Conscience et autonomie humaine - France Catholique
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Ces Papes qui ont fait l'histoire
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Conscience et autonomie humaine

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On trouve peu de formules, dans l’histoire des États-Unis, qui soient aussi célèbres que l’affirmation de la Déclaration d’Indépendance selon laquelle la vie, la liberté et la recherche du bonheur sont des dons de Dieu et des droits inaliénables. Ces droits, et en particulier la liberté, sont devenus des fondements de la civilisation américaine. Mais l’accent toujours plus important mis sur l’autonomie radicale de chaque être humain a abouti de nos jours à un divorce entre la notion de liberté individuelle et celle de l’existence d’un ordre objectif de vérité. Ceci apparaît de manière particulièrement évidente à travers différentes théories éthiques qui identifient la dignité de l’homme à la simple action de choisir.

Il est vrai que la liberté est une caractéristique qui distingue l’homme, mais elle est fondée sur un ordre objectif de valeur ; de fait, faute d’un fondement de cette sorte, faute d’une appréciation essentielle de ce qui est vrai, la liberté devient une caricature d’elle-même et se vide de son sens. Dans notre civilisation actuelle, il semble facile d’oublier, comme l’a fait récemment à plusieurs reprises le président Obama, que, dans le contexte originel, la liberté et nos droits inaliénables ont pour source le Créateur.

Cette tendance moderne à séparer la liberté de la vérité se manifeste entre autres dans les débats sur le primat de la conscience. C’est souvent ce principe qui est invoqué comme justification pour se démarquer des enseignements de l’Église sur toute une série de questions morales. Ces discussions ont eu un attrait particulier pour nombre d’Américains, habitués qu’ils sont à s’examiner, eux et leur société, en termes de liberté individuelle et d‘autonomie. Le primat de la conscience semble dès lors exprimer un impératif moral.

De même que celui de la liberté humaine, le rôle de la conscience dans la prise de décisions morales est un point central de la foi chrétienne. Encore faut-il comprendre exactement ce qu’on entend par conscience et primat de la conscience. Aussi bien dans la culture populaire que dans les écrits les plus élaborés de certains théologiens moraux, la conscience s’est considérablement éloignée de son sens originel.

La conscience est l’acte ou la condition de savoir quelle direction prendre dans une situation donnée. Venant du latin cum scientia (conscientia), qui signifie « en connaissance de cause », la conscience est une habitude ou une disposition de l’intellect en rapport avec ce qu’est spécifiquement un comportement humain. C’est un jugement de la raison pratique plutôt que de la raison spéculative en ce sens qu’il porte sur la praxis, sur l’action à entreprendre ou sur celle qui est accomplie. L’obligation de suivre sa conscience découle de ce qu’est cette dernière. La mise en demeure faite à la conscience d’agir au mieux dans des circonstances concrètes et particulières exige obéissance uniquement parce que c’est l’application du bien moral universel et objectif.

L’erreur dans laquelle tombent nombre de gens est de croire qu’il suffit de juger qu’une action est bonne pour qu’elle le soit. Mais le jugement que porte la conscience n’est pas infaillible ; elle peut être insuffisamment développée chez l’un, un autre pourra agir dans l’ignorance, sans savoir que telle ou telle action est mauvaise. Ceux qui pensent que c’est la décision autonome de la conscience qui constitue la maturité morale, et par conséquent le bien-être moral, font une complète erreur sur son rôle.

La conscience n’est pas une sorte de capacité indépendante à décider de ce qui est bien et de ce qui est mal. Elle fonctionne dans le cadre de l’ordre moral, mais ne le remplace pas. L’impératif moral de suivre sa conscience est une obligation dans l’ordre pratique et non dans l’ordre spéculatif : la conscience régit le comportement, mais ne détermine pas la vérité. Le Pape Jean-Paul II a très clairement défini ce point dans son encyclique Veritatis Splendor :

Dans le jugement pratique de la conscience, qui impose à la personne l’obligation d’accomplir un acte donné, le lien entre liberté et vérité est manifeste. C’est précisément pour cette raison que la conscience s’exprime par le biais de jugements qui reflètent la vérité quant à ce qui est bien, et non pas par celui de décisions arbitraires. La maturité et la responsabilité de ces jugements — et, au bout du compte, celles de l’individu qui les porte — ne s’évaluent pas à l’aune d’une libération de la conscience à l’égard de la vérité objective au profit d’une supposée autonomie des décisions personnelles, mais s’apprécient au contraire par la recherche insistante de la vérité, et l’acceptation de se laisser guider dans ses actions par cette vérité. [61]

En fin de compte, tant la conscience que la liberté ne sauraient se comprendre hors de toute référence à la vérité et à la bonté. Le principe primordial du jugement pratique, c’est-à-dire de l’action humaine, est de faire le bien et d’éviter le mal. Le jugement pratique présuppose une compréhension du bien et du mal qui permet d’évaluer le caractère bienfaisant ou néfaste d’une action spécifique. À elles deux, la raison et la foi fournissent à l’homme ce discernement primordial du bien et du mal.

La reconnaissance que certains actes sont immoraux en soi, indépendamment de l’intention de l’agent (ainsi l’avortement) est soit une conclusion de la raison spéculative soit une affaire de révélation, mais celles-ci ne sont pas remises en question, et encore moins invalidées, par le fait que la conscience d’un individu particulier pourrait l’amener à se comporter comme si de tels actes étaient bons.

Quelle que soit l’intention de faire le bien, des actes intrinsèquement mauvais restent mauvais et vont à l’encontre du bien-être de l’agent, même si ce dernier est ignorant du mal qu’il commet. Je peux boire un verre d’acide sulfurique pour étancher ma soif si je ne sais pas ce que contient le verre. L’effet d’un tel acte n’en sera pas moins une souffrance physique. Il en va de même des actes mauvais, qui aboutissent nécessairement à un mal-être moral, qu’on les juge bons ou non.

L’individualisme américain est tout spécialement propice à faire commettre l’erreur de prendre la subjectivité humaine, exprimée dans la notion déformée de primat de la conscience, comme critère de la dignité de l’homme. Une vue de ce genre suppose la négation de ce que sont pour de vrai la liberté et la dignité ; elle conduit à une société dans laquelle le choix que fait un homme est sa propre justification. Ce qui est juste n’est plus alors que ce que l’on choisit.

Source : http://www.thecatholicthing.org/

Traduit par Gérard Hocmard