Les dénégations cesseront-elles un jour ?
En novembre de l’an passé, j’ai écrit une chronique ici Crime and Punishment at Penn State (Crime et Châtiment à Penn State) sur la révoltante affaire d’agressions sexuelles impliquant Jerry Sandusky.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR : Ce texte peut parfois être dur, car il évoque un dossier de pédophilie. (Le premier volet, écrit en novembre, l’est davantage encore.) Mais il met en lumière une dérive qui peut également nous toucher. Un paragraphe traitant du volet pénal a été omis de la traduction. Penn State est l’université d’état de Pennsylvanie.
Déjà à cette époque, il me semblait clair que le légendaire entraîneur de foot Joe Paterno, mort d’un cancer du poumon en janvier, était complice de dissimulation de crime. Il avait couvert Sandusky, son collaborateur de longue date, et je me demandais comment il était possible qu’un catholique pratiquant comme l’était Paterno avait pu — durant plus d’une décennie de dénonciations de Sandusky — négliger de prévenir la police afin de protéger les autres enfants de cet odieux prédateur. Les scandales dans l’Eglise ne lui ont donc rien appris ?
La semaine dernière, Louis Freeh, l’ancien directeur du FBI, lui aussi catholique, a rendu le rapport qu’il avait été chargé de faire sur l’affaire Sandusky par la direction de Penn State. Il devait découvrir pourquoi cela avait pris si longtemps pour arrêter les crimes de Sandusky. (Le mois passé, il a été condamné pour 45 abus sexuels commis sur 10 jeunes garçons.)
Comme l’a relaté la chaîne ESPN après la conférence de presse de Freeh :
Joe Paterno et les autres officiels de Penn State ont étouffé durant plus d’une décennie les accusations d’abus sexuels contre Jerry Sandusky pour éviter une mauvaise publicité, ce qui a permis à Sandusky de s’attaquer à d’autres jeunes, selon le rapport interne rendu jeudi sur ce scandale.
En réaction aux conclusions rendues par Freeh, les partisans de Joe Paterno (menés par d’anciens joueurs et la famille de Paterno), même s’ils reconnaissent la réalité des faits contenus dans le rapport, se précipitent pour déclarer que les conclusions de Freeh pourraient être fausses. Le secondeur 1 de Penn State, star de la National Football League et actuellement analyste du football Matt Millen jura au présentateur de ESPN Chris McKendry que Paterno ne s’était jamais soucié d’une mauvaise publicité. Le communiqué de la famille Paterno admet que Joe Paterno « n’était pas parfait » mais ajoute :
Penser qu’il ait protégé Jerry Sandusky pour éviter une mauvaise publicité n’est absolument pas réaliste. Si Joe Paterno avait compris qui était Sandusky, la peur d’une mauvaise publicité n’aurait pas influé sur ses actes.
Mais, en 2001, l’entraîneur-adjoint Mike McQueary a dit à Paterno — dans un entretien ayant eu lieu le lendemain, auquel assistait également le père de McKeary) — qu’il avait vu Sandusky violant un garçon d’une douzaine d’années dans les douches du stade de foot de Penn State. Alors comment peut-on dire que Paterno « n’avait pas compris qui était Sandusky » ? Comme Freeh l’a souligné : « Pendant 14 ans, l’homme le plus puissant de Penn State n’a pris aucune mesure pour protéger les enfants des agressions de Sandusky. »
Et concernant les raisons du silence de l’administration de Penn State, le rapport de Freeh ne pourrait être plus clair : « en vue d’éviter une mauvaise publicité, les plus hauts dirigeants de l’université ont caché de façon répétée les faits relatifs aux abus sexuels sur mineurs commis par Sandusky. »
Comme je l’écrivais en novembre, les entraîneurs de foot et de basket gagnent bien plus d’argent que la plupart des présidents d’université, et ont de ce fait plus de pouvoir. Plusieurs d’entre eux se croient au-dessus des lois. Le programme (sportif) prime tout.
Il a beaucoup été dit qu’il ne fallait pas que l’affaire Sandusky ternisse la mémoire de Paterno. C’est un vœu pieux : il est risible de le croire possible et immoral de l’envisager, étant données les circonstances telles que nous les connaissons.
[…]
Bien que les facultés et universités ne soient pas suffisamment attentives au contrôle des programmes de sport, les affaires de pédophilie sont peu nombreuses. Quand je dis que le cauchemar de Penn State s’est achevé, je veux dire par là l’horreur du viol de ces enfants, non pas les terribles conséquences légales et la torture morale qui va peser sur les communautés universitaires durant les années à venir. Mais on devrait être tranquille, la leçon a été apprise. […]Quoi qu’il en soit, on devrait déboulonner la statue de Paterno.
Parlant des conclusions du rapport de Freeh, Phill Knight, co-fondateur de Nike et précédemment un ardent défenseur de Paterno a déclaré : « J’ai manqué à déceler les manquements de Joe, et je suis aujourd’hui profondément attristé. »
Voilà qui est bien dit. Mais on pourrait quand même demander à monsieur Knight, puisque les bénéfices du foot à l’université de Penn State sont déjà de 50 millions de dollars chaque année, est-ce que les parrainages (dont le sien), les versements de la télé et des anciens aux activités sportives s’adapteront sans sacrifier ce qui est le cœur de la mission éducative dans l’enseignement supérieur ? Dans le cas Sandusky, le pouvoir du programme sportif a permis aux viols de continuer. Dans d’autres universités, pour protéger le programme sportif, on tolère recrutement et notations illégales, extorsions et autres délits.
La leçon que l’on peut tirer ici, ce n’est pas qu’un homme bon puisse commettre une lourde faute (c’est le sens originel du mot péché), mais qu’on laisse une culture d’avidité et de puissance introduire le danger dans nos jeux. Car il s’agit de jeux. De jeux.
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Brad Miner est rédacteur de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi et raison, membre de la direction de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA. Il est l’auteur de 6 livres et ancien chroniqueur littéraire à National Review.
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Illustration : le lion en hiver : la statue de Paterno sous la neige