sœur Clotilde et du mari de celle-ci, Louis-Michel, auxquels se sont joints un couple de leurs amis venus de Nevers, représentent pour elle un effort très important. C’est sa façon de fêter son 67e anniversaire. J’applaudis, naturellement et suis au fond fier d’elle.
Il est midi. Je viens de l’appeler sur son téléphone portable — ici, l’usage de cet outil de communication est d’une incontestable utilité — afin de lui donner l’heure de son train en Gare de Nantes. Si je note ce coup de fil c’est parce qu’elle m’a rapporté un fait bouleversant qui l’a fortement impressionnée. En effet, le groupe s’est arrêté à Saint-Florent-le-Vieil, petite commune du Maine et Loire, afin de visiter l’abbatiale et d’admirer le point de vue sur le fleuve… Mais au bord d’un champ de jeunes peupliers, proche d’une belle maison, elle a remarqué un panneau d’information qui l’a stupéfaite.
Elle ne savait pas, moi non plus, que la Guerre de Vendée 1 avait commencé sur le territoire de ce village : qui devint de ce fait l’un des principaux hauts-lieux de la révolte vendéenne. Lors du tirage au sort de la conscription, le 12 mars 1793, les gens des Mauges se révoltèrent. Jacques Cathelineau, premier généralissime de l’Armée catholique, débuta ici ce soulèvement dont la République ne veut toujours pas se souvenir : son discours porta sur les injustices dont était responsable le gouvernement de Paris : il fut assez convaincant pour être suivi.
Mais pourquoi ma femme fut-elle stupéfaite ? Parce qu’elle a pu lire ceci sur le panneau planté au bord de ce champ où le groupe entendait se reposer et manger : les troupes républicaines, après avoir entassé hommes, femmes et enfants dans l’église de Saint-Florent, les fusillèrent à bout portant. Il y eut environ 2000 victimes…
Je ne cesserai jamais de réclamer que soit instauré par le gouvernement français, successeur de ceux qui ordonnèrent de tels massacres, un jour de deuil national à la date anniversaire de ce massacre : en souvenir de la naissance dans le crime du régime qui aujourd’hui prétend avec constance à dicter « sa » morale aux Français.
Personnellement et sans obliger personne, je considèrerai tout gouvernement de la République comme entaché de ce sang versé pour lequel personne parmi les puissants n’a demandé pardon : d’autant que ce sang fut versé parce que la Vendée était catholique, accessoirement royaliste. Beaux motifs pour de telles hécatombes !2
Au contraire, ils ont tout fait pour que ce crime reste caché pour toujours. Ils n’ont jamais permis que l’histoire de ces horreurs soit rapportée par de doctes historiens à nos concitoyens. La plupart d’entre eux ignorent ce que fut cette guerre – sauf les centaines de milliers qui sont passés par le Puy-du-Fou…
Le crime contre l’humanité est établi ; la volonté affichée, entre 1792 et 1794, par Robespierre, le Comité de Salut public et la Convention montagnarde de supprimer le peuple vendéen est assurée : ce qui permet sans hésitation3 de qualifier de « génocide » cette guerre d’extermi- nation, comme le dit si justement l’historien Reynald Secher en son ouvrage magistral Le génocide franco-français : La Vendée-Vengée. Ses recherches universitaires capitales ont abouti à la conclusion qui s’imposait : ce génocide « franco-français ». Il a également forgé le néologisme expressif de « mémoricide » à « rajouter, dit-il, comme quatrième crime de génocide », à la définition du juriste polonais Raphael Lemkin, auteur du vocable génocide.
Je ne veux pas consacrer un long article à ce point si troublant de notre histoire, mais je tiens à ce que mes petits-enfants n’oublient jamais la Vendée martyre, si toutefois, après ma mort, ils lisent ce Journal, tout en priant pour notre pays. La France n’est la France que dans le respect de la Vérité, fut-elle désagréable à reconnaître, honteuse ou, comme ici, franchement criminelle.
Mais demeure une question : je regarde à nouveau, sur la reproduction du vitrail cité plus haut, le visage du soldat qui transperce un enfant de sa baïonnette. Comment a-t-il pu ? Quel discours a pu le convaincre de faire ce qu’on lui demandait là ? Quel regard portait-il sur la mère et son enfant ? Nous rejoignons ici Hannah Arendt…
Pour aller plus loin :
- Dans une de mes poches se trouve depuis longtemps une image que je ne puis regarder sans éprouver une sombre colère mêlée de pitié : une reproduction d’un vitrail en l’église des anciennes communes Petit et Grand Lucs… Un soldat, jeune et le visage fermé, transperce le cœur d’un petit enfant tenu entre les bras de sa mère, qui de sa main droite tente en vain de détourner la baïonnette… Plus loin un autre soldat vise de son fusil, prêt à tirer, d’autres Lucquois, invisibles.
J’ai cherché sur l’Araignée la notice concernant le Grand Luc : elle ne parle que de la réunion, en 1796, des deux Lucs en une seule nouvelle commune : Lucs-sur-Boulogne… Rien sur le massacre du 28 février 1794 ! C’est incroyable mais c’est ainsi ! Ce jour-là pourtant le Petit et le Grand Luc furent traversés par les colonnes infernales Cordelier et Crouzat. Résultat : suite à des recherches approfondies, le curé titulaire du Grand Luc, recensa « au moins 564 victimes dont 109 avaient moins de 7 ans »… Le Petit Luc avait disparu dans la tourmente : d’où cette « unification », en somme obligée, des deux anciennes communes en une seule…
Les Vendéens prient pour que ces enfants soient béatifiés en union avec les enfants de Bethléem massacrés par Hérode le Grand entre les années – 5 et – 4, année de sa mort : précision historique qui permet de situer la naissance de Jésus vers – 6 ou – 5. La tradition orientale situe cette naissance à la fin de décembre – 5…
- N’oublions jamais que la République, plus encore que contre le Roi, s’est dressée contre le Dieu des chrétiens : d’où son athéisme radical et idéologisé. Elle ne sortira grandie de son histoire ensanglantée que le jour où elle reconnaîtra cette erreur fatale : qui n’eut en rien empêché la liberté de chacun de croire ou non en Dieu. Mais imposer la non-foi est pire encore que trop insister pour obliger à croire !
- N’hésitent à suivre Reynald Sécher que les historiens et les politiques qui font de Robespierre leur maître à penser…