Avant que je ne commence le sermon laïc du jour, et pour éviter la panique, laissez-moi avouer que je suis contre certaines choses. Une sorte de conservateur donc. Peu importe si j’essaie de le nier, car on ne contrôle pas l’usage des mots dans les discours publics, on exerce seulement une microscopique influence. Ceux qui me connaissent et me lisent continueront de me prendre pour une sorte de conservateur au sens courant du terme.
Ne m’en demandez pas la définition, ça ne peut être défini de manière cohérente. Ca devrait pourtant être évident. Le conservateur veut absolument « conserver » quelque chose, alors il y a un précieux noyau que le conservateur type ne veut pas changer.
Ce qu’il veut conserver tend à être quelque survivance des Lumières, la Constitution des Etats-Unis par exemple. Quand il est question de conserver quelque chose venu du fond des âges – l’institution du mariage, par exemple – des gens qui s’étaient avec quelque vraisemblance présentés comme conservateurs commencent à quitter le navire.
C’est une des raisons qui m’ont fait me rabattre sur le terme « réactionnaire » : pour garder mes distances avec les amis des bons jours et proclamer mon allégeance, non au status quo, mais au status quo ante. Ca peut inquiéter ou amuser certains. Laissons faire.
Il y a un siècle, ou plutôt vers la fin du siècle passé, j’utilisais le mot « Tory » pour distinguer de conservateur. Mais plus personne ne le comprend, même dans les milieux britanniques nord-américains. Dans un contexte entièrement nord-américain, j’utilisais le terme « loyaliste », comme opposé à « patriote », mais là aussi, le mot ne signifie plus rien d’autre qu’un symbole monarchique.
« Jacobite » vaut peut-être la peine d’être mentionné dans un contexte historique britannique. C’est certain, j’ai été l’un d’entre eux. C’est encore un de ces mots démodés – à mon avis, trop récent – et la bonne position est royaliste catholique, dans le camp de Thomas More contre Henry VIII. (C’était déjà ma position quand j’étais anglican, alors maintenant que je suis avec l’Armada…)
Pensez-vous que la force a été utilisée à juste titre contre les donatistes au 4e siècle ? Contre les cathares au 13e ? La Guerre de Trente Ans aurait-elle dû être gagnée ? (Bon, peut-être, dans une perspective historique plus large que nous ne pouvons encore appréhender aujourd’hui.)
A mon avis, c’est en envisageant de telles hypothèses que des politiques plus profondes peuvent s’élaborer. De quelle utilité sont des principes politiques qui ne s’appliquent que depuis une génération ? Quand on prend de l’âge, qu’on devient plus informé du cours des événements, ces principes sont au moins mieux testés. Une politique profonde réclame une profonde connaissance de l’histoire.
Et c’est cela, bien plus qu’un désaccord global sur quelque question spécifique, qui me rend de plus en plus réfractaire au terme conservateur pour définir ma position.
Inversement, je trouve que le terme conservateur est utilisé de plus en plus comme un étiquetage fourre-tout. Ca me parvient alors même que j’écris cet article : parcourant rapidement mes mails, je découvre qu’un correspondant écossais use machinalement de ce terme dans le sens américain pour décrire son attitude politique – et même pour la distinguer de ce qu’il comprend comme l’attitude politique du Parti Conservateur du Royaume Uni où il réside.
Ou pour le dire autrement : le conservatisme américain a rejoint Coca-Cola parmi les exportations les plus couronnées de succès et jouit d’un label non seulement parmi les tribus des (autrefois) lointaines collines calédoniennes mais également, comme je l’ai déduit d’autres lectures, au Kazakhstan, dans le veld sud-africain, aux sources de l’Amazone et derrière les rideaux de bambous en Chine.
Pourtant, qu’est ce qui le rend différent d’une autre boisson gazeuse ? Et pourquoi un chrétien devrait-il en vouloir un verre géant ? Et quelle différence cela ferait-il si le monde entier buvait, disons, du Coca républicain au lieu de Pepsi démocrate ? Toutes mes excuses aux républicains buveurs de Pepsi et aux démocrates amateurs de Coca, c’était juste parce que j’avais absolument besoin d’une comparaison. Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est l’imprécision de toute position pouvant être étiquetée conservatrice, ou autrement dit, la présence dans le breuvage d’un ingrédient de quelque importance à côté du sucre et de l’eau. Car le terme ne veut rien dire sorti de son contexte et, partant de là, peut être appliqué avec une égale facilité à tout le monde allant de Pat Robertson à Leonid Brejnev, l’ancien secrétaire général du parti communiste soviétique.
Cette extension de sens doit, ou devrait, préoccuper les chrétiens. A qui ou à quoi nous identifions- nous ?
Je ne pose pas cette question sans raison concrète. Au cours d’une longue expérience, j’ai découvert les conséquences d’être classé dans un bocal avec des libertariens, des agnostiques, des conservateurs athées – et même, ou peut-être surtout des « conservateurs sociaux » qui se sont fait leur conviction en se fondant plus sur Darwin que sur Jésus.
Pour généraliser : nous leur sommes plus utiles qu’ils ne nous sont utiles quand nous découvrons les sujets brûlants, et l’un de nous passe sous le bus. Cela quand nous découvrons soudainement que l’extension n’est pas la vertu que nous nous imaginions lorsque nous avons prêté serment d’allégeance à notre cause commune, et que nos alliés sont des alliés opportunistes. Les amis requièrent une communauté d’esprit plus profonde, incluant une histoire commune.
Actuellement, le dossier du « mariage homo » révèle ce point d’une manière poignante. Sans donner de noms, ils sont trop nombreux, je lis que l’un après l’autre, les pontifes conservateurs font la paix avec « les modes de vie contemporains » (il y a d’anciennes expressions plus triviales pour le dire) et je me demande ce que j’ai bien pu avoir en commun avec ces gens.
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Alors, j’ai bien envie de leur rétorquer : << à quelle plus grande cause fais-tu référence, Ponce Pilate ?>>
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/against-conservatism.html
Tableau : Une cause perdue: Fuite du Roi Jacques II après la bataille de la Boyne, par AC Gow, 1880.
David Warren est un ancien éditorialiste de la revue Idler et un chroniqueur de Ottawa Citizen. Il a une grande expérience du Proche Orient et de l’Extrême-Orient. Il tient un blog : davidwarrenonline.com.
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Introuvable conservatisme
- Le conservatisme à la croisée des chemins
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Rêve d’un procès contre eux tous : suite du numéro précédent