Critique cinéma : « Bitter Harvest », amour et famine - France Catholique
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Critique cinéma : « Bitter Harvest », amour et famine

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J’aurais aimé être en mesure de louer un film portant sur une période extrêmement importante de l’histoire mondiale qui n’a pas reçu l’attention qu’elle mérite. Triste à dire, mais « Bitter Harvest » de George Mendeluk échoue à raconter l’histoire de la famine provoquée en Ukraine par Staline d’une façon qui l’aurait rendu comparable à « La liste Schindler » de Steven Spielberg (1993).

Les deux films parlent d’un génocide et utilisent des techniques narratives similaires : principalement en focalisant sur un groupe de victimes luttant pour survivre. Dans « La liste Schindler », des ouvriers d’usine juifs chargés de réaliser du matériel pour l’effort de guerre nazi ; dans « Bitter Harvest » (Récolte amère), une communauté villageoise de fermiers ukrainiens (des koulaks) qui se battent pour conserver leur pays, leur foi et leurs traditions contre la collectivisation soviétique.

Monsieur Spielberg (utilisant le roman récompensé d’un award de Thomas Keneally comme base pour réaliser un film encore meilleur) raconte la véritable histoire d’Oskar Schindler, peignant amoureusement les personnages les uns après les autres et suscitant de remarquables performances d’acteurs brillants.

Maintenant, Spielberg avait un budget avoisinant les 40 millions de dollars (en dollars de 2015 – peut-être l’affaire la plus élevée dans l’histoire de Universal Pictures) là où Mendeluk travaillait avec moitié moins et a reçu bien moins de la moitié pour l’investissement.

Pour être honnête, l’Holocauste est tellement présent dans l’inconscient collectif que l’histoire de Spielberg pouvait être racontée sans une présentation pesante, là où l’Holodomor ukrainien (mort par famine), tel qu’il est nommé, demande une explication poussée. Et ce n’est pas facile dans un film dramatique de 103 minutes.

Ce n’est pas que l’Holodomor soit absolument inconnu, mais il est connu principalement par des récits académiques, notamment par « The Harvest of Sorrow : Soviet Collectivization and the Terror-Famine » (La récolte de l’affliction : collectivisation soviétique et terreur par la famine) de Robert Conquest (1986). Une épigraphe à la fin de « Bitter Harvest » relate qu’entre 7 et 10 millions de personnes sont mortes durant la famine planifiée par Joseph Staline. Le véritable nombre de morts – essayez de vous représenter, c’était une période de seulement deux ans, 1932 et 1933 – est sujet à controverse mais il n’est pas inférieur à 3 millions. Certains estiment qu’il pourrait s’élever à 12 millions. Contrairement aux nazis, les communistes russes n’étaient pas méticuleux dans la tenue des comptes de leurs massacres.

Pour moi, « Bitter Harvest » fait penser, en moins bien, à « Reds » de Warren Beatty (1981) en racontant l’histoire de l’Holodomor dans le contexte d’une histoire d’amour. Mais l’histoire de Youri (Max Irons) et Natalka (Samantha Barks) n’a aucun des attraits de la véritable histoire de Jack Reed (Beatty) et Louise Bryant (Diane Keaton), bien que – là encore – la connaissance de la Révolution Russe soit raisonnablement bien campée.

« Bitter Harvest » aurait dû être une opportunité pour démolir toutes les notions gauchistes diaphanes sur « l’expérience soviétique ». Le libéralisme de Warren Beatty le retient d’accepter toute la vérité, cependant, malgré cela, il a brossé un des portraits les plus incisifs de la désillusion jamais mis en film. David Lean a fait de même dans « Docteur Jivago » (1965), ainsi que Ernst Lubitsch dans « Ninotchka » (1939). (Dans un des meilleurs castings de l’histoire du cinéma, Lubitsch a fait choix de Bela Lugosi pour le rôle du commissaire Razinin. Quel meilleur moyen d’incarner le mal soviétique que de recruter Dracula?)

Si vous visionnez l’un ou l’autre de ces autres films, vous voyez immédiatement comment la dimension visuelle de ce moyen de communication peut être évocatrice – peut puissamment emporter le spectateur en un autre temps et un autre lieu, ajoutant au récit : des images en guise de mots. Pensez à l’étonnant « palais de glace » de Varykino ou aux remarquables scènes de blizzard dans « Docteur Jivago » – toutes ont été tournées en Espagne, durant l’hiver le plus doux du demi-siècle !

« Bitter Harvest » pourrait être le film le plus noir que vous ayez vu, et ce n’est pas uniquement en raison de l’humeur sombre, mais en raison de la véritable obscurité de la plupart des scènes, qui sont tournées de nuit, ou entre chien et loup, ou dans des intérieurs faiblement éclairés. Il est difficile de ne pas conclure que quelque chose n’est pas clair, peut-être un manque de technique filmographique ou un lot de films défectueux.

Monsieur Mendeluk est un Canadien d’ascendance ukrainienne. D’évidence, il a l’intention de faire la lumière sur cette histoire terriblement sombre. Malheureusement, « Bitter Harvest » ne sera pas vu par suffisamment de monde pour avoir beaucoup d’impact, tout simplement parce qu’il manque du pouvoir évocateur nécessaire pour faire fonctionner le bouche à oreille – ou pour obtenir les critiques susceptibles de lui prêter assistance. Le résultat probable est que ce sera le seul film sur l’Holodomor jamais produit. Il n’y a pas de poison comme celui du box-office.

Une partie de l’histoire qui a dû être supprimée au montage est le rôle que le journaliste Walter Duranty a joué dans la tragédie. Duranty rédigeait des histoires pleines de propagande soviétique, y compris des négations explicites de la famine provoquée, et pourtant ses reportages lui ont valu le prix Pulitzer. La banque de données internet sur les films donne Duranty comme personnage de « Bitter Harvest », mais si il y avait des scènes l’incluant, je les ai manquées. C’est trop dommage parce que sa duplicité aurait pu procurer des moments de grande intensité dramatique.

Staline (Gary Oliver) n’apparaît que brièvement dans deux ou trois scènes décousues, aussi le spectateur ne saisit pas le pourquoi et le comment de son plan démoniaque pour anéantir les Ukrainiens et leur foi catholique ou orthodoxe. (Une intrigue secondaire est la poursuite d’une icône précieuse, sans prix pour les croyants et n’ayant pour les soviétiques que sa haute valeur marchande.)

Même après la déstalinisation sous Khrouchtchev, les autorités soviétiques ne pouvaient rassembler d’autres commentaires sur l’Holodomor qu’une allusion à « des déboires alimentaires » durant cette période. Conséquences des actions d’un Dieu auquel ils ne croyaient pas. La Russie reste dans le déni.

Bien sûr, « Bitter Harvest » a ses moments de gloire. Youri est dans un train pour Kiev arrêté pour refaire le plein quand une pauvre femme à l’allure d’épouvantail frappe à la fenêtre. Un contrôleur ferme rageusement les rideaux.

« Elle mendie de la nourriture » dit Youri.

Le contrôleur grogne : « il y a de la nourriture ! »

C’est vraiment la meilleure évocation de la police soviétique dans le film.

« Bitter Harvest » est classé R pour violences et images traumatisantes. La distribution englobe Barry Pepper dans le rôle du fier Cosaque père de Youri et Terence Stamp dans le rôle du fier Cosaque grand-père de Youri.


Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi & Raison et membre du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA. C’est un ancien rédacteur littéraire de National Review. Il a écrit plusieurs livres.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/06/love-and-famine-a-review-of-bitter-harvest/