Il est possible de gloser sur la différence de sensibilité entre les successeurs de Pierre. Si l’on examine la suite des papes du XXe siècle et du début du XXIe siècle, on est frappé de leurs différences de caractères. Entre le Polonais Jean-Paul II, l’Allemand Benoît XVI et l’Argentin François, on ne peut qu’être frappé par des contrastes non seulement psychologiques, mais aussi culturels, voire historiques. Mais tous ont assumé une mission commune, qui est celle du service de l’Église universelle. Il en va de même aujourd’hui de Léon XIV qui, dès son apparition à la loggia de Saint-Pierre, a tenu à manifester sa disponibilité entière à cette mission, ne serait-ce qu’en revêtant les habits liturgiques propres à sa fonction. Ceux que son prédécesseur, par humilité franciscaine, avait omis de porter.
Assumer toute la charge
C’était un premier signe, non d’un refus d’humilité mais d’une adéquation à un ministère dont il assumait toute la charge. Ce détail n’était pas anodin, car il allait à l’encontre de tout un courant acharné à la dévalorisation de la primauté pontificale. On s’en était aperçu au moment de la renonciation de Benoît XVI à sa charge. Nombre de commentaires en avaient conclu à une sorte de désacralisation de la papauté, enfin contrainte de renoncer à son autorité suprême. En 1996, je m’étais opposé à toute une polémique virulente à l’encontre de Jean-Paul II, dont certains n’hésitaient pas à déclarer qu’il serait le dernier des papes (Pourquoi veut-on tuer l’Église ?, Fayard). Je n’invente rien. Un essayiste avait alors écrit tout un libelle pour expliquer que le pape polonais serait « le dernier qui aura été en situation d’accréditer, si peu que ce fût, la triple fonction de l’universalité, de l’autorité, et d’une norme valant partout et pour tous et faisant office de sens ».
« Régulation centrale »
Il est bien certain que dans cette perspective le sort de la papauté est engagé en vue d’un effacement prochain, d’autant qu’on assénait encore que « la référence à une tradition dans la régulation centrale fondant la vérité d’un croire avait vécu ». On peut dire que Léon XIV, dès ses premières déclarations, s’est opposé de front à ce genre de dérive idéologique, en affirmant qu’il était hors de question de transformer l’Église en une sorte de gouvernement démocratique. Pourtant, il a aussi redit son attachement aux procédures synodales initiées par son prédécesseur. Et il est vrai qu’eu égard à l’histoire du christianisme, on ne saurait oublier l’importance de telles procédures, mais aussi parfois leur redoutable complexité.
Désireux de mieux m’informer de ce dossier, j’escomptais interroger l’historienne Marie-Françoise Baslez, qui en avait une connaissance supérieure. Malheureusement, son décès m’a privé d’une conversation dont j’attendais beaucoup. Mais son œuvre demeure avec sa remarquable information. Notamment son ouvrage intitulé Comment les chrétiens sont devenus catholiques (Tallandier, 2019). Elle y montre comment au sein d’une effervescence étonnante, notamment avec le développement de confessions indépendantes et souvent hérétiques, le rôle de l’évêque de Rome était devenu de plus en plus indispensable : « Les crises doctrinales et les conciles furent l’occasion pour l’Église de Rome de renforcer et d’enrichir ses revendications à la primauté en tentant de donner une acception institutionnelle à la sollicitude qu’elle n’avait jamais cessé de manifester pour toutes les Églises. »
Autorité spirituelle
Comment ne pas penser à ce prédécesseur éminent de Léon XIV que fut saint Léon le Grand ? En dehors d’un rôle politique considérable au moment où s’effondre l’empire romain, son autorité spirituelle se montre décisive dans la définition des dogmes qui structurent le christianisme, notamment au moment du concile de Chalcédoine (451). De Léon le Grand à Léon XIV, c’est la même mission qui se poursuit dans le sillage de Pierre, le premier évêque de Rome.